Objet: Le cardinal Béchara Raï à la conscience internationale : « Cessez la guerre ! » | La-Croix.com
De passage à Paris, où il a rencontré mardi 9 avril le président François Hollande, le cardinal Béchara Raï a accordé un entretien exclusif à « la Croix » au terme de cette visite de cinq jours.
Refusant de prendre parti dans le conflit syrien, le patriarche maronite appelle les gouvernements étrangers à s'engager pour une solution diplomatique.
Il exprime son souhait de renforcer les liens entre les différentes Églises, mais aussi avec les musulmans pour contrer le fondamentalisme.
« La Croix » : Vous affirmez que le « printemps arabe » doit devenir un « printemps de l'homme ». Que voulez-vous dire ?
Cardinal Béchara Raï : « Nous vivons avec les musulmans au Moyen-Orient depuis mille quatre cents ans. Ensemble, nous avons su trouver un modus vivendi. Nous avons traversé des joies et des peines, mais nous avons mené ensemble cette société, avec une certaine complémentarité. Les chrétiens ont exercé une grande influence sur la culture et la vie sociale au sein du monde arabe, en véhiculant les valeurs de la modernité.
Cet équilibre est aujourd'hui menacé : nous observons une ingérence extérieure qui voudrait fomenter à tout prix la guerre, sous prétexte d'établir la démocratie. Les réformes politiques, économiques et sociales sont une nécessité en Syrie et dans tout le monde arabe. Mais elles ne peuvent être imposées de l'extérieur. La situation actuelle en Syrie est désastreuse. Des groupes fondamentalistes tuent et détruisent, soutenus depuis l'Orient et l'Occident par les armes, l'argent, les appuis politiques.
Quel rôle peut jouer l'Occident vis-à-vis des chrétiens orientaux ?
Card. B. R. : Il faut soutenir moralement et politiquement la présence chrétienne pour endiguer cette montée croissante vers l'intégrisme. Si le « printemps chrétien », le « printemps de l'homme », perd son influence, la menace est grande de voir la majorité modérée des musulmans passer du côté opposé. Ceux-ci constatent que des États soutiennent les fondamentalistes. Or, ils veulent vivre et, pour vivre, ils risquent de se radicaliser à leur tour. Ce risque menace la paix mondiale.
Concernant la Syrie, si vous parlez de paix, vous êtes accusé de soutenir le régime, comme si on ne voulait pas entendre parler de dialogue. Les mots sont flous : certains évoquent une solution politique, mais jamais de négociation. J'adresse un cri à la conscience internationale : cessez la guerre ! Cessez le commerce des armes !
Le président Hollande vous a-t-il semblé plus réceptif à votre analyse que ne l'avait été Nicolas Sarkozy ?
Card. B. R. : Je tiens à le préciser : ces deux visites ont été magnifiques. Malheureusement, elles ont été troublées. Cette fois encore, même en évitant de multiplier les déclarations, il s'est trouvé quelqu'un pour écrire des choses fausses (1). Je le redis : mes rencontres avec les deux présidents ont été du même niveau, avec la même clarté, la même préoccupation et le même langage. Nicolas Sarkozy m'avait remercié pour ma lecture géopolitique. Quant à François Hollande, après la rencontre officielle, il a tenu à ce que nous prenions un quart d'heure seul à seul. Après huit siècles, l'amitié entre la France et le Liban est toujours vivante.
Quels sont les enjeux du sommet des responsables religieux du Proche-Orient dont vous avez annoncé la préparation ?
Card. B. R. : En deux ans, nous avons tenu au Liban quatre sommets islamo-chrétiens avec les patriarches, les évêques catholiques, orthodoxes, protestants, et les chefs sunnites, chiites, druzes et alaouites. Notre objectif est d'unifier notre parole, de condamner la guerre. Il s'agit aussi d'apporter un soutien moral aux chrétiens et aux musulmans, de faire entendre une autre langue que celle des intégristes. Pour ces raisons, nous travaillons aussi à l'organisation d'un sommet des chefs de toutes les Eglises d'Orient. Mais la guerre complique ces préparatifs.
Sept mois après le voyage de Benoît XVI au Liban, l'exhortation apostolique a-t-elle porté ses fruits parmi vos communautés ?
Card. B. R. : Sa visite a donné beaucoup de courage aux chrétiens comme aux musulmans. Quant à l'exhortation apostolique, nous nous sommes retrouvés avec les patriarches et évêques catholiques, orthodoxes et protestants de la région pour réfléchir à son application. À la suite de cette visite, le pape a eu deux initiatives fortes : il a voulu que le patriarche maronite devienne cardinal, et demandé que de jeunes Libanais préparent les méditations de la Via crucis à Rome.
L'insistance du pape François en faveur des plus pauvres vous semble-t-elle un signe positif pour les chrétiens d'Orient ?
Card. B. R. : Toutes les pauvretés sont dans le cœur du pape François. Je lui ai adressé une longue lettre décrivant la situation au Moyen-Orient, en lui demandant d'intervenir, ce qu'il a déjà fait à deux reprises. Notre devoir, en tant qu'Église locale, est de l'informer. Sensible à la misère humaine, qu'elle soit matérielle, spirituelle, culturelle, politique ou sociale, il est très ouvert à notre situation.
Envoyé de mon iPad jtk
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