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En Turquie, le timide retour des syriens-orthodoxes
Encouragées à demi-mot par le gouvernement, une quarantaine de familles de culture syriaque se sont réinstallées définitivement dans la région du Tour Abdin, au sud-est de la Turquie
Mais les conditions de vie restent difficiles pour ce peuple qui fut contraint à un exode massif après la seconde guerre mondiale
C'est avec fierté que Yakop Gabriel ouvre les portes de sa fabrique de vin. Situé à la sortie de la ville de Midyat, le bâtiment de pierres de taille se repère de loin. « Nous produisons 150 000 bouteilles par an », explique le quinquagénaire souriant qui souhaite relancer la tradition viticole dans cette région du Tour Abdin, la « Montagne des serviteurs de Dieu », centre spirituel du monde chrétien syrien-orthodoxe.
Originaire d'un village proche de la Syrie, Yakop Gabriel est un pionnier. Après vingt-trois années d'exil en Suisse, il est rentré au pays en 2002, en famille. « Nous étions les premiers chrétiens à revenir pour de bon. Nous étions suivis et surveillés. Les difficultés ont été nombreuses mais nous ne regrettons rien. » Après avoir créé une association culturelle, il a été élu au conseil municipal de Midyat et s'apprête à ouvrir un hôtel. « Mon objectif est d'aider les syriens-orthodoxes installés en Europe à revenir. Car nous sommes les habitants de cette terre. »
La présence syriaque sur ces terres rocailleuses et sauvages est bien antérieure à celle des Kurdes, Turcs et Arabes aujourd'hui majoritaires. Par ses églises et monastères, en ruine ou en état, chaque village rappelle l'importance de cette communauté utilisant la langue du Christ, l'araméen, pour la liturgie et qui, d'après le P. Gabriel Akyüz, de Mardin, comptait près de 60 000 membres dans les années 1970 contre à peine 3 000 âmes aujourd'hui.
« NOUS ÉTIONS COINCÉS ENTRE L'ARMÉE ET LE PKK »
Le départ de ces chrétiens orientaux, rattachés au patriarche d'Antioche installé en Syrie, a débuté en 1895. Il s'est amplifié lors des massacres de la première guerre mondiale. Après la mise en place en 1942 d'un impôt visant les chrétiens, les problèmes économiques dans les années 1960, et le conflit provoqué par la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), l'exode s'intensifie dans les années 1980-1990.
« Nous étions coincés entre l'armée et le PKK », confirme Saliba Artas, rentré l'an dernier après trente ans passés en Suisse. « Avec l'état d'urgence décrété dans la région, les meurtres non élucidés, ceux qui étaient partis, comme moi, n'ont pas pu rentrer. »
Aujourd'hui, les retours ne sont certes pas encore massifs – une quarantaine de familles se sont installées définitivement – mais presque chaque village du Tour Abdin constate le retour de quelques chrétiens, retraités ou couples avec enfants. Sans compter les centaines de vacanciers qui, chaque été, rénovent leurs maisons ou en construisent de nouvelles.
« EN SUISSE, TOUT ÉTAIT FACILE »
Aziz Demir a joué un rôle moteur dans ce processus. Après vingt et un ans en Suisse, il est rentré en 2006, non seulement avec sa femme et son fils, mais avec neuf autres familles. « Ce fut une décision collective. Rentrer ensemble était plus facile », avoue cet homme, devenu maire du village de Kafro où d'immenses villas de pierres de taille, clôturées, ont surgi du sol. « En Suisse, tout était facile », reconnaît-il, face à une cheminée où trône un crucifix. « Mais cela ne suffit pas lorsqu'on ne se sent pas chez soi. Notre amour de la patrie nous a fait revenir. »
Pour ces familles habituées aux standards européens, le changement de vie a été brutal dans cette région rurale, sous-développée, sans système de santé efficace. Dans le village voisin, des cours de syriaque sont dispensés par l'Église, mais le dernier lycée communautaire a fermé ses portes en 1926. Le P. Gabriel Akyüz demande sa réouverture et s'appuie sur le traité de Lausanne de 1923 qui accorde des avantages à des minorités non musulmanes du pays.
Pour ce prêtre, le retour d'exilés européens est un phénomène « important ». « Avant, les syriens-orthodoxes se considéraient comme chrétiens dans un pays musulman. Lorsqu'ils sont arrivés en Europe, ils ont développé un sentiment national et ont décidé de rentrer chez eux. Leur identité chrétienne est passée au second plan. »
« FAIRE DES PROCÈS REVIENT PLUS CHER QUE LA VALEUR DES TERRAINS »
Il faut ajouter à cela un retour relatif au calme dans la région. Dès 2001, le premier ministre de l'époque, Bülent Ecevit, appelle les syriaques à rentrer. Ankara redouble alors d'efforts pour entamer les négociations d'adhésion avec Bruxelles. L'état d'urgence est levé et une réforme permet aux habitants de la région d'obtenir des actes de propriété.
De nombreux chrétiens font le voyage pour obtenir ces fameux sésames mais la déception s'impose face aux confiscations de terres jugées non exploitées. « Ma famille possédait 60 hectares, nous n'en avons plus que dix » explique Lahdo, 75 ans, revenu d'Allemagne en 2004. « Faire des procès revient plus cher que la valeur des terrains et gagner contre le ministère des forêts relève du rêve. » Ce vieil homme plante toutefois des pastèques sur l'une de ses parcelles « confisquées », au pied de sa nouvelle villa.
« NOTRE AVENIR EST LIÉ À CELUI DU PAYS »
Malgré ces différends, Ankara a timidement soutenu ce phénomène de retour par une aide immobilière. Les fondations non musulmanes ont aussi obtenu le droit de récupérer certains biens confisqués et, autre première, un syriaque a été élu député en juin 2011. Longtemps absents de la scène politique, les syriens-orthodoxes ont fait entendre leur voix dans l'actuel travail constitutionnel. Toutefois, face aux fantasmes qu'éveille dans cette région très conservatrice l'idée d'un afflux de chrétiens, la communauté refuse de trop rendre publics ces retours.
« Notre avenir est lié à celui du pays et à la résolution ou non du conflit kurde » note le maire de Kafro, Aziz Demir. « Nous voulons être traités comme n'importe quel citoyen de Turquie. Si demain nous obtenons nos droits, les gens rentreront. »
Attendre des réformes d'Ankara ? Kenan Karatas, le maire de Yemisli qui a vécu trente-sept ans à Istanbul, est pressé. Après la rénovation de l'une des deux églises du village, il cherche un prêtre, veut ouvrir un café et compte convaincre dix familles de s'installer définitivement. Leurs maisons, toutes neuves, les y attendent.
DELPHINE NERBOLLIER, à Midyat (Turquie)
La croix du 17/4/12
JTK = Envoyé de mon iPad.
Joseph khoreich