Le couvent Saint-Serge, sur les hauteurs de Maaloula, était auparavant très prisé des touristes. Depuis dix-huit mois, le conflit a changé la donne dans cette région montagneuse, proche du Liban.
Le conflit menace la coexistence entre majorité chrétienne et minorité musulmane.
Sur les hauteurs de Maaloula, le couvent Saint-Serge domine le village, lové au creux des montagnes du Qalamoun, la chaîne montagneuse qui s'étend entre la plaine de Damas et l'Anti-Liban. De son logis, au premier étage du monastère, le P. Fayez Freijat, 71 ans, a vu défiler des milliers de visiteurs, venus admirer les icônes de l'église byzantine et entendre réciter le Notre Père en araméen.
Aujourd'hui, dans la cour intérieure baignée de lumière, c'est le silence et le vide. « Nos frères musulmans ont confiance en Dieu, ils se marient et font plus d'enfants que nous, lâche soudain le prêtre grec-catholique. C'est comme ça depuis l'empire ottoman. Les chrétiens de Maaloula sont riches, mais ils ne se marient pas. Nous avons très peu de mariages et très peu de naissances. » Vieille inquiétude. Depuis l'émigration des années 1970 vers Damas et les pays du Golfe, les chrétiens sont en perte de vitesse parmi les résidents permanents de Maaloula et les musulmans représenteraient près du tiers des habitants comptabilisés dans le bourg.
AVANT LE CONFLIT, LA VILLE ÉTAIT À LA FÊTE
À l'écart de la route entre Damas et Homs, Maaloula n'est pas seulement une destination culturelle et religieuse. C'était un lieu de villégiature pour de nombreuses familles de la classe moyenne chrétienne de Damas. On y revenait des pays du Golfe pour se marier ou faire baptiser un enfant, goûter l'air frais à la saison chaude. Chaque année, à la fin de l'été, la jeunesse chrétienne de la capitale venait passer un bon moment dans la bourgade. Pendant trois semaines, de la mi-septembre au début du mois d'octobre, au rythme des flûtes et des tambours, les processions se succédaient dans les monastères catholiques et orthodoxes pour les fêtes de la Croix, de sainte Thècle et de saint Serge. Des femmes chrétiennes et musulmanes venaient chercher la baraka dans la grotte de Mar Takla où Thècle, convertie par saint Paul, aurait trouvé refuge. Début octobre, le P. Fayez Freijat honorait la Saint-Serge en offrant un repas aux habitants du village et à leurs hôtes dans la cour du couvent. À la nuit tombée, dans le village illuminé par les lumignons et les guirlandes, on déroulait les matelas sur les terrasses, on sortait les pique-niques, le thé, les bouteilles d'arak et le narguilé.
LA MANNE TOURISTIQUE S'EST TARIE
Depuis dix-huit mois, le conflit a tout changé. « Ce n'est pas du tout la même l'ambiance, l'heure n'est plus aux festivités », souligne Nabil, gérant d'un magasin de souvenirs au milieu du village, près du sanctuaire de Mar Takla. « Le tourisme a chuté d'au moins 90 %. Les jeunes qui faisaient des allers-retours avec Damas ne viennent plus. Cet hiver, il ne restera plus que les vieux et les musulmans. »
Depuis vingt ans, Maaloula a bénéficié de l'impulsion donnée par le régime à l'industrie du tourisme, une véritable manne avec près de 100000 visiteurs par an, européens, libanais et… iraniens. À moins d'une heure de Damas, Maaloula, lieu de sainteté et de mémoire, semblait parfaitement résumer le discours officiel sur la cohabitation harmonieuse des communautés syriennes. « Tout le monde en a profité, commente un homme d'affaires.Les habitants se sont enrichis, ils ont se sont acheté des voitures, des paraboles satellites et des ordinateurs. C'est vrai, il y avait beaucoup de corruption, mais ce n'est pas avec la guerre qu'on résoudra ce problème. »
UNE VILLE CERNÉE PAR LES TRAFICS ET LA GUERRE
Plongé dans la tourmente, Maaloula s'efforce de maintenir sa réputation de havre de paix. Soucieux de préserver l'esprit de tolérance, les responsables religieux se sont promis de tout faire pour maintenir la localité à l'écart du conflit. « Ici, tout le monde est chrétien et musulman », insiste un vieux paysan.
Mais la contagion guette dans cette région montagneuse, proche du Liban et propice à tous les trafics. Vingt-cinq kilomètres plus au nord, les rebelles ont pris le contrôle de Yabroud. La présence de chrétiens aurait incité le régime à ne pas bombarder cette ville de 23000 habitants. « Là-bas, l'armée de libération fait payer l'impôt religieux aux commerçants chrétiens », dit-on à Maaloula, une rumeur invérifiable, propre à semer la peur parmi les habitants, déjà traumatisés par la vague d'enlèvements qui sévit depuis six mois dans le secteur.
ENLÈVEMENTS ET RANÇONS
Natif de Maaloula, descendant d'une des premières familles musulmanes installées dans le village par les Ottomans au début du XIXe siècle, Mahmoud Diyab, imam sunnite et député au Parlement, a dû jouer les médiateurs pour faire libérer, contre rançon, un commerçant kidnappé par des hommes masqués dans sa boutique. En juillet, le propriétaire chrétien d'un restaurant a été enlevé sur la route, alors qu'il se rendait dans un village voisin pour chercher ses employés musulmans. Relâché au bout d'un mois, il a dû payer une forte somme.
UN REFUS DES ARMES
« Ce sont des gangs, des contrebandiers qui se font passer pour des combattants de l'Armée syrienne libre (ASL), avance un notable, sous le couvert de l'anonymat. Le régime a proposé d'armer les chrétiens, mais, jusque-là, nous avons refusé. »
Pour des habitants qui refusent de choisir leur camp, ce cadeau empoisonné présente un vrai dilemme, relancé au moindre incident. « Si les salafistes prennent le pouvoir, nous perdrons cette coexistence qui fait notre identité, ajoute-t-il. Pour eux, tout le monde doit leur ressembler. » Pour l'heure, le barrage de l'armée à l'entrée du village lui suffit. « Les deux côtés nous font peur, ils sont aussi mauvais l'un que l'autre. Si on s'arme, on deviendra partie au conflit et on aura encore plus de problèmes. »
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Le souvenir de sainte Thècle
Maaloula compte environ 15000 habitants, dont deux tiers de chrétiens et un tiers de musulmans. Seuls 35 % des habitants, soit environ 5000, sont des résidents permanents. Les chrétiens du village sont grecs-catholiques (environ 60 %) et grecs-orthodoxes (environ 40 %). De nombreux résidents de Maaloula vivent et travaillent à Damas. Les habitants parlent l'araméen – la langue de Jésus – sous une forme dialectale.
Les premières familles musulmanes se sont installées au XIX e siècle. Une première mosquée a été construite au début des années 1950, une seconde à l'entrée du village au début des années 2000.
Le village abrite le monastère grec-orthodoxe de Mar Takla, construit autour du tombeau de sainte Thècle, et le monastère grec-catholique de Saint-Serge. Mélange de célébration religieuse et profane, les fêtes de la fin de l'été sont au nombre de trois : la fête de la Croix (14 septembre), la fête de sainte Thècle (24 septembre) et la fête de saint Serge (7 octobre).
(Source : Maaloula (XIXe -XXIe siècles). Du vieux avec du neuf. Histoire et identité d'un village chrétien de Syrie, de Frédéric Pichon, Institut français du Proche-Orient, 2010).