Une délégation interreligieuse et humanitaire conduite par Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes et président de Pax Christi France est rentrée samedi 12 octobre d'un voyage de six jours en Jordanie et au Liban.
Composée de responsables religieux (l'imam de Bordeaux Tareq Oubrou, le P. Christophe Roucou, directeur du Service des relations avec l'islam à la Conférence des évêques de France) et de représentants d'associations (Secours catholique, Secours islamique, CCFD-Terre Solidaire, Œuvre d'Orient, Chrétiens de la Méditerranée, Action chrétienne en Orient…) elle souhaite alerter l'opinion française sur les besoins des réfugiés syriens qu'ils ont rencontrés.
Que retenez-vous de ce voyage de six jours auprès des réfugiés syriens, en Jordanie puis au Liban ?
Mgr Marc Stenger : Nous avons non seulement rencontré des réfugiés, mais aussi ceux qui les accueillent. Quand j'ai eu l'idée de cette visite, il s'agissait dans mon esprit d'aller au-devant des réfugiés syriens pour leur dire notre compassion. Mais j'ai découvert ici l'engagement de ceux qui, au quotidien, les accompagnent pour les aider à aborder leur difficile condition de déplacés. Au Liban, ce sont essentiellement des organisations chrétiennes et musulmanes qui assument cet accueil, sans recevoir beaucoup d'aide de l'État.
Quelle image vous a le plus marqué au fil de ces visites ?
Mgr M. S. : Des images marquantes, il m'en reste beaucoup. Dans la plaine de la Bekaa (vaste région rurale située dans l'est libanais, NDLR), nous avons rencontré des familles qui vivent dans des conditions extrêmement difficiles, plus que précaires. Dans ces campements de fortune, tous se demandent comment ils vont pouvoir traverser l'hiver. Malgré cette angoisse, ils gardent une grande dignité, ne se laissent pas abattre. Les réfugiés syriens que nous avons rencontrés restent debout face à l'adversité.
Pourquoi avoir fait le choix d'une délégation composée de membres à la fois chrétiens et musulmans ?
Mgr M. S. : Au fil du voyage, nous avons mesuré l'importance symbolique d'une délégation interreligieuse dans le contexte du Proche-Orient. À travers ce choix, nous avons voulu manifester que les religions sont faites pour s'unir au service de l'homme et de la paix. Mais c'est aussi un message que nous souhaitons transmettre dans notre pays. En France, on réduit trop souvent les religions à des facteurs de division et de conflit. C'est un visage de communion que nous voulons opposer à cette vision. Loin d'être protocolaire, notre démarche était aussi animée par la foi. Celle de croyants qui vont ensemble à la rencontre de ceux qui souffrent.
Quelle atmosphère avez-vous ressenti au Liban, où l'équilibre intercommunautaire était déjà fragile avant l'afflux de réfugiés syriens ?
Mgr M.S. : Le pays est assurément sous pression. Le Liban compte plus de 4 millions d'habitants, auxquels s'ajoutent désormais un million et demi de réfugiés syriens. Sans oublier les centaines de milliers de réfugiés palestiniens qui y vivent toujours. Ce nouvel afflux est difficile à porter pour un pays en crise. Cela n'empêche pas les Libanais de les accueillir spontanément. Beaucoup nous ont dit : quand l'homme souffre, nous devons être là. En même temps, ils sont très conscients que la situation peut déraper à chaque instant. Cette présence constitue un facteur de déséquilibre. Elle risque de faire basculer le pays dans la violence. Mais – nous en avons été témoins – lorsque des hommes et des femmes vont au nom de leurs valeurs humaines et spirituelles à la rencontre de leurs frères, il y a là un puissant correctif à toute tendance au dérapage et au déséquilibre.
Que peut changer cette visite dans la façon dont les organisations françaises se mobilisent pour les réfugiés syriens ?
Mgr M.S. : Il est évident qu'il doit y avoir une suite à cette expérience. Cela ne doit pas être une visite de plus, une petite lueur d'espoir que l'on allume et qui s'éteint aussitôt. Nous ne devons pas perdre le contact avec les associations mobilisées sur le terrain. Je leur répète : vous nous aidez à assumer notre propre responsabilité envers ceux qui souffrent. Il est essentiel que nos organisations continuent à épauler ceux qui accompagnent les réfugiés. Nous avons évoqué la possibilité de soutenir ensemble un projet concret pour manifester notre unité.
Il faut aussi que nous sachions rendre compte de ce que nous avons vécu à notre retour en France. Beaucoup ignorent l'étendue réelle de ce drame. Nous voulons témoigner auprès de la société civile ce qui se passe ici.
Comment voyez-vous l'avenir de la Syrie ?
Mgr M.S. : Il est clair qu'il n'y a pas de solution en dehors de la politique, et que nous avons quelque chose à dire à ceux qui nous gouvernent. Le peuple syrien a besoin d'être protégé, soutenu, aidé à retrouver ses marques. Aujourd'hui, toute solution qui n'intègre pas cette dimension n'est pas une bonne solution. Ce qui est en jeu, ce sont des hommes, des femmes, des enfants qui ont le droit à la justice, à la paix, et il faut les leur accorder. Nous devons réfléchir aux moyens qui conduisent ou non à cette fin.
C'est aussi à chacun de nous de se mobiliser pour les Syriens. Nous ne pouvons pas nous décharger sur les politiques, sur les organismes ; nous sommes tous responsables de l'avenir de ce peuple, et de tous les peuples victimes de la violence. Grâce à ce voyage, nous connaissons mieux le périmètre de notre responsabilité. C'est celui de l'humanité, de la défense de la dignité des personnes, de la justice. Aucun de nous n'a le droit de se dérober.
Recueilli par François-Xavier Maigre (à Beyrouth)Envoyé de mon Ipad
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