« Le discours salafiste séduit les femmes et facilite leur recrutement par Daech »
La Croix : Quel est le modèle que Daech propose aux femmes musulmanes ? Et pourquoi séduit-il un nombre croissant d'entre elles ?
Hasna Hussein : La propagande officielle de Daech (magazines, vidéoclips ou anasheed, chants islamiques) montre la femme (de) djihadiste comme une « élue », « pieuse » et « modèle » de dévouement à son djihadiste d'époux, d'« endurance » aussi. Les femmes doivent obéir d'une manière absolue à leur mari, se contenter de leurs rôles d'épouse et de mère en se consacrant entièrement à l'éducation et l'élévation des « futurs-djihadistes ». Certaines femmes vont encore plus loin en appelant leurs homologues à accepter la polygamie, ou encore en « légitimant » l'esclavage sexuel. En outre, ce discours se caractérise par la « légitimation » du recours à la violence extrême.
Or, selon les dernières statistiques de l'Unité de Coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), 30 % des personnes signalées comme radicalisées en 2016 sont des femmes, et un nombre significatif d'entre elles sont mineures. Comment des fillettes peuvent-elles être séduites par une idéologie à la fois meurtrière, sexiste et même misogyne ? Pourquoi des femmes souvent nées et élevées en France rejettent un système « égalitaire » où elles disposent de droits et protections ? C'est une question qui me préoccupe en tant que sociologue du genre dans les sociétés musulmanes.
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Quel est le terreau susceptible de favoriser cette adhésion ?
Hasna Hussein : On peut émettre l'hypothèse que ces femmes ont toutes embrassé l'idéologie salafiste avant leur endoctrinement. Cela ne signifie pas que tous les salafistes adhèrent à l'idéologie violente de Daech, beaucoup la rejettent même. Mais nous devons nous poser sans détours la question de ce que la salafisation de la pensée islamique depuis le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication a induit.
Cet islam ultra-rigoriste n'est-il pas censé ne s'intéresser qu'à la pureté et à la piété ?
Hasna Hussein : Les rayons des librairies islamiques de la rue Jean-Pierre Timbaud, dans le 11e arrondissement à Paris, sont éclairants : on y trouve des articles de mode, de parfumerie et d'alimentation, le tout portant label « islamique », comme ces dernières collections de nounours « halal » sans yeux, baptisés Salah (« le vertueux », en arabe). Les titres des ouvrages, surtout, sont révélateurs : « Les secrets du hidjab. Voile et tenue vestimentaire de la Femme en Islam » ; « Main dans la Main pour ta réussite, mon cher Mari » ; « Ma sœur, voilà comment Allah et Son Messager veulent que tu sois ! » ; « Femme musulmane, voici les clés pour accéder au Paradis et te sauver de l'Enfer » etc.
On ne peut s'empêcher d'y trouver un écho au slogan de l'« État islamique » selon lequel « La femme musulmane est la reine chez elle » ainsi qu'à son discours de supériorité à l'égard des femmes musulmanes, par rapport à son contre-modèle ; « la femme occidentale », présentée comme antinomique. Les auteurs et religieux sont assez souvent saoudiens, même si la plupart de ces ouvrages sont édités en France par les éditions « Al Madina » à Paris ou « Dar Al Muslim » à Lyon, ou en Belgique avec « Al-Hadîth » à Bruxelles.
Quel est le risque de ce type de littérature ?
Hasna Hussein : Il nourrit une pensée monomorphe et conformiste de l'image des femmes et de leurs rôles dans la société. Il favorise le développement d'une vision duelle du monde dans laquelle les autres modèles féminins sont rejetés, le titre de « pieuse » n'étant attribué bien évidemment qu'à celle qui se conforme aux codes explicités dans ces ouvrages. Or, c'est exactement ce que prône le discours de Daech sur les femmes, afin de convaincre celles-ci d'adhérer à son idéologie radicale violente.
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Il est indispensable de protéger nos jeunes et de les immuniser contre toute sorte de manipulation cognitive par des idéologies radicales violentes. Car l'approche sécuritaire dans la lutte contre le terrorisme est insuffisante. Il est important de s'attaquer au socle idéologique qui sert de base à la mouvance djihadiste. Il est indispensable que les autorités et les représentants de la communauté musulmane en France s'intéressent beaucoup plus directement à cet aspect, car il s'agit d'une forme d'atteinte aux droits des enfants et à l'égalité selon le genre qui constitue un principe fondamental de la République.
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