« Il faudra des décennies pour reconstruire Alep »
Tandis que les forces pro gouvernementales sont en train de venir à bout des dernières poches rebelles à Alep-Est, Vincent Gelot, envoyé en Syrie par l'Œuvre d'Orient, fait le point sur la situation, notamment celle des chrétiens.
Tandis que les forces pro gouvernementales sont en train de venir à bout des dernières poches rebelles à Alep-Est, Vincent Gelot, envoyé en Syrie par l'Œuvre d'Orient, fait le point sur la situation, notamment celle des chrétiens.
Des résidents syriens du quartier Bustan al-Qasr arrive dans le quartier de Fardos le 13 décembre. / STRINGER/AFP
La Croix : Les uns affirment qu'Alep est tombée, d'autres qu'elle est libérée. Que se passe-t-il sur place ?
Vincent Gelot : Je suis logé dans la partie occidentale, chez les jésuites, dont la résidence a été frappée juste avant mon arrivée par des obus, tirés du côté rebelle, à Alep-est. Côté ouest, là où habitent encore entre 20 000 et 25 000 chrétiens sur une population d'1,2 million d'habitants environ, la victoire en vue des pro-Assad signifierait la fin des bombardements. Si les forces gouvernementales parviennent à reprendre la ligne de front, mettant un terme à plusieurs années de combats, ils retrouveront un semblant de stabilité.
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Mais dans la partie orientale de la ville, les informations sont très difficiles à obtenir et parviennent de façon parcellaire, il y a peu de sources fiables. On sait que de nombreux quartiers ont été repris, mais le flou demeure sur les possibilités d'accord de cessez-le-feu et d'évacuation des personnes se trouvant sur place, dont de nombreux civils. Ces personnes se trouvent dans une situation extrêmement délicate. Certains ont pu, à un moment, sympathiser avec les rebelles ou avoir été dans l'impossibilité de partir. Ils sont pris au piège : ils craignent de faire face à des représailles de la part des loyalistes s'ils quittent Alep-Est, mais s'ils restent, ils seront tués.
Quelle est la situation à Alep-Ouest ?
Vincent Gelot : Depuis quatre ans, la ville est coupée en deux, entre l'ouest, resté dans le giron des forces pro gouvernementales, et l'est, pris par les rebelles à l'été 2012. Il fait très froid, pas loin de zéro degré, et il n'y a pas d'électricité. La nuit, il n'y a pas de lumière. Le prix des biens de première nécessité est exorbitant, la livre syrienne a été complètement dévaluée. Il n'y a plus de travail, de très nombreuses maisons sont détruites ou gravement endommagées. La ville est un champ de ruines, où flottent les drapeaux russes et ceux du Hezbollah libanais. Il ne reste rien que des squelettes d'immeubles.
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Comment la population envisage-t-elle l'avenir, si Bachar al-Assad reprend effectivement la ville ?
Vincent Gelot : Les habitants sentent qu'ils ne sont plus maîtres de rien, ils sont dans une logique de survie. (Là, des bruits d'obus viennent interrompre son propos). Ils ne raisonnent pas dans les mêmes termes que nous, entre pro et anti Assad. À l'ouest, ils n'ont pas le choix, ils n'en peuvent plus. Comme les chrétiens en Égypte, ils sont pris en otage par leur gouvernement protecteur. En tous les cas, ils sont conscients qu'il faudra des décennies pour reconstruire la ville, relancer l'économie.
Comment les chrétiens se préparent-ils à vivre Noël dans ce contexte d'incertitude ?
Vincent Gelot : Les familles chrétiennes qui sont restées, soit parce qu'elles ne pouvaient pas faire autrement, soit parce qu'elles ont des affaires à Alep, ont un courage impressionnant. On se demande comment elles tiennent depuis tout ce temps dans ces conditions... Noël se prépare doucement, dans les doutes et l'attente. Les maronites célébreront dans leur cathédrale, détruite il y a deux ans, comme un symbole fort.
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Recueilli par Marie Malzac
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