OLJ-10/04/2012
Par Dr Joseph KREIKER
La neutralité, tout le monde en parle quand cela l'arrange, sans jamais prendre une initiative en vue d'instaurer le droit de neutralité et de définir la politique de neutralité au Liban.
Cependant on relève une intervention sérieuse au niveau international, celle du patriarche Raï lors de sa visite à Ban Ki-moon, à New York. En outre, de nombreuses déclarations ont été faites par d'éminentes personnalités politiques et des articles ont été publiés dans la presse par des intellectuels de la société civile.
Tous prônent la mise en œuvre d'un statut de neutralité du Liban.
Un statut certes bénéfique pour notre pays, pour le vivre ensemble et pour vivre en harmonie avec nos voisins dans une région particulièrement troublée et sujette à des guerres sans fin. Des voisins qui, de tout temps, ont eu des ambitions et entrepris des actions guerrières sur notre territoire. Des ambitions dominatrices, hégémoniques, destructrices et annexionnistes.
Il est grand temps que nos responsables accordent leurs violons pour aboutir à une suggestion concrète qui puisse permettre de faire avaliser ce statut. Un jour on souhaite tracer et surveiller nos frontières, le lendemain cette frontière devient une véritable passoire livrée au gré des vents. Certains proposent une neutralité sélective face à un conflit.
Non, nous souhaitons un véritable statut de neutralité pour notre pays.
Nous vivons dans un monde de violence intolérable et inacceptable, éloigné de toute vie digne. La recherche de la paix et l'angoisse constituent le quotidien des citoyens. Le Liban est une mosaïque de minorités.
Elles ont toutes besoin de protection.
Elles ont toutes intérêt à se placer en dehors des axes conflictuels.
Elles ont toutes intérêt à promouvoir un tel statut.
Elles ont toutes versé leur sang pour défendre le sol national.
Elles ont toutes besoin de vivre en harmonie, à l'intérieur des frontières.
Elles n'ont d'ailleurs aucun poids décisionnel sur le cours des événements régionaux et ne font que subir et exécuter les décisions de leurs supérieurs, qui ont des intérêts stratégiques nullement bénéfiques au Liban.
C'est encore et toujours la société civile qui est exposée au pire.
Depuis des siècles, et plus particulièrement de 1975 à ce jour, le pays est le terrain de guerres et de conflits, avec leurs terribles lots de milliers de morts, de handicapés, de blessés et d'émigrés.
Nous vivons de compromis en compromis.
Malgré tous les efforts, à ce jour, aucune Constitution n'a permis de gouverner le Liban. Toutes les solutions proposées, depuis le pacte national de 1943, l'accord de Taëf, jusqu'à celui de Doha, constituent des compromis temporaires qui préparent le terrain à une nouvelle explosion dans les années ou les décennies à venir.
À chaque échéance, le pays est bloqué. Nous n'avons pas oublié les élections présidentielles, les élections législatives, les difficultés de former des gouvernements, et aujourd'hui nous assistons, incrédules, à l'impossibilité de stabiliser et souder toutes ces composantes autour d'un projet politique de large consensus.
Si un consensus nécessaire ne peut être obtenu par toutes les parties internes et régionales concernées pour avaliser un statut de neutralité, il serait alors souhaitable que ceux-là mêmes qui prônent ce statut demandent à l'ONU de le voter.
Selon la presse, il semble que le patriarche maronite a eu la sagesse de le faire. Nous sommes conscients des difficultés et des limites de toute action d'une telle envergure et impliquant de nombreux partenaires.
Notre pays a toujours soutenu et respecté les conventions onusiennes. Nous sommes tout aussi fiers de l'apport historique de notre compatriote Charles Malek en matière des droits de l'homme.
L'ONU pourrait proclamer un statut de neutralité pour le Liban par une résolution émanant des pays ayant un siège permanent, puis par un vote de l'Assemblée générale, et enfin en obtenant un accord consensuel local et régional.
Utopie ? Oui peut-être. Mais qui pourrait devenir une réalité. La Suisse et l'Autriche ont fait de cette utopie une réalité concrète.
Souvenez-vous du conseil de saint Nicolas de Flue au peuple suisse : « Construisez une petite barrière autour de votre jardin. »
Tout comme la Suisse était, du fait des divisions internes, « le terrain de bataille de l'Europe », le Liban est, lui aussi, devenu, du fait de ses divisions et alliances extérieures, le « champ de bataille du Proche-Orient ». Il a fallu à la Suisse cinq siècles et plus d'un siècle de guerres pour retrouver une unité exemplaire dans toute sa diversité ethnique, linguistique et religieuse.
Je dis à mes concitoyens libanais : « Construisez une barrière autour de votre jardin et surtout autour de votre pays. »
Il serait fort judicieux de se rappeler qu'un tel statut libère le Liban de ses contradictions et des griffes de ses voisins. Il permet un meilleur respect de la diversité et du pluralisme. Une neutralité à laquelle aspirent de tout leur être un grand nombre de Libanais animés de la volonté de fonder le « vivre ensemble » et de participer au mouvement ascendant de la civilisation et du progrès.
Un statut de neutralité, voté à l'ONU, conférerait au Liban une stabilité permanente, aurait un impact positif sur la paix dans la région et stimulerait des relations harmonieuses entre les nations. Le Liban peut devenir une terre de dialogue des cultures et des religions, un modèle de paix, de convivialité, de sécurité, de liberté, de développement social durable. Il jouerait un rôle stabilisateur pour la région, au lieu d'être tantôt menacé tantôt une menace. Un statut adapté à notre société pluraliste ayant une mission humaniste et culturelle. La neutralité pourrait par ailleurs dépassionner le débat politique le replaçant dans son cadre naturel interne et aider au développement de la notion de citoyenneté dans un pays où tous les votes sont communautaires, ethniques, et non des votes d'opinion.
Et surtout un tel statut ne déconnecterait pas le pays de son environnement moyen-oriental dans la mesure où son rôle dans la défense des causes arabes, et en particulier la cause palestinienne, se situerait à un niveau plus efficace : politique, diplomatique, économique et culturel.
Il serait un exemple de démocratie pour ses voisins.
Par ailleurs l'Europe et le monde arabe tireraient le plus grand bénéfice d'une Suisse sur la rive orientale de la Méditerranée. Nos enfants et les futures générations, pour des siècles, nous remercieront de leur avoir légué la paix et la démocratie en héritage.
JTK = Envoyé de mon iPad.
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