Marie Keyrouz, une religieuse franco-libanaise qui veut croire à "la beauté du monde"
Religieuse franco-libanaise, Sœur Marie Keyrouz croit encore à "la beauté du monde", à laquelle elle consacre un livre, après tant de disques. Elle croit surtout aux vertus du chant sacré, sa seule "arme contre les armes". Elle a trouvé sa vocation de chanteuse sur sa terre natale, un Liban en guerre, alors qu'elle se préparait à une vie plus classique de religieuse catholique enseignante de maths et de physique.
"L'effet de la beauté du chant, même dans la terreur, a changé mon cœur et mon chemin", confie à l'AFP cette quinquagénaire affable et souvent enjouée dans son habit noir de basilienne chouérite, ces melkites de rite catholique grec.
A quatre mains avec l'écrivain féru d'écologie Jean-Marie Pelt, Sœur Marie Keyrouz vient de publier en France "Manifeste pour la beauté du monde". Elle y rappelle qu'elle a fait figure de pionnière: "Dans les années 1980, j'étais quasiment la seule religieuse à s'être engagée résolument dans la voie du chant sacré comme cantatrice internationale". Il y avait bien "Sœur Sourire", mais "elle venait de se suicider", en 1985... Surtout, le registre de la "sœur savante chantante" - son surnom - est bien différent de celui de la dominicaine belge.
Diplômée de chant classique oriental et occidental et de sciences religieuses au Liban, Sœur Marie Keyrouz a décroché un doctorat en musicologie et anthropologie à la Sorbonne à Paris, où elle s'est installée en 1987.
Depuis, elle aborde avec la même technique, de sa voix ronde et timbrée, l'oratorio occidental et ces ornements des liturgies d'Orient (byzantine, syriaque, maronite...) qu'on retrouve dans le chant grégorien propre à l'Église romaine. Ce dialogue des cultures est au cœur de l'enseignement de son Institut international de chant sacré, fondé à Paris en 1994. "Cette passion de devenir universel, c'est la grâce d'être née au Liban: on peut écouter Callas en même temps que Fairouz, toutes les traditions y vivent", dit-elle.
Soeur Marie Keyrouz a multiplié les enregistrements (une vingtaine), la plupart sous de grands labels (Harmonia Mundi puis Virgin). Et les concerts sur de grandes scènes, comme au Festival de Salzbourg (Autriche) où elle se rendra l'été prochain, avec l'Ensemble de la paix, riche de multiples nationalités, qu'elle a fondé dès 1984.
'Tuer l'ignorance'
"Je couvre les frais de mes musiciens. Les bénéfices vont à l'aide médicale et à la scolarisation", précise la religieuse, qui anime Enfance pour la paix, une association humanitaire apportant son secours à "400 enfants dans une vingtaine d'écoles" du Liban. "C'est très peu, j'œuvre à mon humble niveau. Et je ne vous parle pas des réfugiés (un quart de la population libanaise, ndlr), pour lesquels les besoins sont énormes."
Son but? "Tuer l'ignorance". "J'ai vu que l'ignorance et la pauvreté étaient à la base de toute les fractures et de toutes les guerres." Quelques semaines après les attentats de Paris (130 morts) le 13 novembre, et ceux de Beyrouth (44 morts) la veille "dont on a peu parlé", elle évoque ces assaillants jihadistes qui, "de la religion, ne connaissent que +Allah Akbar+. On en revient à l'ignorance!"
"Avec ce qu'il se passe, parler de beauté apparaît comme une gageure venue d'une bulle céleste", reconnaît-elle. Et "parler de religion actuellement...", soupire-t-elle. "Que peut-on dire? Regardez ce qu'on pratique sur terre: on égorge au prétexte de la religion! Mais ce n'est pas la religion." "En faisant la guerre en Syrie, on lutte contre qui? Contre ceux que nous avons nous-mêmes inventés", regrette Soeur Marie Keyrouz.
Elle est convaincue que "la paix ne se construit pas autour de tables rondes, que parler, parler, ne sert à rien". Par le chant sacré alors? Elle espère au moins qu'il peut contribuer à "l'harmonie". Et à une "beauté qui ressemble à la beauté de Dieu".
Jtk