Les chrétiens de Syrie - Actualités
La grande incertitude des chrétiens syriens
Certains soutiennent le régime, d'autres la révolution ; mais parmi les chrétiens de Syrie, une majorité silencieuse se réfugie dans l'attentisme, incertaine de son avenir.
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« Seul un État fort peut garantir notre sécurité », lâche Samir, 23 ans, assis à côté de sa sœur et de ses parents dans cet appartement de Jaramana, un quartier de la classe moyenne druze et chrétienne à l'est de Damas. Accrochée au mur, la photo de son frère, tué à Kousair, le 24 mars, devant la porte de la maison familiale.
Ce jour-là, tout le monde ou presque avait pris la fuite, quand les insurgés ont investi les quartiers chrétiens de cette ville de 40 000 habitants, à l'ouest de Homs, non loin de la frontière libanaise. Trois jours après, maison incendiée et voiture volée, cette famille chrétienne rejoignait la cohorte des déplacés dans la capitale syrienne. Étudiant à Damas, Samir a trouvé un appartement pour les héberger tous ensemble, lui, sa sœur, son père retraité et sa mère, femme au foyer. La famille paie le loyer – 12 000 livres syriennes par mois – et s'en tire, pour le reste, grâce aux aides de quelques organisations caritatives.
DÉRACINÉS
Huit mois déjà, mais, pour ces déracinés, Damas n'est plus un refuge. Les forces gouvernementales et les groupes armés de l'opposition s'affrontent dans les banlieues à l'est de la ville. La bataille fait rage autour de la route de l'aéroport.
Même au centre-ville, la vie quotidienne se détériore. Barrages de militaires ou de miliciens, coupures d'électricité, pénurie de carburant, files d'attente devant les boulangeries, sans compter la menace de la voiture piégée, du tir de mortier ou de l'enlèvement. « L'avenir ne présage rien de bon pour les minorités », répète Samir. « Si le régime tombe, même les sunnites modérés devront suivre les salafistes car ce sont eux qui ont les armes. »
UNE MOSAÏQUE DE CONVICTIONS
Des zones résidentielles d'Abou Roumaneh aux quartiers pauvres de Tabbalé et Dwelaa, en passant par Qassaa, Qoussour, Bab Touma et Jaramana, ni la sociologie, ni le comportement politique de la minorité chrétienne ne sont uniformes. Comme dans toutes les communautés, un large éventail d'attitudes coexiste, souvent au sein de la même famille, du loyalisme envers le régime au soutien actif à la révolution, en passant par l'attentisme d'une majorité silencieuse rongée par l'inquiétude.
« Après l'expérience de la Tunisie, de la Libye et de l'Égypte, nous ne sommes pas prêts à accepter un gouvernement dominé par les Frères musulmans, affirme Ghassan Chahine, directeur d'une agence de tourisme. Nous voulons garder le pays, nos maisons et nos familles. Les chrétiens sont avec l'État contre les terroristes. » « Je ne peux pas accepter qu'un gouvernement bombarde sa propre population », répond un joaillier de Bab Touma, choqué, comme beaucoup de chrétiens, par l'escalade de la violence, les arrestations, la torture et les destructions.
LA HIÉRARCHIE RELIGIEUSE FAIT PROFIL BAS
Dans les ruelles de la vieille ville, calfeutrée au milieu des églises et des couvents, la hiérarchie religieuse fait profil bas, impuissante face au drame qui précipite le pays dans le chaos. « Le régime a tenté de coopter les élites religieuses dans toutes les communautés », explique un intellectuel chrétien, sous le couvert de l'anonymat. « La hiérarchie des églises chrétiennes a longtemps collaboré avec les services secrets en échange d'un traitement de faveur et de quelques avantages pour leurs institutions. » Au début de l'été 2011, dans une lettre ouverte aux évêques de Syrie, intitulée Du sang sur nos autels, le jésuite Nebras Chehayed dénonçait le « silence approbateur » et « l'allégeance en faveur du régime » de « quelques hommes d'Église ».
LE REGRET D'UNE « ESCALADE SANS FIN »
Du côté des fidèles, la poursuite des combats plonge les esprits dans le doute. « La militarisation et l'islamisation de la révolution confortent les hésitants dans leur hésitation tandis que ceux qui pensaient à quitter le pays ont franchi le pas », note un journaliste. « La bourgeoisie éduquée, qui avait initialement soutenu le mouvement de protestation pacifique, bascule dans le pessimisme. Des militants chrétiens, très actifs dans les initiatives civiles et humanitaires soutenant la révolution, s'interrogent sur cette escalade sans fin. La montée en puissance des Frères musulmans et des djihadistes de Jabhat Al-Nusra au sein de l'opposition armée éloigne un peu plus ceux qui perçoivent comme une menace le retour en force de l'islam dans la majorité sunnite. »
Confronté à l'insécurité, chacun tente d'assurer son salut. On reste groupé, par famille et, si possible, par quartier et par communauté. « Les chrétiens syriens souffrent d'un complexe de minoritaires, ils ont peur de réfléchir et de penser librement », souligne Samer Laham, 52 ans, directeur des relations œcuméniques et du développement au patriarcat grec-orthodoxe. « À la différence des chrétiens libanais, ils se sont largement tenus à l'écart de la vie politique. Nous ne sommes pas comme les rebelles, prêts à mourir pour notre cause. Pourtant, la chrétienté a précédé l'islam dans cette région et les chrétiens font partie intégrante de la fabrique de la société, les plus ardents défenseurs de l'État-nation. Nous avons un rôle important à jouer dans ce conflit, un rôle de médiation et de réconciliation. »
LA MÉMOIRE DES MASSACRES DE CHRÉTIENS EN 1860
Dans le quartier de Bab Touma, l'écho sourd de l'artillerie du régime, qui pilonne les quartiers populaires à l'est de la ville, résonne sur la pierre noire du couvent. « C'est comme un mauvais rêve, on va revenir quarante ans en arrière avec toutes ces destructions », déclare un religieux, assis dans la pénombre d'une vaste bibliothèque. « Nous perdrons peut-être des gens mais cela va passer et nous resterons », ajoute-t-il, fataliste, en évoquant la mémoire des massacres de chrétiens en 1860 à Damas et en reprenant, dans la ligne de la rhétorique du régime, le « complot de bandes extrémistes infiltrées de l'étranger contre l'unité syrienne ». « Nos chefs ne sont pas à la hauteur », glisse un prêtre, au moment de prendre congé. « La plupart sont perdus, en plein désarroi. Cette hiérarchie n'a pas le droit de parler au nom de tous les chrétiens. Même s'ils sont minoritaires, les opposants chrétiens sauveront la réputation de l'ensemble de la communauté et la protègeront. »
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Les religions en Syrie
– Il y a environ 21 millions d'habitants en Syrie. Près des trois quarts sont de confession musulmane sunnite . Les alaouites représentent la plus importante minorité religieuse, avec 10 % de la population. Les Kurdes, un peuple différent des Arabes, majoritairement sunnite, sont environ 8 %. Les chrétiens représentent de 5 % à 8 % de la population.
– La majorité des chrétiens de Syrie appartient à l'Église grecque-orthodoxe, une des 14 églises autocéphales rassemblées au sein de la Communion orthodoxe orientale. Son patriarche, Ignatius IV Hazim, patriarche d'Antioche et de tout l'Orient, est décédé le 5 décembre au Liban, à l'âge de 92 ans. Ses funérailles se sont déroulées lundi 10 décembre dans la cathédrale de Marie, à Damas.
– Les trois autres confessions chrétiennes importantes sont les grecs-catholiques, les arméniens-apostoliques et les syriens-orthodoxes. Les maronites, les arméniens-catholiques, les protestants, les nestoriens, les syriens-catholiques, les chaldéens et les catholiques latins sont présents en petit nombre.
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