François, qui arrive vendredi à Ankara avant de se rendre à Istanbul, rencontrera des réfugiés venus d'Irak.
Avec ses 58 prêtres et ses 53.000 fidèles, l'Église catholique de Turquie a la modestie d'un diocèse rural français, mais elle a l'ampleur d'un passé immense avec l'apôtre saint Paul et une vocation interreligieuse unique. C'est cette grandeur dans la petitesse que François vient stimuler, vendredi à Ankara, la capitale. Puis ce week-end à Istanbul. Son retour à Rome étant prévu dimanche soir. Ce pape s'inscrit dans la voie de trois de ses prédécesseurs, puisque Paul VI visita ce pays dès 1967, Jean-Paul II en 1979 et Benoît XVI en 2006.
Sur un plan personnel, le contexte de l'arrivée du pape argentin est moins conflictuel que le fut celui de Benoît XVI. Le pape allemand avait été très fraîchement accueilli deux mois après ses déclarations de Ratisbonne sur l'islam et la violence. Mais, aujourd'hui, ce ne sont plus les trois mots de trop dans un discours académique qui enflamment le paysage, mais les milliers de morts de la cynique furie violente et barbare commise au nom de… l'islam. Et ce aux frontières syriennes et irakiennes de la Turquie, dont beaucoup s'étonnent qu'elles soient si poreuses pour des jeunes islamistes européens candidats au djihad.
Une rencontre avec les réfugiés?
Cette actualité donne à ce sixième voyage international de François une dimension géopolitique majeure. Depuis cet été, le Pape a en effet cherché toutes les occasions pour rencontrer des réfugiés de ce conflit. Si les conditions de sécurité avaient été assurées, l'avion papal se serait même posé à Erbil, au nord de l'Irak, lors de son retour de Corée en août dernier. Pour la Turquie, le Pape a demandé qu'on lui organise depuis Ankara, au centre du pays, une excursion rapide vers les frontières dans un camp de réfugiés, mais, sauf surprise, il semble ne pas avoir eu gain de cause. Les réfugiés étant partout - 1,6 million en Turquie -, François en rencontrera donc autour des célébrations religieuses prévues dans les deux villes.
Une dimension humanitaire que ce pape, défenseur des droits de l'homme, comme il vient encore de le démontrer cette semaine à Strasbourg, va donc honorer. Mais ira-t-il jusqu'à pointer les étranges ambiguïtés de la conception de l'islam promue par son hôte présidentiel, Recep Tayyip Erdogan? C'est l'autre dimension de ce déplacement. Si François soutient comme ses prédécesseurs l'importance d'un dialogue avec l'islam, pourra-t-il ne serait-ce qu'évoquer les conséquences de la bienveillance passive du régime turc face aux islamistes, que les principaux responsables religieux musulmans turcs condamnent nettement?
Car, de ce point de vue, la Turquie est un laboratoire des mutations actuelles de l'islam. François - avant même d'aller au palais présidentiel flambant neuf d'Erdogan et sa grande mosquée de 5000 places - commence son séjour vendredi par le mausolée d'Atatürk, décédé en 1938 et premier président de la république turque. C'est lui qui imposa un régime laïque drastique abandonnant l'islam comme religion d'État, imposant le dimanche et non plus le vendredi comme jour de repos, interdisant le voile et la polygamie. Des acquis implicitement remis en cause comme une tentation qui hante le président Erdogan, qui fut destitué en 1998 de la mairie d'Istanbul en raison de ses prises de position pro-islamistes…
La Turquie, comme tous les pays musulmans du grand arc méditerranéen, est donc à un tournant. Voilà le piment de cette visite. Elle est travaillée par les affres des sociétés musulmanes tiraillées entre l'islam politique pur et dur et un islam occidentalo-compatible. Et ce n'est pas la part microscopique des chrétiens - toutes confessions confondues, catholiques et orthodoxes représentent moins de 1 % de la population, et beaucoup sont des étrangers - qui pèsera dans ce bouillonnement qui prépare l'avenir de l'islam.
Envoyé de mon Ipad