Quatre ans après le début de la crise syrienne, le Liban n'est pas tombé dans l'engrenage de la violence. Comment l'expliquez-vous ?
Le Liban parvient à maintenir une certaine stabilité sécuritaire suite à un accord politique conclu entre les différents partis sur la scène libanaise. Mais l'équilibre reste très fragile. Les forces de sécurité démantèlent presque chaque jour des cellules terroristes qui préparent des attentats. La situation est particulièrement préoccupante dans les régions frontalières de la Syrie, en raison de l'implication du Hezbollah dans la guerre aux côtés de Bachar el-Assad. Cette ingérence militaire dans un pays étranger ne fait que développer les tensions confessionnelles au Liban et met gravement en péril l'unité nationale. L'intervention du Hezbollah ne fait que servir la stratégie de l'Iran, qui cherche à étendre son hégémonie sur tout le Moyen-Orient, du Yémen à l'Irak.
Le poids des réfugiés n'est-il pas trop lourd à porter pour un si petit pays ?
Le Liban est un pays de 10.452 km², qui accueille 1,7 million de déplacés syriens, dont 1,2 million ont été enregistrés par le Haut-commissariat aux réfugiés. C'est une situation inédite dans le monde et difficilement supportable. Nous avons un devoir humanitaire de solidarité avec le peuple syrien mais qui ne doit pas mettre en danger l'avenir du Liban. Le taux de chômage a grimpé à 25 %, et touche 36 % de jeunes, alors qu'il était de 11 % en 2011, avant le début des événements en Syrie. La main-d'oeuvre syrienne représente une concurrence déloyale pour les travailleurs libanais. Elle a investi de nombreux secteurs d'activités, et ne se limite plus à l'agriculture et à la construction, où elle a toujours historiquement travaillé. Résultat : la cadence de l'émigration libanaise a repris comme dans les années 70, au début de la guerre civile libanaise.
Les efforts de la communauté internationale sont-ils insuffisants ?
Fin mars, les bailleurs internationaux ont encore fait des promesses de dons d'une valeur de 3,8 milliards de dollars pour aider les pays voisins de la Syrie à supporter le fardeau des réfugiés mais jusqu'ici, nous n'avons toujours rien reçu. L'économie libanaise n'a pas les moyens de faire face à un tel afflux. Il ne faut pas oublier que la dette publique atteint 72 milliards de dollars et que le Liban ne possède pas de manne pétrolière ou gazière comme d'autres pays de la région. Je lance un appel solennel à la communauté internationale pour aider davantage le Liban. Il en va de la survie du pays.
La livraison d'armes françaises à l'armée libanaise, financée par un don saoudien de 3 milliards de dollars, est une autre forme de soutien...
Les premières armes sont arrivées fin avril mais leur acheminement se fait encore au compte-gouttes. Une fois que toutes les livraisons seront concrétisées, cela peut changer la donne sur le terrain, en permettant notamment à l'armée de repousser les assauts du Front Al-Nosra (ndlr : branche d'Al-Qaïda en Syrie) ou de l'État islamique, qui sont campés aux frontières libanaises. Le Liban a besoin d'une armée forte qui puisse faire l'unanimité au sein de la société et qui doit être la seule autorité légitime à avoir recours aux armes.
François Hollande s'est beaucoup rapproché des États du Golfe ces derniers mois, en particulier avec l'Arabie Saoudite et le Qatar. N'est-ce pas un pari risqué ?
La France se doit de garder des liens privilégiés avec l'axe sunnite, qui représente plus de 90 % des musulmans dans le monde. Les chiites sont surtout présents dans quelques pays du Moyen-Orient : en Iran, en Irak, au Bahreïn, au Yémen et au Liban. Mais elle ne doit pas totalement se couper de l'Iran, qui reste un acteur important en Asie mineure et qui demeure en position de force au Moyen-Orient. La France est l'un des seuls pays occidentaux à vouloir maintenir la stabilité et à la démocratie dans la région mais elle n'a plus les moyens d'imposer sa politique.
Avec la multiplication des conflit
s dans tout le monde arabe, se dirige-t-on vers une partition du Moyen-Orient ?
On s'achemine clairement vers une balkanisation du Moyen-Orient. La Syrie est déjà, de facto, divisée et partagée. Ni les alaouites, ni les sunnites ne pourront être maîtres du pays. On risque d'aboutir dans l'avenir à la création de nouveaux États ou entités au Moyen-Orient. La communauté internationale porte une importante part de responsabilité dans les conflits de la région. Le démantèlement du Moyen-Orient a commencé avec la guerre lancée par les Américains en Irak, en 2003. Tous les grands acteurs régionaux ou internationaux cherchent à déstabiliser le Moyen-Orient pour garder la mainmise sur ses richesses.
Les chrétiens sont-ils aujourd'hui en danger dans le monde arabe ?
Oui, beaucoup n'ont pas eu d'autre choix que de prendre le chemin de l'exode. Au Liban, nous sommes prêts à prendre les armes pour maintenir à tout prix notre présence. Nous refusons catégoriquement de revenir au statut de dhimmi, un statut de citoyen de seconde zone prévu par le droit musulman, et que l'État islamique a déjà instauré dans certaines zones en Irak. Les chrétiens n'ont besoin de la protection, ni des chiites, ni des sunnites. La résistance chrétienne existait bien avant celle du Hezbollah, et existera bien après elle.
Cela fait plus d'un an que le Liban fonctionne sans président de la République. Peut-on espérer une solution à court terme ?
C'est l'axe iranien, incarné par le Hezbollah et son partenaire chrétien, le général Aoun, qui bloque depuis des mois l'élection du président de la République, un poste qui est traditionnellement réservé à un chrétien. Le rôle des chrétiens au Liban s'en trouve considérablement affaibli. Ce vide à la tête de l'État, s'il se prolonge, pourrait préparer un changement des institutions libanaises, avec un président qui ne serait plus chrétien. C'est un projet très dangereux souhaité par le Hezbollah, qui propose déjà de manière officieuse d'élire un vice-président chiite. Si le Liban perd son visage chrétien, il perdra sa raison d'être.
Envoyé de mon Ipad