La rencontre de Saydet el-Jabal a tenu hier sa réunion annuelle à l'hôtel Alexandre sous le titre « La paix du Liban, une responsabilité nationale commune », en présence des députés Hady Hobeiche, Élie Keyrouz et Nadim Gemayel, du secrétaire général de l'alliance du 14 Mars, Farès Souhaid, et des membres du secrétariat général.
Un appel a été adopté à l'issue de cette réunion ; il a été lu par l'ancien député Salah Honein. Le voici dans son intégralité :
« Le Liban vit sous la menace d'une reprise de la guerre civile, une guerre civile qui opposerait cette fois musulmans sunnites et musulmans chiites non seulement au Liban, mais également dans le monde arabe. Cette guerre si elle avait lieu signifierait la fin du Liban. Les chrétiens ont une grande responsabilité dans la bataille à mener pour empêcher la guerre, bâtir un avenir de paix et contribuer avec l'islam à apporter une réponse à la question fondamentale qui se pose aujourd'hui à l'ensemble du monde arabe : comment vivre ensemble, égaux dans nos droits et nos devoirs, différents dans nos multiples appartenances religieuses, culturelles et ethniques, et solidaires dans notre recherche d'un avenir meilleur pour nous tous ? »
Pionniers
« Pourquoi les chrétiens sont-ils appelés à mener cette bataille dont l'issue est déterminante pour l'avenir du Liban? Pour cinq raisons.
- Un : parce que la guerre qui s'annonce les concerne au même titre qu'elle concerne les communautés musulmanes. Les chrétiens, comme le soulignent les patriarches d'Orient, font partie intégrante de l'identité culturelle des musulmans, de la même manière que ces derniers font partie intégrante de l'identité culturelle des chrétiens. Ils sont, de ce fait, responsables les uns des autres devant Dieu et devant l'histoire.
- Deux : parce qu'ils ont, historiquement, joué un rôle d'avant-garde dans la promotion du vivre-ensemble, et cela en participant activement, dès le XIXe siècle, à la Renaissance arabe et à la définition d'une arabité culturelle qui allait servir de ciment aux peuples de la région, puis en rejetant en 1920 l'idée d'un foyer national chrétien et en réclamant un Grand Liban regroupant des régions à majorité musulmane, et enfin en refusant en 1943 le maintien du mandat français sur le Liban et en luttant pour l'indépendance du pays.
- Trois : parce qu'ils ont été les premiers, après la rupture occasionnée par la guerre de 1975, à œuvrer en vue de rétablir le vivre-ensemble islamo-chrétien, et cela en jetant, avec le Synode des évêques (1995), les bases d'une sortie de la guerre et d'une nouvelle réflexion sur le rôle et le message du Liban, puis en initiant, avec l'Exhortation apostolique (1997), un travail de purification de la mémoire.
- Quatre : parce qu'ils ont été les premiers dans ce monde arabe, avec l'appel des évêques maronites (septembre 2000), à mener bataille contre les régimes de dictature, préparant le terrain à la révolution du Cèdre en 2005, premier signe annonciateur du printemps arabe.
- Cinq : parce qu'ils ont été les premiers dans ce monde arabe à prôner, avec le Synode patriarcal maronite (2006), l'établissement d'un État civil pour refonder le vivre-ensemble aux conditions de l'État et plus aux conditions d'une communauté. »
...dite orthodoxe« Ce rôle historique est aujourd'hui remis en question par certaines forces politiques chrétiennes pour qui la politique se réduit désormais à une simple lutte pour le pouvoir où les choix politiques n'ont plus pour finalité que de permettre à ceux qui sont engagés dans cette lutte de marquer des points face à leurs adversaires.
Le revirement d'une partie des chrétiens qui, après avoir mené la bataille de l'indépendance, a rejoint le camp syro-iranien qu'elle avait combattu, le soutien de personnalités politiques et religieuses, au nom de la protection des minorités, à la dictature syrienne, pourtant largement responsable des malheurs que les Libanais, et les chrétiens notamment, ont connus depuis 1975, le choix par la majorité des partis chrétiens d'une loi électorale – dite orthodoxe – qui ramène le pays à la situation qui existait avant la création du Grand Liban illustrent l'ampleur de la régression faite depuis 2005.
Cette régression expose les chrétiens à des dangers certains. Tout d'abord de passer du statut de communauté concernée par l'avenir du Liban et de toute la région à celui de minorité uniquement intéressée par la défense de ses droits propres. Le danger ensuite d'être assimilés à la dernière des dictatures arabes et de se retrouver ainsi complices d'un crime de masse dénoncé par la communauté internationale. Le danger enfin de se retrouver en marge de l'histoire qui s'écrit aujourd'hui dans le monde arabe et de ne pas avoir de rôle dans ce nouveau monde qui commence à émerger avec le printemps arabe. »
L'autonomie de l'individu « Pour mettre un terme à cette régression et au danger qu'elle représente pour notre avenir au Liban et dans la région, il nous faut revenir au message qui a fondé notre spécificité dans cette partie du monde.
Nous nous battons depuis bientôt un siècle pour défendre l'idée que nous pouvons vivre ensemble, chrétiens et musulmans, égaux dans nos droits et nos devoirs, et différents dans nos appartenances religieuses. Cette idée, qui est la raison d'être du Liban, nous l'avons défendue contre tous ceux qui prônaient des projets identitaires qui réduisent l'identité de la personne humaine à une de ses composantes, la composante religieuse, au détriment de toutes les autres.
Nous l'avons également défendue face aux projets idéologiques fondés sur le nationalisme et la religion, projets qui procèdent aussi par réduction : réduction de l'individu au peuple et réduction du peuple à un parti qui s'arroge le droit de le représenter, et enfin réduction du parti au chef qui le dirige. Nous avons réussi à faire du Liban un lieu privilégié du vivre-ensemble entre chrétiens et musulmans, et à développer une qualité de vie qu'il n'était pas facile de retrouver dans les autres pays arabes.
L'idée du vivre-ensemble est aujourd'hui de nouveau à l'ordre du jour parce que les projets idéologiques, nationalistes et religieux sont aujourd'hui remis en question par le printemps arabe qui a rendu à l'individu arabe son autonomie, c'est-à-dire sa capacité à être l'artisan de sa propre histoire et à participer à définir les choix politiques qui l'engagent. Cette idée est également à l'ordre du jour parce qu'elle permet de faire l'économie de nouvelles violences aussi bien au Liban que dans le monde arabe en faisant de la diversité religieuse et ethnique qui caractérise cette région du monde une source de richesse pour tous et plus une source de conflit. »
Mobilisation« Sur base de ce qui précède, les signataires de cet appel appellent à une mobilisation chrétienne pour faire face au danger d'une reprise de la guerre. Ils les appellent également à œuvrer à l'union entre les Églises chrétiennes pour former cette "Église des Arabes" dont a parlé le P. Youakim Moubarak qui pourrait collaborer avec l'islam à la rénovation de l'Orient chrétien et musulman, et définir, comme les a conviés Benoît XVI lors de sa visite au Liban en septembre 2012, une nouvelle manière de vivre-ensemble, en créant pour cela avec les chrétiens du monde arabe un centre de réflexion et de dialogue qui jetterait les bases d'une nouvelle culture, une culture de la paix et du vivre-ensemble, face à la culture de la violence et de l'exclusion qui demeure dominante.
Ils appellent enfin à la formation avec les musulmans, qui mènent bataille pour la paix, et les organisations de la société civile qui œuvrent dans ce but d'une structure de coordination – le congrès permanent pour la paix au Liban – dont la fonction essentielle serait de constituer une sorte de "filet de sauvetage" sociétal face au danger de la guerre, et de lancer sur cette base une série d'initiatives dont les objectifs seraient les suivants :
Un : fonder le vivre-ensemble aux conditions de l'État, et plus aux conditions de partis ou de milices communautaires. Pour cela, l'État doit reprendre le monopole de la force qu'il a perdu depuis 1969 avec l'accord du Caire et se libérer des contraintes communautaires qui le paralysent. L'État du vivre-ensemble doit nécessairement être un État civil où la loi qui est l'expression de la volonté générale est la même pour tous, où la justice est indépendante du pouvoir politique, où le citoyen peut choisir de n'être plus régi par un statut personnel religieux, mais civil, où la religion n'est pas instrumentalisée à des fins politiques, où la femme n'est plus victime de mesures discriminatoires...
Deux : œuvrer avec les forces démocratiques qui ont émergé avec le "printemps arabe" à jeter les bases d'un Machreq du vivre-ensemble entre les peuples qui le constituent et dont la diversité religieuse et ethnique doit être une source de richesse pour chacun et pour tous, un Machreq capable de renouer avec la tradition historique de la Nahda (renaissance) arabe et de constituer un pôle de renouvellement pour l'ensemble du monde arabe.
Notons que sur la base de tout cela, un comité a été formé pour préparer la tenue d'un congrès islamo-chrétien et former avec les chrétiens arabes un centre de réflexion pour la promotion d'une culture de la paix et du vivre-ensemble. »