Un village qui est un lieu saint, pas seulement pour les chrétiensAnita Bourdin
ROME, 3 décembre 2013 (Zenit.org) - Des religieuses orthodoxes ont été enlevées en Syrie, à Maaloula, dans la nuit du 1er au 2 décembre, la nouvelle a été confirmée le 2 décembre par le patriarcat grec-orthodoxe et par le nonce apostolique à Damas. Les otages seraient au nombre de cinq (et non pas 12), a indiqué ce mardi 3 décembre, Mgr Audo au micro de Radio Vatican.
Les rebelles syriens sont entrés dans le monastère orthodoxe Sainte-Thècle (Mar Takla) de Maaloula et ils ont emmené de force un groupe de religieuses.
Maaloula est un village chrétien, dans la montagne, à 55 km au nord-est de Damas. La population parle encore la langue de Jésus, l'araméen. Un tiers de la population est musulmane sunnite. Le monastère abritait 40 sœurs et des orphelins.
Le nonce apostolique, Mgr Mario Zenari a déclaré le 2 décembre qu'il s'agissait de « religieuses syriennes et libanaises » et qu'il semble que « les rebelles djihadistes les aient emmenées dans le nord, vers Yabroud ». Il ajoute que « l'on ne connaît pas encore les motifs de cette action : comme otages ou pour s'emparer du monastère et contrôler tout le village ».
Malgré le danger, dit-il, les soeurs avaient choisi « de rester et de témoigner ». Mgr Zenari, espère qu'elles soient bien traitées et en lieu sûr : « c'est notre souhait et notre prière ».
« C'est très inquiétant ce qui se passe actuellement », déclare Mgr Zenari, préoccupé pour toute la population syrienne, notamment les chrétiens, après de nombreuses attaques: il n'est pas rare que des rebelles entrent dans un village et contraignent les chrétiens à fuir. Les églises sont souvent profanées, les objets religieux détruits, résume Radio Vatican.
Mgr Antoine Audo, évêque d'Alep des Chaldéens et président de Caritas Syrie précise, toujours à Radio Vatican, ce 3 décembre, qu'il s'agit de la supérieure des sœurs et de quatre religieuses. Il confirme qu'elles ont été emmenées en otage à Yabroud, mais qu'aucune nouvelle n'est parvenue depuis. « J'espère que les sœurs soient libérées rapidement », ajoute Mgr Audo.
Il souligne que Maaloula est un « symbole important non seulement pour les chrétiens mais aussi pour les musulmans de Syrie et du Moyen-Orient parce qu'ils savent qu'on y parle encore aujourd'hui la langue du Christ, un dialecte araméen, c'est pourquoi les gens sont frappés par cet événement ».
L'évêque précise que les religieuses appartiennent à un « monastère orthodoxe traditionnel » c'est-à-dire où l'on « pratique beaucoup la miséricorde », d'où l'accueil des orphelins. Le pèlerinage, ajoute-t-il, « est très fameux » : « En Syrie, tout le monde va en pèlerinage à Maaloula et Saidnaya. Surtout pour la fête de la Croix, le 14 septembre, sur la montagne de Maaloula »
Pour ce qui est des raisons de l'enlèvement, il est dû « à la guerre » : « Nous, en tant que chrétiens, comme Eglise en Syrie, nous ne voulons pas que ce soit une guerre contre les chrétiens, parce que nous voulons être une présence de réconciliation et de cohabitation. Voilà notre vocation. Nous ne voulons pas de provocation avec les musulmans ».
Pourtant, les chrétiens se sentent « menacés » désormais parce que attaquer Maaloula c'est « toucher à un lieu saint de la chrétienté » et « personne, jusqu'à aujourd'hui, depuis des siècles, n'a jamais fait une chose semblable à Maaloula, un lieu chrétien, saint pas seulement pour les chrétiens, mais aussi pour tous les autres ».Les rebelles ont conquis le village, après cinq jours de combats, dans la nuit de dimanche à lundi, à l'aide d'explosifs notamment. Ce seraient des djihadistes du Front al-Nusra lié à Al-Qaïda. Un premier assaut, le 9 septembre dernier, avait été repoussé par l'armée syrienne qui avait repris le contrôle du village.
Le patriarche melkite, catholique, Gregorios III Laham est lui aussi inquiet après la prise de Maaloula. Lors de la rencontre, samedi, 30 novembre, au Vatican, avec le pape François, il avait déclaré: « Nous sommes décidés à rester sur cette terre bénie même au prix du martyre et du martyre par le sang. C'est ce qui est déjà arrivé à certains de nos fidèles, comme les trois hommes de Maaloula, Michael Taalab, Antonios Taalab et Sarkis Zakhem : ce sont des vrais martyrs qui ont été tués après avoir refusé de renier leur foi » (cf. Zenit de ce 3 décembre pour le texte intégral).
Radio Vatican fait état de 9 millions de déplacés parmi la population syrienne, dont plus de 1, 2 million au Liban, dont 42 000 chrétiens. Les chrétiens seraient – toutes confessions confondues - 450 000 à avoir choisi de partir à l'étranger. Plus de 1200 auraient perdu la vie et 60 églises auraient été endommagées.
Ses convictions, le P. Fadi Daou le sait, sont loin de tomber sous le sens dans son propre pays, le Liban. « Nous ramons à contre-courant », admet ce prêtre de 42 ans, figure atypique de l'Église maronite, dont il coordonne les relations œcuméniques et interreligieuses. Sa notoriété, cet universitaire au tempérament discret la doit surtout à la fondation Adyan, qu'il a créée en 2006 avec une poignée d'amis chrétiens et musulmans, tous convaincus de l'urgence de « trouver un espace d'engagement commun ». Elle n'a cessé de croître et emploie aujourd'hui douze personnes à plein-temps.
Associer druzes, sunnites, chiites et chrétiens de différentes Églises
En dépit des tensions qui traversent toujours, vingt-trois ans après la fin de la guerre civile, la société libanaise, cette organisation a fait le pari d'associer druzes, sunnites, chiites et chrétiens de différentes Églises autour de ses projets. C'est peut-être dans le domaine éducatif qu'ont eu lieu les avancées les plus spectaculaires : l'équipe du P. Daou a réussi le tour de force de faire signer une charte aux diverses communautés religieuses du pays, il y a un an. « Le gouvernement nous a confié un mandat pour réformer le programme scolaire, afin de repenser notre mémoire commune, souvent parcellaire, de façon à poser les fondements d'une nouvelle éducation à la citoyenneté. »
En cause : l'enseignement « tronqué », selon lui, de l'histoire dans les lycées, dont les programmes passent sous silence les faits postérieurs à l'indépendance du pays, en 1943. « Les élèves ignorent tout des années heureuses et méconnaissent la guerre, déplore-t-il. La mémoire du conflit n'est cultivée que par ceux qui l'ont conduite, ou par ceux qui voudraient reprendre les armes. Nos jeunes ne savent rien du tribut que nous avons payé. »
Manque d'autocritique de la part des chrétiens
Lucide, il n'hésite pas à ébrécher sa propre communauté, les chrétiens ayant été, à ses yeux, victimes et coupables des errances qui ont plongé le Liban dans le chaos. « C'est un travail sur soi auquel chacun doit se confronter. Aucun dialogue authentique ne peut naître sans un dialogue préalable avec soi-même. Notre drame repose sur un manque d'autocritique, qui empêche toute réconciliation. »
À en croire le président d'Adyan, qui fédère 760 jeunes autour de sa démarche, les Libanais sont de plus en plus conscients de la nécessité de ce travail de fond. À la faveur des cours de théologie qu'il dispense par ailleurs aux séminaristes, le P. Daou constate que les mentalités évoluent : « Nous savons ce qui nous a détruits. Il nous faut l'étudier pour ne pas le revivre », professe ce pédagogue dans l'âme, titulaire d'un DEA en philosophie politique et d'un doctorat en théologie, tous deux soutenus en France.
Les religions, vecteur de cohésion
Qu'il se penche sur les enjeux interculturels de la mondialisation ou sur l'inculturation du christianisme au sein du monde arabe, le P. Daou s'attache à voir dans les religions un vecteur de cohésion. « Elles font partie de notre problème, mais elles peuvent contribuer à le résoudre. »
S'il se défend d'être un utopiste, il croit que son pays peut se relever. Dans les années 1970, argumente-t-il, les Libanais évoluaient dans une société plutôt moderne et aisée, sans oser affronter leurs différences. Tout s'est inversé après la guerre, chacun ne voyant plus l'autre qu'à travers un prisme religieux.
« La plupart des Libanais restent modelés par les conséquences néfastes de ce communautarisme mais ils sont de plus en plus nombreux à se défaire de cette peur », avance le patient conciliateur, dont la vocation a germé sur les cendres de la guerre, lorsque, désireux de « reconstruire l'âme » de son peuple, il abandonna ses velléités politiques au profit de la prêtrise.
Pour se consacrer tout entier à son ministère, cet Oriental a fait le choix du célibat. À l'heure où des milliers de réfugiés syriens affluent au pays du Cèdre – en particulier ces jeunes dont « il faut sauver l'enfance » – il ne compte pas ses heures, soucieux d'aider ce peuple en exil à ne pas céder au piège de la radicalisation : « La guerre la plus importante, c'est en soi-même qu'elle se gagne. »
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Son inspiration
À l'école du « Gandhi musulman »
Admiratif de Bacha Khan (1890-1988), surnommé le « Gandhi musulman » en raison de son opposition non-violente à la domination britannique sur les Pachtounes dans l'actuel Pakistan, le P. Fadi Daou raconte avoir forgé ses convictions auprès de ceux qui ne partagent pas sa foi. Son prochain ouvrage en français, L'Hospitalité divine, coécrit avec une intellectuelle musulmane, Nayla Tabbara, éclaire cette théologie de la rencontre qui le pousse « à reconnaître des signes évangéliques chez les autres croyants ».
Après la guerre, convaincu que le « communautarisme vide la foi de son sens », il a fait le choix de s'établir parmi les musulmans, à l'ouest de Beyrouth, où les tensions entre chiites et sunnites sont récurrentes. Ses proches s'inquiètent mais il répond : « Ma seule route, c'est Dieu. »
François-Xavier Maigre (à Beyrouth)