5/10/2015
Les maronites de France au défi de l'enracinement
Mgr Maroun-Nasser Gemayel poursuivait samedi 3 et dimanche 4 octobre à Lyon la démarche synodale entreprise au lendemain de son installation.
Si les parents de Jean-Paul se sont installés à Lyon, ça n'est pas seulement parce que Joseph y a décroché un emploi. Cet informaticien y cherchait aussi « une Église maronite vivante », en mesure de transmettre « ses racines » à son fils de 17 ans, né en France. Ce qui n'était pas le cas à Grenoble, où ce couple de Libanais est arrivé en pleine guerre civile. « La transmission de la foi a été réalisée au sein de l'Église universelle, dans une paroisse latine, rapporte Joseph. Mais Jean-Paul ne s'est pas imprégné du rite maronite », regrette son père. En revanche, depuis qu'il fréquente la paroisse Notre-Dame-du-Liban, entre Vénissieux et Lyon, l'adolescent semble vivre plus profondément sa « maronité ».
Une émigration stabilisée
C'est ce type de trajectoire que Mgr Maroun-Nasser Gemayel espère favoriser au cours des années à venir au sein de la communauté maronite de France. « Et non "en France" », souligne son premier évêque, installé en septembre 2012. Si des réfugiés continuent d'arriver en Europe, notamment de Syrie, précise celui qui est également visiteur apostolique en Europe occidentale et septentrionale, l'émigration s'est stabilisée. Mais la communauté de 85 000 fidèles est éparpillée sur le territoire français.
Dès lors, comment constituer une communauté ? « Il nous faut ériger des paroisses, répond Mgr Gemayel. Mais, pour cela, il nous faut des églises. Et, pour faire vivre ces églises, il nous faut des prêtres. » Voilà l'équation à résoudre, pour permettre aux maronites de transmettre aux jeunes générations une « identité » fragilisée par les mariages mixtes, et par la naissance d'enfants enracinés dans la culture et la langue françaises. « Nous ne voulons pas nous ghettoïser, insiste Mgr Gemayel. Mais nous pouvons conserver notre parfum propre. »
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Pas de moyens pour de grands chantiers
Pour l'heure, excepté à Marseille et à Meudon, où a été inauguré le siège de l'Église maronite au printemps dernier, le Patriarcat n'est propriétaire d'aucune des rares églises desservies. Et l'éparchie de France n'a guère les moyens de lancer de grands chantiers. Le denier versé par les fidèles, pour l'essentiel issus de la classe moyenne, est très faible.
La seule possibilité pour les maronites est de célébrer dans des édifices existants. Compréhensive, l'Église latine de France a mis à disposition plusieurs lieux de culte, comme à Lyon. Encore récemment, l'évêque de Créteil a accordé l'usage d'une église. Mgr Gemayel, qui compte sur l'accueil des autres diocèses, est également allé frapper à la porte de plusieurs municipalités, propriétaires d'églises désacralisées, qu'elles pourraient peut-être mettre à disposition.
Cours d'arabe
Pour desservir les églises, les maronites de France peuvent s'appuyer sur huit prêtres, dont la moitié, bien que libanais, sont incardinés à des diocèses de l'Église latine, qui les rémunèrent. Un nombre bien insuffisant au regard des besoins d'une communauté dispersée sur l'ensemble du territoire. « Nous devons produire nos propres prêtres », insiste Mgr Gemayel. L'horizon s'est éclairci depuis que le Vatican a autorisé l'an passé l'ordination d'hommes mariés au sein de la diaspora des Églises orientales vivant en Occident. Deux d'entre eux sont en route vers le sacerdoce.
Reste à célébrer en paroisse selon le rite maronite, malgré le moindre usage en famille de l'arabe – sans parler du syriaque. À son arrivée en 2010 à la paroisse Notre-Dame-du-Liban, le P. Robert Maamary a décidé d'employer largement le français. « Pour les lectures et l'homélie », précise-t-il. Et les chants en arabe sont traduits simultanément sur un écran géant. Mieux, à la demande de nombreux parents, il a décidé cette année de mettre en place des cours d'arabe, avec le soutien des autorités libanaises. Un apprentissage indispensable, pour que les maronites continuent de « témoigner du christianisme en arabe », insiste Mgr Gemayel.
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« Nous n'arriverons pas à créer une paroisse pour chaque rite dans chaque grande ville »
par Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l'œuvre d'Orient et vicaire général de l'ordinariat des catholiques orientaux en France
« La première urgence vis-à-vis des réfugiés qui arrivent de Syrie et d'Irak, notamment, est pastorale : c'est la tâche des Églises maronite, melkite, grecque-orthodoxe, syrienne catholique ou orthodoxe, chaldéenne, arménienne ou éthiopienne aussi – les principales concernées – que de les rejoindre, de leur donner le sentiment d'appartenir à la communauté pour laquelle ils ont fui. Quant à la question liturgique, il est certain que nous n'arriverons pas à créer une paroisse pour chaque rite dans chaque grande ville de France. Les réfugiés peuvent donc se rapprocher de l'Église latine, qui doit les accueillir, les mettre en valeur et éventuellement organiser des célébrations régulières en arabe : célébrer le rite latin en arabe est une pratique courante au Maghreb ou dans les territoires du Patriarcat latin de Jérusalem !
Là où quelques familles d'une même Église orientale sont rassemblées, le bon sens voudrait aussi qu'un prêtre de celle-ci vienne célébrer la messe pour elles une fois par mois par exemple. Chaque patriarche a ses priorités, mais ils ne doivent pas non plus abandonner complètement leur diaspora, qui croît en nombre, pour que, à leur tour, elles aident leur Église dans leur pays d'origine. »
Propos recueillis par Anne-Bénédicte Hoffner
Bénévent Tosseri, à Lyon