Que vous inspire le tragique incendie criminel de la bibliothèque de Tripoli ?
Je connaissais bien la bibliothèque al-Saeh, un lieu à vocation de librairie autant que de bibliothèque, ainsi que le prêtre grec-orthodoxe Ibrahim Srouj, dont le travail m'a toujours impressionné positivement. Cet incendie est malheureux, quels que soient les arguments des terroristes, qui accusent le prêtre d'avoir publié un tract offensant l'Islam. Même -et je ne le crois pas – si c'était le cas, leur acte resterait totalement condamnable. Au-delà du symbole que cela représente, il est inadmissible de punir toute une population, toute une région, en la privant d'une source d'enrichissement telle que la bibliothèque al-Saeh.
Les intégristes savent que la culture, le livre et l'éducation sont des armes dangereuses contre leur fanatisme, c'est pour cela qu'ils les attaquent. Il ne faut pas désespérer et continuer de préserver la diversité de la culture du monde arabe dans notre pays, une culture riche de toutes les religions qui sont passées au Liban, comme l'a toujours fait le père Srouj, un prête attentif à toutes les communautés et toutes les religions du pays. Il a toujours veillé à ce que sa librairie compte des ouvrages de toutes sortes et de toutes origines, y compris non-chrétiens.
Est-ce la première fois qu'un tel lieu est attaqué au Liban ?
C'est la première fois qu'un lieu culturel est atteint spécifiquement dans notre pays. Durant toute la guerre civile, de 1975 à 1982 et jusqu'à 1990, jamais il n'y a eu d'atteinte directe d'un lieu de culture aussi important – si l'on excepte, en 2006, la destruction entre autres bâtiments de bibliothèques publiques du Sud-Liban par les bombardements israéliens. Mais rien de cette dimension n'avait encore eu lieu.
Tripoli, la deuxième ville du pays, n'est pas la ville intégriste qu'une vision partielle de l'actualité peut faire croire. La majorité n'est pas intégriste. La population civile est descendue dans la rue pour manifester sa colère le lendemain de l'incendie, et, surtout, elle s'est mobilisée sur le champ pour aider à nettoyer et trier les livres. Ce matin, lundi 6 janvier, ils recherchaient des professionnels pour les aider à faire le travail de sélection et de sauvetage des ouvrages qui pouvaient l'être, et pour inventorier ce qu'il faudrait racheter… Je suis très confiant dans cette reconstruction de la bibliothèque.
Êtes-vous inquiet, en tant que libraire beyrouthin, et en tant que citoyen libanais ?
Même s'il faut absolument ne pas céder au désespoir, nous sommes inquiets de tout actuellement. Dire le contraire serait mentir. Il faut se rassurer en se rappelant que cet élan antichrétien n'est ni majoritaire, ni emblématique. Mais il y a de quoi se soucier de la détérioration de la situation économique et sécuritaire. Si la crise touche le livre partout dans le monde, on la ressent encore plus au Liban, avec une diminution du pouvoir d'achat répercutée sur les ventes de livres, et une population qui, craignant les attentats, se déplace beaucoup moins en centre-ville. La baisse globale des budgets institutionnels se répercute sur l'ensemble du secteur culturel, malgré le dynamisme des bibliothèques publiques.
Recueilli par SABINE AUDRERIEEnvoyé de mon Ipad
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