"Il n'y a plus un seul chrétien à Mossoul, des pans entiers de l'histoire de l'Église disparaissent"
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International Marc Fromager, directeur de la fondation internationale AED (l'Aide à l'Église en détresse) est de passage ce vendredi à Bruxelles. Bon connaisseur du Moyen-Orient (il vient de publier chez Salvator Guerres, pétrole et radicalisme – les chrétiens d'Orient pris en étau), il témoigne de ses inquiétudes quant à la situation sur place, mais aussi de ses doutes face aux manœuvres internationales qui viennent cette région du monde.
On a beaucoup parlé des événements de l'été 2014 avec la prise de Mossoul et de la plaine de Ninive par Daech. Pour les chrétiens sur place, ce fut un tournant ou la situation était-elle déjà extrêmement difficile avant ?
Ce fut un tournant, et cela a eu un impact médiatique important qui a engendré une réelle prise de conscience en Occident. La mobilisation financière des Européens en faveur des chrétiens d'Orient fut d'ailleurs très importante. Nous en avons été les premiers témoins. Pour autant, la situation sur place ne s'est pas détériorée en un seul coup. Il y avait déjà eu un premier tournant en 2003 avec le début de l'occupation américaine. C'est alors que l'on a commencé à voir des attentats contre les chrétiens.
Sur place, les chrétiens sont-ils persécutés en tant que chrétiens, ou le sont-ils parce qu'ils ne sont pas musulmans ?
Il y a les deux. Notons tout d'abord qu'il n'y a pas que les chrétiens qui souffrent. Toute la population locale souffre et est forcée de migrer. En Irak, la plupart des victimes sont d'ailleurs musulmanes tant elles subissent la guerre entre les chiites et les sunnites. Proportionnellement cependant, les chrétiens qui représentent 1 % de la population irakienne souffrent plus que les autres. Ils souffrent plus parce qu'ils sont une petite minorité, parce que personne n'est là pour les défendre, et parce que l'on arrive au stade où ils sont sur le point de disparaitre. Traditionnellement également, les chrétiens relevaient plus de la classe moyenne, et ils étaient du coup visés parce que leur niveau de vie était peut-être un peu au-dessus de celui de la population irakienne. On les visait donc plus pour des rançons que par haine de leur foi. Aujourd'hui cependant, on peut imaginer que de par la radicalisation de l'islam qui s'opère au Moyen-Orient, la volonté de les faire disparaître parce qu'ils sont chrétiens est réelle. Quand l'État islamique a pris la plaine de Ninive, ils ont proposé trois options aux chrétiens : se convertir, fuir, ou être tués. Concrètement donc, il n'y a plus de place pour les chrétiens sur place, comme il n'y a plus de place non plus pour les yézidis ou pour les musulmans qui n'acceptent pas l'islam radical.
C'est un drame humain, mais culturel et historique également.
Rappelons que si le christianisme est né en Terre sainte, les premières communautés ont très vite essaimé en Syrie, en Irak, en Égypte et même dans la péninsule arabique. Mossoul était une des grandes capitales chrétiennes du Moyen-Orient. Il y avait 45 églises, des monastères, des manuscrits précieux et toute une histoire sainte extrêmement chargée. Aujourd'hui, il n'y a plus un seul chrétien à Mossoul. Ce sont des pans entiers de l'histoire de l'Église, mais aussi de ces régions qui disparaissent.
En septembre 2013, le Pape François a demandé une journée de prière et de jeûne pour la paix en Syrie. N'a-t-il pas pêché par naïveté ? N'aurait-on pas pu arrêter Daech à l'époque ?
Depuis le début de la guerre en Syrie, il y a une volonté manifeste de l'Occident de s'aligner sur le projet de la péninsule arabique qui consiste à éliminer Bachar al-Assad. Pour l'Arabie Saoudite et le Qatar, il s'agit de casser l'axe irano-chiite qui va de l'Iran au Liban (Hezbollah) et de mettre des sunnites (la Syrie est majoritairement sunnite) au pouvoir à Damas. Là-dessus se rajoute un projet de gazoduc qatari contrarié par la Syrie et qui nécessite également de se débarrasser du président syrien. Pour les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, il y a à la fois le projet de remodelage du Moyen-Orient (déjà réalisé en Irak) et un alignement évident sur la péninsule arabique pour des intérêts financiers (vente d'armes, rachat de la dette, investissements).
En septembre 2013, la France, missionnée par les Américains, devait bombarder la population syrienne pour affaiblir l'État syrien. Ce qui a bloqué l'opération, ce sont avant tout les Russes, opposés à cette coalition arabo-occidentale et qui ont menacé de déclencher la 3e guerre mondiale tout en brouillant avec succès des tirs de missiles américains. Si le Pape a demandé cette journée de prière et de jeûne, c'est justement parce qu'il était bien renseigné et que le Vatican avait bien évalué l'importance de la menace.
Aujourd'hui, si l'on évoque la notion de guerre juste développée par l'Église catholique, peut-on penser qu'une coalition armée contre Daech soit légitime ?
Ce n'est pas la mission de l'Église que d'émettre des avis stratégiques. Il n'y a jamais de directives venant du Vatican pour lancer des opérations militaires. L'Église milite pour la paix et donc le plus souvent contre des ingérences qui en général ne sont pas reconnues comme étant légales, admises et encouragées par la communauté internationale. Or, la plupart des ingérences occidentales et principalement américaines de ces 25 dernières années ont été illégales. L'ingérence arabo-occidentale actuelle en Syrie consiste simplement à renverser un État souverain, sans mandat international. On ne voit pas comment cela pourrait relever de la notion de guerre juste. Les Russes de leur côté se battent contre tous les groupes rebelles, et ce à la demande de l'État syrien. Cela contrarie nos plans, on peut très bien ne pas être d'accord, mais force est de reconnaître qu'ils respectent le droit international. La question qu'il faut se poser, me semble-t-il, est de savoir ce à quoi aspire la population syrienne. J'y étais fin août, elle aspire à la paix et on ne voit pas comment la paix pourrait surgir sans renforcement de l'État syrien et anéantissement de la rébellion. Une fois la paix revenue, la population syrienne pourra toujours décider de son avenir politique. C'est cela l'ordre de la séquence, et pas le contraire. Notre stratégie consiste à défendre nos intérêts et aucunement le bien de la population syrienne dont tout le monde se moque éperdument.
Au vu des accusations qui pèsent sur le régime de Bachar al-Assad, peut-on encore le considérer comme légitime? Est-il possible de combattre à ses côtés comme le fait la Russie?
Comme dans la plupart des pays de la région, le régime est dictatorial. Je rappelle néanmoins que le président syrien était l'invité de la France pour sa fête nationale en 2008 et qu'il n'a pas changé de régime politique depuis. Le pays est maintenant plongé dans une guerre civile, quoique cette définition puisse être largement discutée. Après tout, la rébellion est essentiellement composée de mercenaires étrangers venant de 86 pays, armés et financés par des puissances étrangères. La priorité encore une fois est de mettre un terme à cette guerre et le bon sens consisterait déjà à écouter la population syrienne, qui aujourd'hui sait qu'elle n'a le choix qu'entre le renforcement de l'État syrien ou la victoire de l'État islamique. Dans ces conditions, il semblerait que l'option russe soit la seule valable pour le moment et on ne voit pas très bien pour quelle raison il ne serait donc pas possible de se rapprocher de la Russie.