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La Perse, au commencement de la chrétienté orientale
Il s'agit d'une page largement méconnue de l'histoire de l'Iran. Dès le commencement, des Persans furent témoins de la Pentecôte. Les Actes des Apôtres (II, 9) mentionnent parmi les peuples présents à cet évènement les Élamites, les Parthes et les Mèdes.
Après la naissance de Jésus à Bethléem, des « mages d'Orient » sont venus lui rendre hommage. Or un de ces trois mages reposerait, dit-on, dans l'église nestorienne Mart Mariam à Ourmiah, située au cœur de la ville. Décrite par les spécialistes, cette église est considérée comme l'une des plus vieilles églises de la chrétienté. Une princesse chinoise nommée « Bafri » la visita et finança sa reconstruction en 642. C'est chose plausible, car à cette époque, l'Église d'Orient était prospère et présente en Chine. Selon des experts, le nom de cette princesse figurait sur le mur de l'église jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale. Marco Polo aurait visité cette église qui frappe par son architecture typique et son ancienneté. C'est un lieu fréquenté par les musulmans iraniens, y compris par des personnalités politiques. L'ancien président Khatami l'a visité en septembre 2001 et signé son livre d'or.
Une Église historique en Perse
Beaucoup de traditions, voire de légendes, entourent l'histoire du christianisme dans ce pays lors des tout premiers siècles.
Déjà l'écrivain syriaque Bardesane (154-222) atteste de cette histoire ancienne dans son ouvrage Le livre des lois des pays, dans lequel il cite parmi les peuples convertis au christianisme : les Guilanis (au nord de la mer Caspienne), les Bactriens (ou Balkh, pays entre le Kush Hindu et l'Oxus), et les Kouchans ou Késhanayé en syriaque.
Parmi les pères du concile de Nicée (325) figure Mar Yokhanna (Jean), évêque d'Ourmiah. Aphrahate, un des premiers Pères de l'Église (270-346), qui écrivait en araméen sous l'Empire sassanide, est surnommé le « sage persan ». Il défendait les valeurs humaines universelles et dénonçait la corruption au sein de sa propre Église. Avant les Arabes, les chrétiens de Perse traduisirent le célèbre ouvrage originellement rédigé en sanscrit Kalila et Dimna, du persan pehlevi en syriaque au VIe siècle. Le catholicos-patriarche Mar Aba 1er, élu en 544, sous le roi Khosro 1er Anocharvan (531-579) était persan de souche, converti du mazdéisme. Le célèbre moine Rabban Hormuzd (VIIe siècle), dont un monastère porte le nom en Irak, est persan d'origine.
À partir du début du IVe siècle, l'histoire atteste que les communautés chrétiennes y étaient bien organisées et les Églises fortement hiérarchisées. On est frappé par le nombre grandissant de fidèles et par la naissance de provinces ecclésiastiques et de plusieurs sièges épiscopaux vers le lac d'Ourmiah et la mer Caspienne.
(Lire aussi : Comment l'Église nestorienne a été la plus active au Kirghizistan dès 498...)
Des conciles sous tutelle en Perse sassanide
Il est important de rappeler que les premiers conciles de l'Église d'Orient nestorienne se tinrent à Séleucie et Ctésiphon, dans « le pays des Perses », en Mésopotamie sous domination sassanide (224-641), en dehors de l'Empire romain et byzantin. Tout-puissant, le roi Yezdegerd 1er (399-420) déclarait alors : « L'Orient et l'Occident forment une seule puissance, sous l'empire de ma royauté. » Il était qualifié par les conciles de l'Église d'Orient de « glorieux, puissant, pacifique, victorieux et illustre roi des rois », celui dont la royauté, « par la grâce de Dieu, fait régner la paix sur tout l'univers et dont la bienveillance procure l'exaltation des Églises et des troupeaux du Christ dans tout l'Orient ».
Après Addaï (Thaddée), Mari, Papa bar Aggaï et Simon bar Sabbae, les conciles de l'Église d'Orient purent se tenir à partir de 410 après que de hauts dignitaires eurent entrepris des démarches politiques auprès de la cour impériale en vue de la protection des chrétiens.
C'est alors que l'Église s'affranchit de l'Occident. Au synode de 410, Mar Isaac fut établi chef de tous les chrétiens d'Orient grâce à Yezdegerd Ier, « roi des rois, victorieux et illustre » et ce fut le début de l'indépendance de l'Église d'Orient. Mar Isaac, évêque de Séleucie et Ctésiphon, est « proclamé catholicos et archevêque de tout l'Orient, qui fut jugé par Dieu digne d'être placé à la tête de tout l'Orient ». Lors de ce concile, l'Église d'Orient comptait déjà six métropoles et une quarantaine d'évêchés.
Au concile tenu en 420, l'Azerbaïdjan est mentionné. En 424, l'Église proclame son autonomie et son indépendance sous le patriarche Mar Dadisho (424-456) vis-à-vis de l'Église occidentale et rejette toute intervention d'Antioche et de Byzance. Les évêques demandent au catholicos-patriarche Dadisho « de reprendre la direction de la bergerie du Christ, dans tous les pays de l'Orient » qui lui a été confiée comme « à Pierre, le chef des apôtres ». Dadisho est désormais considéré comme « le Pierre » et dorénavant « les Orientaux ne pourront se plaindre devant les patriarches occidentaux de leur patriarche ». À ce concile participaient des évêques de plusieurs provinces persanes : Rew-Ardashir, Ispahan, Rai, Segestan, Merw, Hérat... Au concile de 544 prenaient part plusieurs dignitaires religieux persans, parmi lesquels on distinguait le métropolite de Rew-Ardashir et de sa province, les évêques de Hormuzd-Ardashir, de Peroz-Shabour, de Sous et des prêtres de l'église de Beit Mihr-Bozed. À celui de Mar Joseph en 554, on constate la présence des évêques d'Ispahan, de Hamadan et d'Azerbaïdjan. De même au concile de 576 où l'Azerbaïdjan et Ispahan sont mentionnés.
En 497, loin de Rome et pour mieux se démarquer de Byzance et de l'Occident, cette Église adopte la doctrine nestorienne, fidèle en cela à la théologie de Théodore de Mopsueste, l'« interprète des divines Écritures » (concile de Mar Ishoyahb Ier en 585). Le catholicos Mar Babaï sera proclamé premier patriarche « nestorien », en présence de plusieurs métropolites et évêques de Perse.
(Lire aussi : La symbolique de l'enracinement, ou le retour du siège de l'Église assyrienne d'Orient en Irak)
Des médiateurs entre la Perse et Byzance
C'est dans ce contexte que l'Église nestorienne servit de médiateur entre les deux empires ennemis : la Perse et Byzance. Trois noms illustres marquent cette période, Mar (saint) Marouta, évêque de Mayferqat, qui « fut le médiateur de la paix et de la concorde entre l'Orient et l'Occident », « homme de grande culture et médecin distingué », le patriarche Ishoyahb Ier, qui fut envoyé par les Perses en ambassade à Constantinople en 587, et Ishoyahb II en 630. En conséquence, les chrétiens bénéficieront de la liberté de culte.
Qui plus est, les patriarches nestoriens comme Mar Dadisho (421-456) avaient rendu de bons services aux rois perses, dont l'impact s'est ressenti sur les chrétiens. Et c'est dans de telles conditions favorables que les premiers conciles de l'Église d'Orient purent se tenir dans le « pays des Perses », qualifié de « glorieux royaume ». D'ailleurs, le concile tenu en février 576, sous Mar Ezéchiel, prescrira que des prières pour Khosro Ier (531-579) soient toujours incluses dans la liturgie. Le concile de 544 surnomme le roi Khosro Ier « le nouveau Cyrus ». Il est qualifié de « doux, miséricordieux, bienfaisant, pacifique, philanthrope, bon et maître aimable » et le pays des Perses de « glorieux royaume ».
Un autre signe de tutelle, une assemblée épiscopale se tint en 612 à la cour même du roi Khosro II Parviz (590-628), qui se montrait tolérant envers les chrétiens.
Dès lors, on comprend mieux que « l'âge d'or » de l'Église d'Orient fut sous les Sassanides. Toutefois, cette histoire sera jalonnée de persécutions cruelles en particulier sous Shapour II de 339 à 379, surtout dans les provinces du nord-ouest du pays et dans les régions aux confins de l'Empire romain. Au VIe siècle, cette Église bénéficiait d'une grande vitalité et d'une expansion territoriale sans précédent. Fondatrice des premières écoles d'enseignement universitaire (Ve s.), jadis l'Église nestorienne de Perse fit preuve d'une puissance d'expansion assez extraordinaire sur l'ensemble du continent asiatique. Beaucoup de missionnaires partaient en effet du Khorasan persan vers l'Asie centrale et bien au-delà.
Des régions chrétiennes sur les rives occidentales du lac d'Ourmiah et la plaine de Salmas
Il existe aisément plus de 150 villages de langue syriaque, naguère chrétiens, de Mawana à Gavilan, de Khosrawa à Pataver, de Dazgir à Karajalu, de Tarmanie à Balulan près du lac d'Ourmiah (mot araméen qui veut dire ville d'eau) et dans la plaine de Salmas. La chrétienté d'Abadan, de Qazvin, de Tabriz, de la région de Maraghe, de Kermanchah, d'Ahwazet de Sanandaj s'est, quant à elle, considérablement réduite et a, par endroits, disparu. À Téhéran, il existe une communauté assyro-chaldéenne assez active.
Certaines églises sont construites sur l'emplacement d'édifices disparus, d'autres sont tombées en ruine. Ces villages, habités aujourd'hui en majorité par les Kurdes, restent pourtant la mémoire de cette chrétienté et une source de fierté. Aussi, les monographies sur ces villages se développent comme celle de Goetapa, rédigée par le prêtre Shmouel Betkolia. L'église Saint-Thomas à Balulan, beau village situé au pied de la montagne qui sépare de la Turquie, a une architecture qui rappelle celle des Sassanides.
Le village d'Ardishaï fut jusqu'en 1896 un siège épiscopal nestorien, ainsi que les villages de Gavilan, Nazlou et Barandouz, et la ville d'Ourmiah.
Hormis Khosrawa (un ancien évêché) et en partie Pataver, les autres villages chrétiens du district de Salmas se sont complètement vidés de leur population. Il n'en reste que les cimetières et des églises vétustes comme à Kohne Shehr, où le patriarche Mar Benyamin Shimoun fut assassiné en mars 1918. D'ailleurs, beaucoup de ces églises portent des noms de martyrs de la chrétienté. Certaines, tombées en ruine, ont été restaurées.
Sur son chemin vers les Indes, l'apôtre Thomas, fondateur de l'Église de Mésopotamie, aurait prêché, avec ses disciples, sur les bords du lac d'Ourmiah et aurait baptisé de nombreux fidèles. D'ailleurs, au village de Mar Noukha, situé non loin du lac d'Ourmiah, un édifice religieux a été construit sur les lieux où l'apôtre Thomas se serait reposé. Il existe également les Actes de Thomas en version syriaque qui racontent son périple.
L'Azerbaïdjan occidental
Un des berceaux de cette chrétienté persane est donc ce Nord-Ouest iranien, appelé l'Azerbaïdjan occidental, composé de la région d'Ourmiah (plus de 90 villages), de la plaine de Salmas (plus de 12 localités), des districts montagneux de Tergavar (18 villages) et de Margavar (6), des plaines de Barandouz et de Nazlou, Soldouz et Baradost Somai, qui furent des enjeux de luttes dans le passé. Une terre très riche et arrosée abondamment des eaux des rivières. Les deux villes d'Ourmiah et Salmas, situées à haute altitude et entourées de plaines riches et cultivées, sont truffées de centaines d'églises, parfois plus que millénaires, qui rappellent ce passé lointain. Elles ont des noms typiques araméens, qu'on retrouve d'ailleurs au-delà de la Perse, dans les villes et villages de Turquie et d'Irak, comme dans la région du Hakkari en Turquie (Mar Shalita, Mar Kyriakos, Mar Audisho, Mar Guiwarguis, Mar Zaya, etc.). Certaines églises, et non des moindres, sont classées par les autorités iraniennes comme monuments historiques et doivent donc être conservées à titre d'héritage national. Dans certains villages, on rencontre même des noms de rue à consonance chrétienne comme à Ada (Adeh). Des sanctuaires devenus des lieux de pèlerinage comme celui de Mar Sarguis et Mar Baccus, à 10 km d'Ourmiah, ou encore l'église Saints-Pierre-et-Paul du VIIe siècle en sont des exemples vivants.
La région regorge également de larges cimetières (voire de monuments funéraires), comme à Sopourghan et Dizatakya, réminiscence d'un passé où cette chrétienté était nombreuse et influente. Quelquefois, des dessins sont gravés sur les pierres tombales avec art, illustrant le métier du défunt. D'anciens manuscrits ont été retrouvés. Ainsi, la Bible du village de Kosi daterait de 1 500 ans et figure aujourd'hui au musée de Tabriz.
D'autre part, l'Iran a connu l'imprimerie et les premiers journaux publiés par les chrétiens à partir de 1838, ainsi que les premières traductions de l'anglais en araméen. Le pays connaîtra la première université médicale à Ourmiah, fondée en 1840 par les missionnaires presbytériens. De 1838 à 1914, ce fut un âge d'or de la renaissance littéraire en langue araméenne.
Des églises aujourd'hui encore actives
Les historiens arabes mentionnent cette chrétienté dans leurs écrits comme Yakout al-Hamaoui (XIIIè siècle). Il en est de même des Iraniens spécialisés dans ce passé chrétien, qui en parlent avec sympathie. Il doit être rappelé qu'en vertu de la Constitution iranienne, les chrétiens assyro-chaldéens ont un député qui les représente au Parlement, M. Yonathan Betkolia, qui en est à sa quatrième mandature. Les Arméniens ont, quant à eux, deux députés.
Et malgré l'exode et la baisse sensible de la population, les chrétiens d'Iran se portent relativement bien. Il faut dire qu'ils ont produit une littérature très riche aussi bien en araméen qu'en persan. Des noms connus rythment cette histoire : Nimrod Simono, Pira Sarmas, William Sarmas, Benyamin Arsanis, William Daniel...
Les Églises sont actives et certaines sont constituées en évêché, les plus importantes communautés étant les assyriens-nestoriens (un évêque à Téhéran), les chaldéens-catholiques (deux évêques à Téhéran et à Ourmiah), les Églises assyriennes évangéliques (issues de l'Église nestorienne), notamment à Téhéran et à Ourmiah, et des évêchés arméniens. Les églises travaillent beaucoup auprès des jeunes et des enfants et sont animées par une appartenance ethnique commune.
L'Église chaldéenne a des maisons pour personnes âgées (à Ourmiah et Téhéran) et des congrégations de sœurs. Ces Églises ont donné des personnalités brillantes dans les temps modernes comme Paul Bedjan, Thomas Audo et Zaya Dachtou. Ce dernier construisit la cathédrale chaldéenne-catholique Mart Mariam à Ourmiah, la maison épiscopale et une école (nationalisée en 1973). Ourmiah et Salmas furent autrefois des sièges patriarcaux. Depuis 2000, l'Église assyrienne-évangélique publie un bulletin trimestriel apprécié en langue araméenne, Alap Tav, à Téhéran.
Aujourd'hui, cette chrétienté est alimentée par une diaspora attachée au pays et à son héritage chrétien et qui contribue à la restauration des églises.
L'archéologie, l'épigraphie et la linguistique nous diront sans doute davantage sur la richesse de ce patrimoine.
*L'auteur a entrepris un voyage d'études en Iran sur les traces du christianisme de langue syriaque, du 28 juin au 10 juillet 2016.
**Joseph Yacoub est professeur honoraire de l'Université catholique de Lyon, ancien titulaire de la chaire Unesco « Mémoire, cultures et interculturalité », spécialiste des chrétiens d'Orient.
JTK
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