8/3/2014-La Libanaise célèbre une énième journée internationale sans droit de transmettre sa nationalité - Suzanne BAAKLINI
« J'ai donné la vie à mes enfants au Liban. Je les ai portés neuf mois dans mon ventre, ils ont hérité de moi bien plus que de leur père. Or je n'ai pas le droit de leur transmettre ma nationalité, alors que mon frère, s'il épouse une étrangère, le fait en un an à peine. Pourquoi ? Qu'a-t-il de plus que moi ? » Ce cri de révolte est celui de Randa Awada, mère de quatre enfants d'un époux pakistanais (qui vit au Liban depuis 45 ans), contre la loi libanaise sur la nationalité qui n'accorde le droit de sa transmission qu'aux hommes. Les enfants de Randa sont toujours à l'école, mais déjà, certains de leurs camarades les traitent d'« étrangers » alors qu'ils ont vécu toute leur vie dans ce pays.
Nadira Nahas n'avait jamais senti le poids que pèserait sur ses deux fils, d'un père américain, son impossibilité à leur transmettre la nationalité de son pays. « Aujourd'hui, mon aîné a 24 ans, il termine des études de médecine à l'AUB, et le premier obstacle auquel il fait face en tant que non-libanais est son incapacité à s'inscrire à l'ordre des médecins et à pratiquer son métier au Liban, déplore-t-elle. Mon cadet qui a 18 ans veut devenir pilote, or la compagnie nationale, la MEA, n'engage que des pilotes libanais. Je n'ai jamais voulu décourager mes fils à suivre les études de leur choix rien que parce qu'ils n'ont pas la nationalité. Mais tout cela est très injuste, ils sont de mère libanaise ! »
Pour Ghada Kaakani, la solution aux problèmes qui rendaient la vie impossible à ses quatre enfants de père palestinien a été radicale : ils sont désormais tous émigrés. « Mes filles aînées, qui n'ont eu la nationalité qu'après leur mariage avec des Libanais, avaient fait face auparavant à de nombreux problèmes au travail, raconte-t-elle. L'aînée a vu des portes se refermer à maintes reprises parce qu'elle est palestinienne. La cadette a enseigné dans plusieurs écoles, elle cotisait à la Caisse nationale de Sécurité sociale sans profiter des services. Les garçons ont dû quitter le Liban pour se construire un meilleur avenir. » Et ce n'est pas tout. « Je ne peux pas léguer mes biens, qui me viennent de mon mari, à mes enfants en raison de l'interdiction du droit à la propriété imposée aux Palestiniens, et cela est, pour moi, un grand motif d'inquiétude », poursuit-elle.
Comme le montrent ces témoignages, les soucis des Libanaises mariées à des étrangers ne se limitent pas à la nécessité de renouveler un permis de séjour aux membres de leur famille chaque quelques années. Le texte de loi sur la nationalité, datant de 1925, omet tout simplement d'évoquer la femme et stipule que « tout homme libanais qui épouse une femme étrangère peut lui transmettre sa nationalité » au bout d'un an, sans aucune autre condition. Ce qui met les Libanaises concernées dans une colère sans nom. « Pourquoi autant de discrimination dans la loi ? s'écrie Nadira Nahas. Le Liban a pourtant ratifié la Cedaw (Convention sur l'élimination de toutes sortes de discrimination contre les femmes) en 1995, mais n'a toujours pas levé la réserve sur la transmission de la nationalité. »
Ghada Kaakani, elle-même mariée à un Palestinien qui est au Liban depuis son tout jeune âge, balaie d'un geste le fameux prétexte de peur de l'implantation qu'on dresse, selon elle, comme un épouvantail pour refuser ce droit aux femmes. « Nous sommes à peine 6 000 Libanaises mariées à des Palestiniens, dit-elle. Et nos enfants sont attachés au Liban. Les unions avec des hommes d'autres nationalités sont bien plus nombreuses. »
« Le droit de transmettre la nationalité est un droit acquis, l'État ne devrait pas le considérer comme une faveur à faire aux femmes », s'insurge Randa Awada.
Une situation stagnante
Un droit acquis. C'est sur cette idée qu'est fondée la campagne « Ma nationalité, un droit pour moi et ma famille », lancée depuis plusieurs années déjà. La dernière tentative de faire adopter un projet de loi équitable sur la transmission de la nationalité en Conseil des ministres remonte à un an à peu près, à la veille de la démission du cabinet Mikati : il s'est heurté à un rapport négatif publié par une commission ministérielle chargée de l'examiner. Depuis, plus grand-chose ne s'est passé, mais les militants de la campagne ne chôment pas pour autant, comme nous l'indique Karima Chebbo, responsable de cette campagne au Collectif de recherche, de formation et de développement – Action (CRTDA).
« La campagne se poursuit quelles que soient les priorités des politiques, souligne Karima Chebbo. On s'étonne que nous continuions à soulever ce problème dans le cadre d'une telle situation sécuritaire. Or une manifestation que nous avons organisée en novembre a prouvé que l'intérêt pour de tels sujets ne se dément pas, à en juger par le millier de manifestants qui ont répondu à l'appel et la couverture médiatique importante. »
Selon la jeune femme, les militants de la campagne ne placent pas beaucoup d'espoir dans le nouveau gouvernement, vu son caractère temporaire, mais envisagent quand même des contacts avec les nouveaux ministres. « La commission ministérielle qui a publié un rapport si négatif la dernière fois n'a présenté aucun argument solide pour étayer son refus, toujours la même bonne vieille rengaine sur le changement démographique, dit-elle. Or de toute façon, la revendication porte sur un droit de la femme libanaise et n'est en aucun cas liée à des statistiques sur la nationalité du mari. »
Karima Chebbo souligne par ailleurs que la campagne n'est pas hostile aux garde-fous dans la loi sur la nationalité, mais refuse le principe des exceptions. « Notre projet de loi ne comporte aucune exception, ni celle de limiter la transmission de la nationalité aux enfants sans le mari, ni celle de priver certaines nationalités de ce droit », explique-t-elle.
La campagne a organisé récemment une série d'assemblées générales dans les régions afin d'entrer en contact avec les femmes concernées sur tout le territoire. De plus, la campagne mobilise ses troupes en prévision de la marche de Kafa pour dénoncer la violence contre les femmes, qui a lieu aujourd'hui 8 mars, du secteur du Musée jusqu'au ministère de la Justice.
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