En dépit de ce dénouement heureux – qui est encore à confirmer –, ce rapt marque peut-être un tournant dans la crise syrienne, rappelant les pires heures du conflit irakien. Depuis le début du soulèvement contre le régime de Bachar Al Assad, en mars 2011, c'est le premier enlèvement de responsables chrétiens de premier plan.
Les deux évêques menaient une mission humanitaire
Les ressors de cet enlèvement demeurent encore incertains. L'information avait été rendue publique par l'agence de presse officielle syrienne Sana, dans un communiqué relayé sur Internet. Elle indiquait qu'un « groupe terroriste armé » avait enlevé Mgr Yohanna Ibrahim (ci-dessous), évêque syrien-orthodoxe d'Alep, ainsi que Mgr Boulos Yazigi (ci-dessus), évêque grec-orthodoxe de la même ville, les deux principales confessions chrétiennes du pays, alors qu'ils menaient « une opération humanitaire ».
Les assaillants ont intercepté le véhicule dans lequel circulaient les deux évêques, dont ils ont expulsé le chauffeur, sans doute un diacre, qui aurait été ensuite tué – par un autre groupe armé, affirment plusieurs sources – avant de s'enfuir avec leurs otages. Mais il était difficile, mardi, d'obtenir des informations précises auprès des deux patriarcats. « J'ai pu parler avec des religieux d'Alep ce matin, commentait mardi 23 avril un prêtre syrien sous couvert de l'anonymat.
Dans cette affaire, il faut prendre garde aux informations et aux désinformations. On ne sait pas exactement qui est à l'origine de l'attaque. Ce qui est sûr, c'est que cet enlèvement, comme celui de deux prêtres dont on est sans nouvelles depuis trois mois, pèse sur l'équilibre de la société syrienne. »
Mgr Paul Yazigi est le frère cadet du patriarche Jean X
Selon ce témoin, les deux évêques étaient justement en train d'entreprendre des négociations pour la libération des P. Michel Kayyal et Maher Mahfouz, enlevés samedi 9 février sur la route conduisant d'Alep à Damas, lorsqu'ils ont été eux-mêmes capturés. L'annonce de leur enlèvement a suscité un émoi d'autant plus vif que Mgr Paul Yazigi n'est autre que le frère cadet du patriarche Jean X, élu en décembre 2012 à la tête du Patriarcat orthodoxe d'Antioche.
« Mgr Yazigi est un évêque reconnu, notamment sur le plan œcuménique, détaille Carol Saba, avocat franco-libanais et proche du patriarche Jean X. Il a toujours veillé à adopter une position digne par rapport au conflit syrien, de manière à garder des contacts avec les deux camps. C'est un homme courageux et respecté, qui n'hésite pas à prendre des risques. »
L'opposition syrienne accuse Damas d'être derrière le rapt
Quant à Mgr Yohanna Ibrahim, grande figure de l'église syrienne-orthodoxe, il est perçu comme un homme d'envergure internationale, « un acteur clé du dialogue islamo-chrétien en Syrie. L'un des rares capable de présenter un visage de paix et d'avenir pour ce pays », selon l'historien Sébastien de Courtois, qui l'a très bien connu en 2001, alors qu'il effectuait des recherches sur les communautés syriaques à Alep.
« Personnalité charismatique douée d'une intelligence rare, Mgr Ibrahim s'est imposé comme un élément clé de rapport entre le régime, l'opposition et les communautés religieuses », précisait mardi matin ce spécialiste du monde oriental, redoutant un scénario tel que celui qui avait coûté la vie à Mgr Faraj Rahho, évêque irakien capturé puis assassiné en 2008. Prudence, toutefois : « Ils peuvent avoir été enlevés par des rebelles syriens ou par des combattants étrangers ; mais cela pourrait bien être un acte crapuleux. » Mardi après-midi, l'opposition syrienne a même accusé Damas d'être derrière le rapt.
« En tant que chrétiens, nous ne craignons pas les musulmans syriens »
Dans un article publié lundi par le quotidien libanais de langue arabe Al Joumhouria traduit en anglais sur le blog Notes on Arab Orthodoxy, le secrétaire du patriarche syrien-orthodoxe, Mgr Matta Khoury, évoquait la piste d'un groupe de combattants étrangers. Peut-être des Tchétchènes venus se battre en Syrie.
« En tant que chrétiens, nous ne craignons pas les musulmans syriens, tenait à souligner Mgr Khoury. Nous n'avons aucun problème avec les sunnites, chiites ou alaouites syriens : nous sommes unis par des fêtes, des traditions. Les difficultés sont liées aux islamistes qui viennent de l'extérieur, tchétchènes, talibans, ou afghans venant se battre contre la Russie dans notre région. » Un autre prêtre contacté par La Croix regrettait le manque d'appui des États européens, paradoxalement proches de l'opposition syrienne, dans les cas d'enlèvement de chrétiens.
Dans un communiqué publié mardi après-midi, l'Œuvre d'Orient a salué « la libération rapide des deux évêques, mais rappelle aux autorités internationales qu'elles doivent tout mettre en oeuvre pour faire relâcher les deux prêtres (un grec orthodoxe et un arménien catholique) retenus depuis près de trois mois ».
Envoyé de mon iPad jtk
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