Quel est le sens de votre visite en France ?
Mgr Fouad Twal : C'est ma première visite officielle en France que je remercie pour sa collaboration, sa présence au Moyen-Orient. Le consulat de Jérusalem fait beaucoup pour les chrétiens du Moyen-Orient. Historiquement, la France est la protectrice de ces chrétiens et, à Jérusalem, elle aide une quarantaine de congrégations religieuses. Je demande à la France d'avoir un rôle plus politique et pas seulement financier et matériel. La France aide l'Autorité palestinienne, elle nous aide en Jordanie pour les réfugiés syriens. Mais la question israélo-palestinienne est le monopole des États-Unis et d'Israël. Nous avons confiance en l'Europe et en la France et nous voudrions qu'elles s'engagent davantage. Les États-Unis et Israël les laisseront-ils faire ?
Y a-t-il des avancées sur le dossier israélo-palestinien ?
Je prie pour que cela avance. Le secrétaire d'État américain, John Kerry, fait beaucoup de va-et-vient au Proche-Orient. Mais tout cela dure beaucoup trop. L'occupation israélienne dure depuis soixante-cinq ans. Et malgré les visites, les promesses, sur le terrain, la situation s'aggrave à cause des constructions israéliennes dans les Territoires palestiniens qui empêchent toute continuité d'un futur État. Il y a des pays qui veulent gérer le conflit et non pas le résoudre. Je suis sûr qu'avec de la bonne volonté, on pourrait le résoudre une fois pour toutes.
Que préconisez-vous pour parvenir à une solution ?
Je ne voudrais pas que les États et les dirigeants politiques se contentent d'une victoire momentanée avec une vision à court terme, je voudrais qu'ils aient une vision à long terme et se demandent comment dans vingt, trente ans, ils pourront assurer la paix pour nos enfants. Il faut donner confiance à la population. Nous nous réunissons avec les rabbins d'Israël et tous les patriarches de Jérusalem au sein du conseil des institutions religieuses. Mais quand on revient à la vie quotidienne des Palestiniens, l'occupation et les check-points, la fermeture des portes de Jérusalem, ruinent notre dialogue avec nos amis juifs. J'aimerais qu'Israël fasse des gestes concrets pour gagner la sympathie des Palestiniens.
Comment le printemps arabe rejaillit-il sur les chrétiens de Palestine ?
Le printemps arabe a très bien commencé. Les manifestants réclamaient dignité, liberté, travail. Ce que nous avions demandé lors du Synode des évêques. Le printemps arabe était un mouvement sain et authentique qui a été détourné et récupéré par d'autres groupes, dont les Frères musulmans. Bien organisés, ils ont gagné les élections. En Syrie, le gouvernement de Bachar Al Assad doit faire des réformes, mais changer un régime au prix de 93 000 morts, ce n'est pas acceptable. Nous ne pouvons pas être indifférents devant tant de souffrances, de violence. Je préfère vivre avec un dictateur plutôt que payer ce prix. Quelle garantie avons-nous que celui qui remplacera le régime syrien sera meilleur ? N'avons-nous pas l'exemple de l'Irak ? Tous les extrémistes de Jordanie vont se battre en Syrie pour faire tomber le régime en collaboration avec la communauté internationale. Tous sont conscients qu'ils se sont engagés dans une aventure sans retour. On parle maintenant d'une solution politique, c'est un peu tard.
Comment voyez-vous l'avenir des chrétiens au Proche-Orient ?
Ils aspirent comme tout le monde à la liberté, ils doivent être intégrés à 100 % dans la vie politique et économique de leur pays et contribuer à son développement. En Jordanie, les chrétiens représentent 3-4 % de la population mais pèsent beaucoup plus dans la vie économique et politique. Les chrétiens ne doivent pas avoir le complexe de la minorité.
À Gaza, une loi oblige à séparer garçons et filles dans les écoles du Patriarcat qui a protesté. Est-ce une menace pour la participation des chrétiens à la société palestinienne ?
Nous avons trois écoles à Gaza qui accueillent des chrétiens et des enfants des responsables du Hamas et du Fatah. Nous avons déjà séparé les garçons des filles dans une même classe. On exige aujourd'hui des écoles séparées pour les garçons et les filles. Nous ne sommes pas d'accord sur le principe, mais nous ne fermerons jamais les écoles à cause de cela. Je vais aller en discuter à Gaza avec les responsables du Hamas.
Concernant l'accord économique en passe d'être conclu entre Israël et le Saint-Siège, des communautés religieuses craignent pour leur avenir en Terre Sainte. Partagez-vous ces inquiétudes ?
Les Ottomans, les Britanniques, la Jordanie et Israël, pendant vingt ans, ont respecté le statu quo exemptant de taxes les Églises. Aujourd'hui Israël veut les taxer. Depuis le premier accord de 1993, le Saint-Siège a fait tout ce qu'a demandé Israël, qui ne l'a, lui, jamais ratifié. Quel que soit l'accord signé, il y aura des réactions de la part de nos fidèles. Mais que l'on paye un peu plus ou un peu moins… ce n'est pas grave. Ce qui menace les communautés chrétiennes, c'est l'occupation militaire, le chômage, la peur de l'avenir.
Vous avez rencontré le nouveau pape François. Le sentez-vous sensible à la question des chrétiens d'Orient ?
Il est concerné et connaît la situation par les chrétiens qui ont quitté le Moyen-Orient pour l'Argentine et dont il a été l'ordinaire. C'est un homme d'écoute. Il a manifesté le désir de venir chez nous et nous l'avons invité. Je pense qu'il viendra, mais je ne sais pas quand.