Le premier choc passé, il a fallu, pour Élie Safa, se rendre à l'évidence : l'appartement, qui se trouve dans l'immeuble devant lequel la voiture piégée a explosé, est totalement ravagé. Les membres de la famille ne possèdent quasiment plus que les habits qu'ils portaient ce jour-là. « Je suis retourné chez moi pour tenter de récupérer quelque chose, les affaires sont tellement éparpillées et introuvables que je n'ai pas trouvé une seule paire de chaussures pour ma femme », raconte-t-il. Sur son téléphone, il nous montre des photos de son appartement : la dévastation est spectaculaire. « Toute l'infrastructure de l'immeuble a été détruite, et c'est l'État qui doit réparer cela, pas les individus », dit-il.
Comme plusieurs autres familles, les Safa ont été logés à l'hôtel Alexandre à l'initiative du Courant patriotique libre (CPL). Mais comme tant d'autres, Élie Safa, qui travaille dans les assurances, se demande ce qu'il fera après cette première semaine à l'hôtel. Les indemnités de l'État, il n'y croit pas trop. « La crédibilité du gouvernement est en jeu, dit-il. Je n'aimerais pas que l'expérience de Fassouh (un immeuble qui s'est effondré, faisant plusieurs morts, le 15 janvier dernier) et dont les rescapés n'ont toujours pas été indemnisés, se renouvelle avec nous. Mais je m'attends au pire quand même. »
Laure Haddad, une voisine d'Élie, logée dans le même hôtel, partage les mêmes inquiétudes que lui. La vieille dame, au visage toujours couvert de bandages, ne sait plus où donner de la tête. « Mon principal souci reste ma fille, qui est hospitalisée pour blessures multiples, surtout au dos, raconte-t-elle. Au moment de l'explosion, elle était dans sa chambre. Le souffle de la déflagration était tel qu'une grande armoire s'est abattue sur elle. »
Comme pour les autres, l'appartement que Laurice et sa famille louent depuis de nombreuses années est complètement détruit. « L'hiver arrive », fait-elle remarquer. Elle n'a même pas pu récupérer ses papiers dans le capharnaüm qu'est devenu son chez-soi.
« Je n'ai que les habits que je porte sur moi »
La place Sassine porte toujours les stigmates du terrible attentat qui l'a secouée vendredi. Même l'odeur de soufre plane toujours. Des rubans blancs et une banderole sur laquelle est écrit « Que ton âme repose en paix, Georgette » rappellent le décès de la troisième victime de l'attentat, Georgette Sarkissian. Un grand portrait de Wissam el-Hassan trône toujours près du lieu de l'attentat.
Le secteur de l'explosion, notamment la rue Ibrahim el-Mounzer où elle a eu lieu, est bouclé par l'armée et les forces de l'ordre. Les habitants se rassemblent pour prendre des nouvelles, discuter des perspectives, essayer de s'introduire brièvement dans leurs appartements. Mathilde Mtanios en fait partie. Cette mère de trois enfants a des ecchymoses plein les bras, qui lui restent de ce funeste déjeuner au cours duquel le plafond s'est effondré sur ses enfants et sur elle. « Je n'ai que les habits que je porte sur moi, dit-elle. Nous sommes à l'hôtel jusqu'à lundi, en principe, mais nous n'avons rien planifié encore pour un logement, nous sommes toujours perdus. »
Un peu plus loin, Nancy Joseph Maini n'en revient pas encore d'avoir échappé, avec son fils de onze ans, à l'explosion. « Nous habitons le rez-de-chaussée, dit-elle. La voiture piégée était garée directement au niveau de notre balcon. Heureusement que mon fils et moi n'étions pas à la maison, dont il reste peu de chose. »
Massoud Achkar, ancien candidat aux législatives à Achrafieh, rappelle que le drame est considérable, étant donné que le secteur dévasté est un quartier populaire. « La priorité est donnée aux rescapés, dit-il. L'État peut, et doit, faire vite dans son recensement des dégâts et dans l'indemnisation des victimes. »
Où en est, justement, le processus d'indemnisation des victimes ? Dans un bureau improvisé à deux pas de la scène du crime, Élie Khoury, coordinateur des opérations au Haut Comité de secours (HCS), assure que la somme de mille dollars, consacrée aux loyers que les sinistrés devront payer, a déjà été versée aux familles de la rue Ibrahim Mounzer (ce que plusieurs ont confirmé). Une telle somme leur sera versée chaque mois jusqu'à ce que leurs appartements soient rénovés, ajoute-t-il. « Cette mesure concerne exclusivement les cinq immeubles dévastés de la rue où a eu lieu l'explosion, précise-t-il. Il s'agit en tout de 59 appartements. Pour l'instant, cette rue est encore fermée pour les nécessités de l'enquête. Plus tard, il faudra inspecter l'état des immeubles, voir s'ils peuvent être rénovés ou s'ils sont en danger. Après cela, le HCS présentera son rapport au Conseil des ministres, auquel revient de décider du montant des indemnités. »
Interrogé sur le délai prévu pour l'achèvement de ce rapport, M. Khoury souligne que « cela risque de prendre du temps, la zone à couvrir (qui ne se limite pas à la rue sinistrée) étant considérable ». Il ajoute que les indemnités couvriront les appartements, les boutiques et les voitures.
Sur les inquiétudes des familles, liées notamment à la lenteur de la machine administrative dans le processus d'indemnisation comme l'a prouvé l'exemple de Fassouh, Élie Khoury insiste sur le fait que « les habitants se plaignent toujours, parce qu'ils ignorent souvent la procédure ». « Dans le cas de Fassouh, nous avons payé aux rescapés des loyers pour un an et dix millions de livres pour l'achat de meubles, explique-t-il. Pour ce qui est des indemnités définitives, nous attendons toujours le dénouement de l'affaire avec le propriétaire de l'immeuble. »
Actions politiques et civiles
Dès les premiers instants du drame, les hommes politiques ont investi la scène du crime. Des figures politiques des deux principaux camps ont ensuite effectué un suivi du relogement et des indemnités versées aux victimes. De son côté, le ministre de l'Information Nicolas Sehnaoui, du bloc du Changement et de la Réforme, a tenu une conférence de presse pour annoncer que les victimes seront relogées dans des hôtels. Samira Saradar, responsable des services au CPL et chargée de l'affaire des victimes de l'attentat, nous indique que neuf familles ont été placées à l'hôtel Padova, à Sin el-Fil, et environ quatorze à l'hôtel Alexandre, à Achrafieh. « Certaines ont préféré loger chez des proches », dit-elle. Répondant aux inquiétudes des habitants, elle assure que « la semaine à l'hôtel est renouvelable, nous ne les lâcherons que quand ils seront définitivement relogés ». Elle rend hommage « au flot d'aides qui sont parvenues aux centres du CPL et au bureau du ministre Sehnaoui », et précise qu'une coopération s'est établie avec Caritas pour l'achat de médicaments et autres denrées. Le CPL a prévu une ligne verte pour les dons et les informations, le 70/001319.
Pour leur part, les députés d'Achrafieh s'activent. Le député Michel Pharaon nous indique qu'ils sont à l'origine de la procédure mise en place pour recenser les habitants sinistrés, laquelle passe par les cinq moukhtars d'Achrafieh. « C'est la même procédure qui avait servi lors d'attentats précédents qui avaient frappé le quartier », précise-t-il. Le député affirme collaborer étroitement avec le conseil municipal de Beyrouth, qui était réuni hier pour décider de sommes à verser aux sinistrés. « Nous avons demandé dix millions de livres par famille, nous espérons que ce sera décidé ainsi, dit-il. Des ingénieurs de la municipalité inspecteront également les immeubles pour savoir si ceux-ci doivent être rénovés, ou devront être démolis. » Il souligne aussi que les députés ont pourvu les sinistrés de lettres de garantie à l'intention de propriétaires qui hésiteraient à leur louer leur maison. Pour les contacter, on peut appeler la ligne verte 03/000019, ou Gaby Kattini au03/618502.
Signalons enfin que de nombreuses initiatives civiles au bénéfice des sinistrés ont vu le jour à Achrafieh. De son côté, le personnel de l'ONU au Liban a décidé de consacrer aux victimes de l'attentat la somme qui devait servir à l'organisation d'une cérémonie à l'occasion de la fête des Nations unies, annulée en raison des événements.
Pour mémoire: