Lors d'une rencontre avec quatre diplomates occidentaux visant à procéder à une évaluation de la situation en général et des facteurs qui bloquent toujours l'élection présidentielle, un vétéran de la diplomatie libanaise, invité par ses hôtes à faire sa propre lecture des événements, a répondu ce qui suit : la priorité absolue du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, est la lutte contre le terrorisme, et non la présidentielle. Partant, les députés du Hezbollah boycottent les séances électorales et se cachent, pour justifier leur positionnement, derrière la posture du chef du Courant patriotique libre (CPL), Michel Aoun. Le député du Kesrouan refuse lui-même de prendre part aux séances, ayant fixé des conditions à sa participation, en l'occurrence le retrait de la candidature du député Henri Hélou, de sorte qu'un face-à-face l'oppose strictement au président des Forces libanaises, Samir Geagea. Michel Aoun souhaite imposer aux leaders musulmans l'élection d'un chef maronite fort et d'un président fort, d'où l'idée du sondage proposé par le CPL pour confirmer la popularité de son chef. Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, aurait proposé que le sondage se limite à la rue maronite, et les contacts vont bon train pour trouver des sociétés crédibles afin de mener cette entreprise, et pour se mettre d'accord sur un mécanisme et sur la manière de poser les questions.
Des sources proches de Rabieh affirment que le chef du CPL mise sur les mutations attendues dans la région après la signature de l'accord sur le nucléaire iranien. Michel Aoun pense, selon ces sources, que la région s'oriente vers une nouvelle voie, en l'occurrence vers un marché politique américano-iranien qui se mettrait en place au lendemain de la signature de l'accord. Or ce marché, estime-t-il, devrait nécessairement aboutir à l'élection du candidat soutenu par le Hezbollah, celui qui aurait adopté la ligne et le projet de la résistance. Sleiman Frangié n'a-t-il pas déclaré, lors d'un récent entretien télévisé, que « tout le monde attend les résultats des développements »? N' a-t-il pas clairement annoncé qu'au final, l'un des deux projets, 14 ou 8 Mars, doit l'emporter sur l'autre, et que c'est cela qui déterminera l'identité du prochain président de la République ? Quant aux autres composantes, 14 Mars, centristes et indépendants, elles participent aux séances, sans pouvoir assurer le quorum des deux tiers. Tout le monde attend donc les développements et l'accord sur le nucléaire pour que la situation se débloque.
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Un consensus général se serait dégagé de la réunion avec les quatre diplomates après cet exposé : le pari de certains chefs politiques sur le résultat des développements extérieurs est faux. Ces chefs œuvrent au service de parties extérieures et accordent la priorité à ces parties au lieu de songer d'abord à l'intérêt national. C'est une mauvaise tactique que de se mettre au service d'un agenda extérieur en pensant que la victoire de l'une des deux options permettra au candidat de l'option triomphatrice d'arriver au pouvoir, selon ces diplomates. Au contraire, le candidat à la présidentielle devrait être consensuel et représenter le résultat d'une entente, pas d'un choc. Sans compter que dans le pays, disent-ils, il y a énormément de capacités humaines, et que nombreux sont ceux qui peuvent assumer les responsabilités les plus importantes, hors du cercle politique. Dans les milieux diplomatiques, l'on s'étonne en effet de la capacité des leaders locaux à manquer l'opportunité internationale qui se présente à eux de libaniser l'échéance, à l'heure où la planète entière invite les responsables à élire un président au plus vite.
Selon un responsable occidental citant le secrétaire d'État US, John Kerry, après la signature de l'accord sur le nucléaire, l'attention devrait se reporter essentiellement sur la crise libanaise et l'élection présidentielle. Le Liban ne peut plus attendre indéfiniment, et certainement pas la résolution des crises syrienne, irakienne et yéménite, qui ne sont pas pour demain. En tout état de cause, la solution à la crise libanaise ne saurait être liée à la crise syrienne. Au contraire, les efforts se concentrent actuellement sur la nécessité de séparer le Liban des autres crises de la région, notamment de la guerre en Syrie.
Une autorité financière révèle de son côté que cette position américaine est le résultat d'une dynamique menée par le Vatican d'une part et par des efforts communs franco-russes de l'autre, visant à débloquer l'échéance présidentielle. Ces efforts sont venus s'ajouter au soutien saoudien à l'élection, sur base du fait que le Liban n'en peut plus, et que le vide commence à se répercuter négativement sur la stabilité, désormais précaire compte tenu de la situation à la frontière est. Il est donc plus que jamais nécessaire d'élire un président et de redynamiser les institutions, notamment la Chambre des députés et le Conseil des ministres. Le cri lancé par les instances économiques le 25 juin dernier au Biel est suffisamment expressif : le pays n'est plus loin de l'effondrement, et nombre d'institutions sont en train de fermer leurs portes en raison de la crise économique. Le coupable est la paralysie institutionnelle, qui se répercute à tous les niveaux de l'État.
Des sources bien informées indiquent que l'émissaire français Jean-François Girault devrait se rendre à Téhéran après la signature de l'accord sur le nucléaire pour tenter de palper les orientations du directoire iranien pour l'étape à venir. La République des mollahs maintiendra-t-elle des positions en flèche ou bien prendra-t-elle le chemin de l'ouverture et des négociations, notamment vis-à-vis de Riyad? Des sources diplomatiques font état, dans ce cadre, d'efforts menés par Moscou pour rapprocher l'Arabie et l'Iran, et provoquer une rencontre entre les chefs de la diplomatie des deux puissances régionales, Adel Jubeir et Mohammad Javad Zarif, auxquels pourrait se joindre Laurent Fabius. Cette médiation russe pourrait déterminer une nouvelle voie dans la région, et la présidentielle au Liban pourrait marquer le premier signe de l'ouverture iranienne. À la lumière des résultats de sa visite à Téhéran, Jean-François Girault devrait décider de se rendre au Liban ou de renvoyer sa visite à une date ultérieure. Des sources diplomatiques bien informées assurent qu'il existe une volonté nette de débloquer la présidentielle avant le mois de septembre. Une décision aurait été prise dans ce sens, selon plusieurs autorités qui reviennent de visites dans multiples capitales occidentales. L'escalade du général Aoun serait liée à ces données : en mobilisant sa rue, le chef du CPL chercherait à coincer son allié, le Hezbollah, ses alliés chrétiens du 8 Mars et son nouvel « ami », Samir Geagea, et torpiller tous les efforts de solution actuellement menés. Une initiative fortement déplorée par Bkerké, qui aurait déconseillé au député du Kesrouan de se lancer dans cette entreprise.
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