Des incidents survenus dans la Békaa-Nord sont venus souligner hier la précarité de l'état de la sécurité dans la région, où le banditisme prospère plutôt que de reculer. Le premier incident, le plus grave, a été l'interception par un repris de justice, Mohammad « Dourra » Jaafar, d'un convoi venant du siège patriarcal maronite de Dimane (Liban-Nord) et se rendant à Deir el-Ahmar, par le col de Aïnata. À bord, l'évêque maronite Hanna Alwan et le père Élias Nasr, avec les documents nécessaires pour assurer la transition entre le nouvel évêque maronite du diocèse de Baalbeck Deir el-Ahmar, Mgr Hanna Rahmé, et son prédécesseur, Mgr Simon Atallah.
Le convoi a été intercepté par trois voitures, qui ont barré la voie à l'évêque. Des hommes en armes, conduits par Mohammad Dourra, en descendent. Ce dernier s'adresse plutôt courtoisement à l'évêque et le charge de demander au patriarche d'intervenir en faveur de la libération de son épouse. Aux dires de Mgr Rahmé, le message à transmettre aux forces de l'ordre est le suivant : « Il nous importe de faire savoir à quiconque a des oreilles pour entendre que l'arrestation de la femme de Mohammad Dourra est une ligne rouge. » Après cette menace à peine voilée, l'homme ajoute : « Je suis Mohammad Dourra, et voici mon numéro de téléphone. Transmettez mon message à qui de droit. Soyez des hommes et faites-moi face, et relâchez mon épouse. »
Dans un incident similaire, le même groupe devait intercepter aussi un agent des FSI de la région, qui s'est également vu confier un message analogue.
L'affaire Marc Hajje Moussa
Selon l'agence al-Markaziya, l'épouse de Mohammad Dourra, Sethrida, et celle de son frère Hussein, Hagar, avaient été arrêtées la veille au soir au barrage des Forces de sécurité intérieure (FSI) de Dahr el-Baïdar, dans le cadre de l'enquête sur le rapt récent du jeune Marc Hajje Moussa. Ultérieurement, l'épouse de Hussein Dourra avait été relâchée.
Selon les bulletins télévisés en soirée, Mgr Hanna Rahmé a précisé que Mohammad Dourra a menacé de procéder à des rapts (de chrétiens) dans la Békaa, si son épouse n'est pas relâchée dans un délai de deux heures. Les télévisions ont également retransmis des déclarations vigoureuses de l'évêque assurant que les chrétiens de la région sauraient, « au besoin », « relever le défi » si leurs vis-à-vis chiites de la tribu Jaafar persistaient à bousculer les règles du vivre-ensemble. Poursuivant sur sa lancée, Mgr Hanna Rahmé s'est vivement élevé contre l'humiliation infligée à l'armée et aux forces de l'ordre « par des bandes qui leur font craindre pour leurs familles et leurs biens ».
Situation anarchique
« La situation est anarchique, devait-il affirmer par la suite, dans une déclaration reproduite par l'Ani. Nous sommes à la merci de bandes qui circulent sur les routes et dans les agglomérations, comme si l'État et l'armée étaient inexistants. C'est inadmissible. Nous apprenons tous les jours qu'il y a eu des cas de vols. L'incident d'aujourd'hui a porté cette situation à son comble. »
« L'anarchie est à son paroxysme, a repris l'évêque de Deir el-Ahmar. L'État a cessé d'exister. C'est la fin de tout. Les routes ne sont plus sûres et nos vies sont en danger. S'ils veulent que chacun vive tout seul, soit. Mais s'ils veulent que nous vivions ensemble et que nous circulions sur les routes les uns des autres, que l'on respecte l'État représenté par l'armée et toutes les forces de sécurité. Qu'ils insufflent le moral nécessaire aux officiers. Ces gens-là circulent aux barrages sans être inquiétés, que ce soit Mohammad Dourra ou d'autres, comme Hamzé Jaafar. C'est inadmissible. Nos régions ont leur particularité et leur dignité, et je parle aussi bien au nom des chrétiens que des musulmans, la Békaa-Nord a sa dignité. Il est inadmissible que 10, 20 ou même 100 personnes sévissent dans la région et fassent la loi. Nos populations ont le droit de vivre dans la sérénité. Que ces jeunes gens égarés et loin de Dieu reviennent à eux-mêmes. Est-ce bien ça, l'islam ? Ils détruisent Baalbeck et la vie dans cette région. »
Assurances de la tribu Jaafar
Réagissant à ces déclarations alarmistes, la tribu des Jaafar a dénoncé hier, dans un communiqué, « l'agression et les menaces » de Mohammad Dourra et cherché à rassurer les chrétiens sur la sécurité de leurs déplacements dans la région. « Nous sommes connus pour préserver la bonne entente avec nos voisins et nos parents », a précisé le communiqué. « Ce qui se passe, à l'ombre des circonstances difficiles que traverse la région, doit être considéré comme un incident isolé », souligne encore le texte. Nos parents partout et spécialement à Deir el-Ahmar savent qu'ils peuvent circuler en toute sécurité sur nos routes et il est de notre devoir à tous de rester attachés au vivre-ensemble. » Et le communiqué de réclamer que l'État « frappe d'une main de fer ceux qui portent atteinte à la sécurité et à la coexistence, et revienne dans la région avec toutes ses institutions ».
Dans l'esprit des habitants, toutefois, l'incident d'hier rappelle le mauvais souvenir de l'assassinat de sang-froid des époux Fakhri, il y a quelques mois, devant leur domicile à Btedhi, par des hommes armés du clan chiite des Jaafar, que la tribu refuse toujours de remettre à la justice.
Raï et Kahwagi informés
Le patriarche maronite Béchara Raï a reçu hier l'évêque Hanna Alwan et le père Élie Nasr et a écouté leur récit sur l'incident. Lors de la rencontre, le prélat maronite a reçu un appel téléphonique du commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi, qui a demandé des précisions sur l'incident.
Sur un autre plan, le patriarche maronite a reçu une délégation de la famille de Georges el-Rif, accompagnée du président de la Coopération internationale pour les droits de l'homme, le Dr Ziad Bitar, et d'un certain nombre d'avocats. Le patriarche s'est informé auprès de l'épouse du défunt des détails de ce crime barbare.
Signalons pour finir que l'incident de la journée a poussé les organisateurs de l'Académie maronite à annuler l'excursion que devaient effectuer hier à Deir el-Ahmar et Béchouate les jeunes émigrés maronites qui participent à ce programme.
Joseph T Khoreich
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