« La première demande du peuple syrien, c'est la liberté et la dignité »
Bassam Ishak, président du Conseil national des Syriaques en Syrie
Mercredi 13 février, au Sénat
« Les révolutions sont une chance pour avancer, pour instaurer la démocratie, pour se débarrasser de régimes violents et répressifs. Mais il y aussi le risque que des idéologies négatives s'installent, comme on l'a vu lors de la révolution bolchevique ou lors de la révolution iranienne« .
Bassam Ishak est une figure en vue de l'opposition syrienne au régime de Bachar al-Assad. Président-fondateur du Conseil national des Syriaques en Syrie, il occupe la fonction de secrétaire général du Conseil national syrien ( CNS ), une des principales composantes de la Coalition nationale que la France considère depuis peu comme « seul représentant du peuple syrien » et « futur gouvernement intérimaire de la Syrie démocratique« .
Vivant en exil au Caire, Bassam Ishak est passé par Paris à l'occasion d'une conférence-débat intitulée « Les chrétiens et le printemps arabe : une opportunité ou une menace », organisée au Sénat par l'Institut assyro-chaldéen syriaque de Paris et l'European Syriac Union, sous la houlette de la sénatrice Christiane Kammermann (UMP), mercredi 13 février. Éric Chevallier, ambassadeur de France pour la Syrie, et le P. Pascal Gollnisch, directeur de L'Oeuvre d'Orient, ont notamment participé à cette rencontre.
Les échanges ont montré combien de nombreux chrétiens de Syrie se sentent entre le marteau et l'enclume. Bassam Ishak a notamment parlé de la situation dans le gouvernorat de Hassaka. Dans ce territoire à l'extrême nord-est du pays, coincé entre la Turquie et l'Irak, se concentre l'essentiel de la communauté assyro-chaldéenne, dans un voisinage complexe avec des populations arabes et kurdes. De très violents combats pendant trois jours ont permis aux combattants de l'opposition d'y prendre le contrôle de la ville d'al-Chaddadé, jeudi 14 février, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme. Une centaine de membres des troupes gouvernementales et une trentaine de combattants de l'opposition, dont 5 Koweïtiens, sont morts lors des affrontements.
« Des bandes hors-la-loi »
« Au début de la révolution, il n'y avait pas d'affrontements armés dans cette région« , souligne Bassam Ishak. « Aujourd'hui, l'État est absent et nous souffrons de l'action de bandes hors-la-loi qui appartiennent aux tribus arabes ou kurdes« . Une situation qui suscite régulièrement des cris d'alarme des évêques locaux.
« Des enfants kidnappés pour obtenir une rançon »
« Beaucoup de chrétiens reçoivent des menaces de mort« , ajoute l'opposant. « Des enfants sont kidnappés pour obtenir en échange des rançons. Des milliers de Syriaques ont fui pour se réfugier dans d'autres parties de la Syrie ou hors du pays. Nous avons besoin d'une solution radicale pour sortir de cette impasse. Peut-être une coalition entre Kurdes, Syriaques et Arabes pour nous protéger mutuellement?« .
« Les minorités ont toujours peur d'une situation d'affrontements »
« Le fait est que les combattants sont généralement des Kurdes pro-PKK » (Parti des travailleurs du Kurdistan, en lutte contre la Turquie depuis trente-cinq ans) souligne Bassam Ishak. « Cela a poussé les Turcs à soutenir et renforcer l'opposition armée syrienne. Il y a d'un côté les Kurdes pro-PKK alliés aux forces de l'État, de l'autre les groupes armés d'opposition. La paix est fragile. Nous avons demandé aux autorités turques d'inciter l'Armée syrienne libre (ASL) à cesser le feu car les tensions augmentent l'insécurité des minorités. Les minorités ont toujours peur d'une situation d'affrontements. On voudrait que le gouvernorat de Hassaka reste en paix« .
« Les premières demandes du peuple : liberté et dignité »
Un opposant au régime syrien demandant à l'ASL de rester l'arme au pied!… Ce raccourci témoigne des contradictions parfois dramatiques vécues par les chrétiens en Syrie. Bassam Ishak ne renie rien, toutefois, de son engagement contre le régime de Bachar Al-Assad. « Au printemps 2011, le peuple syrien a perdu complètement espoir dans la capacité du régime de Bachar Al-Assad, soumis à une présence iranienne de plus en plus massive, à se corriger de lui-même« , raconte-t-il. « Porté par l'exemple des révoltes tunisienne et égyptienne, ses premières demandes ont été de liberté et de dignité« .
« On est entré dans le cercle vicieux de la violence »
« Dès le début, la réaction du régime a été violente« , poursuit-il. « Il a affirmé que ce n'était pas une demande spontanée du peuple syrien, il a accusé des puissances étrangères de vouloir semer le trouble entre Syriens. Comme tout régime dictatorial, il s'est retranché derrière cette argumentation. Le peuple a continué ses manifestations pacifiques. Le régime a poursuivi sa répression violente. Alors on est entré dans une cercle vicieux de violence. Des militaires ont fait défection en refusant de tirer sur les citoyens. Cela a été le début de l'ASL« .
« Des éléments perturbateurs »
« Le régime a alors utilisé des armes de plus en plus violentes et de plus en plus dangereuses« , enchaîne Bassam Ishak. « Et la révolution pacifique a basculé en affrontements armés, introduisant des éléments très perturbateurs : les intégristes islamistes et les hors-la-loi qui profitent du chaos pour leurs intérêts personnels« .
« Nous avons décidé de rester sur la terre de nos ancêtres »
« Nous attendons l'après-Bachar« , insiste l'opposant. « Les Syriaques, comme les autres chrétiens, aiment leur patrie, ils lui sont fidèles. Nous avons décidé de rester sur la terre de nos ancêtres. Nous voulons un pays construit sur le principe du patriotisme, assurant l'égalité pour tous, quelles que soient les communautés et les religions« .
« La leçon de l'échec des Assad »
« Sans le respect de la pluralité syrienne, on ne peut construire un pays solide« , poursuit-il. « C'est la leçon que tous les Syriens doivent apprendre de 42 ans de pouvoir des Assad. Tout pouvoir qui voudrait favoriser une minorité est voué à l'échec. On ne peut ignorer les petites communautés et réussir en Syrie ».
« On va vers une dictature de la majorité »
« Or l'instance dirigeante de la Coalition nationale de l'opposition construite en novembre dernier à Doha ne compte aucun représentant syriaque« , se plaint Bassam Ishak. « Pas un sur un total de 63 membres. Quel est le message ainsi envoyé au plus ancien peuple de Syrie : qu'il n'a aucune place dans la Syrie nouvelle? On va vers une fausse démocratie, une dictature de la majorité (musulmane sunnite). Les responsables français doivent en être conscient« .
« Nos ancêtres étaient là avant les Arabes »
« Nos ancêtres étaient là avant les Arabes », plaide ce responsable, qui fait remonter les racines de son peuple à l'établissement d'une communauté chrétienne à Antioche par l'apôtre Paul en 37 après Jésus-Christ, voire même avant, puisque les Syriaques revendiquent une ascendance araméenne. Dans cette vision, développée par l'European Syriac Union, la quasi-totalité des chrétiens de Syrie, même s'ils appartiennent à des Églises différentes, appartiennent à cette souche commune. »Aujourd'hui, beaucoup de chrétiens syriens disent qu'ils sont d'origine arabe, mais c'est pour se donner un point commun avec les musulmans. En fait, ils sont d'origine syriaque« , un terme qui recouvre à la fois une dimension ethnique, culturelle et religieuse.
« Nous voyons en la France une alliée »
« Dans la Syrie nouvelle, nous voulons que tous les Syriens aient le droit de revendiquer leur origine, leur identité, sans rétorsion« , insiste Bassam Ishak. « Et nous voyons en la France une alliée« .
« Nous ne voulons pas d'un autre Irak »
« Le monde occidental, et notamment la France, doit prendre en considération la volonté du peuple syriaque de vivre dans son pays« , ajoute Said Malki, vice-président de l'Union syriaque en Syrie, également présent au Sénat mercredi. « Nous ne voulons pas d'un autre Irak. Nous ne voulons pas être obligé de partir. Nous avons déjà créé un conseil militaire syriaque pour défendre nos enfants, nos villes, nos mères, notre patrie. Nous sommes contre la guerre et contre la violence mais en légitime défense, on y est bien obligé« .
« Ne pas rester prisonnier du passé »
Contraint au pragmatisme, les Syriaques de Syrie coopèrent notamment avec la Turquie voisine, héritière d'un Empire ottoman qui a massacré beaucoup de membres de cette communauté durant le génocide des Arméniens. « En politique, on doit être pragmatique« , explique Bassam Ishak. « On ne peut pas avancer si on reste prisonnier du passé. Il faut aller de l'avant dans de nouvelles relations avec la Turquie. Notre devoir est de la convaincre de reconnaître que ce qui s'est produit à l'époque était un crime contre l'Humanité. Mais nous n'avons pas le choix. En tant que minorité, nous n'allons pas partir en guerre contre la Turquie. Nous appelons à de nouvelles relations au Moyen-Orient. On doit tous s'entraider pour cela. C'est aussi dans l'intérêt des Européens« .