Le martyre des chrétiens d'Orient
La persécution des chrétiens dans le monde est massive, et pourtant, elle se mène dans l'indifférence affichée des médias occidentaux, qui y accordent de temps en temps un article distrait, sans jamais prendre le phénomène au sérieux. C'est qu'une croyance est profondément ancrée dans le système médiatique: l'Islam, aujourd'hui, serait la seule religion persécutée, et l'Occident serait à mettre en accusation. On dénonce systématiquement une hypothétique «islamophobie», en amalgament sous cette catégorie la critique philosophique de l'Islam, la caricature de ses symboles, l'inquiétude suscité par le communautarisme islamique, la lutte contre l'islamisme et les propos authentiquement haineux contre les musulmans, que personne ne niera, mais qui demeurent marginaux. Quoi qu'en disent ceux qui s'usent les genoux dans une exaspérante manie pénitentielle, l'Islam, même si sa présence suscite manifestement un malaise identitaire en Europe comme en Amérique du nord, n'est pas la cible de persécutions.
Inversement, l'indifférence au sort des chrétiens d'Orient est renversante. Elle nous rappelle une chose: il y a, pour le système médiatique dominant, de bonnes et de mauvaises victimes. Les premières permettent de mettre en accusation la civilisation occidentale, pas les secondes. Les premières entrent dans le schéma général de la lutte contre l'impérialisme et le colonialisme, hérité de la gauche la plus radicale, et très populaire dans certains milieux intellectuels, qui l'utilisent pour juger le monde et arbitrer ses conflits. Manifestement, les chrétiens d'Orient entrent dans la deuxième catégorie de victimes, celles qui ne suscitent pas notre sollicitude, qui n'existent pas dans notre système mental. Les persécutions antichrétiennes ne font pas pleurer même si l'ONU, finalement, vient de se réveiller, mais pour combien de temps?
Ils sont pourtant victimes d'authentiques vexations, de persécutions massives. C'est ce qui arrive actuellement en Irak, où l'État islamique a réussi à pousser à l'exode les chrétiens de Mossoul. On les invite à déguerpir. En fait, on les y oblige. Sinon, ils risquent la mort. Ils ne sont plus les bienvenus chez eux, même s'ils sont là depuis toujours. On les traite comme les représentants d'une religion fondamentalement étrangère à la région, dont il faudrait désormais chasser les derniers représentants, alors que le christianisme trouve pourtant dans ce coin du monde son berceau. On détruit même leurs lieux de culte, pour effacer jusqu'à la mémoire de leur présence, ou alors, on cherche à les convertir. C'est l'équivalent de l'épuration ethnique: l'épuration religieuse. Les chrétiens d'Orient sont pourtant les témoins du premier christianisme. On connaît leur liturgie aussi diverse que magnifique, qui touchera tous ceux qui ne sont pas imperméabilisés contre la beauté des rituels sacrés. Il ne s'agit pas de les idéaliser, évidemment, mais de refuser cette étrange idée qu'ils n'appartiennent pas à la civilisation arabe, et que leur rejet serait en quelque sorte naturel, programmé.
Il faut dire que si ce phénomène d'exode s'amplifie avec la crise irakienne, il n'est pas neuf: en Syrie, en Égypte, et même au Liban, ce dernier étant pourtant leur havre, avec son identité multiconfessionnelle, les Chrétiens s'exilent. L'islamisme qui progresse depuis quelques décennies a créé un environnement radicalement inhospitalier envers eux? D'autant que ceux qui se faisaient un devoir de les protéger, au fil des siècles, ont progressivement renoncé à ce rôle. La France avait cette mission. Elle n'y tient manifestement plus. C'est inévitable, diront certains, dans la mesure où l'Occident cherche lui-même à arracher ses racines chrétiennes. C'est au point où la Russie de Poutine, qui n'est pas exactement une démocratie exemplaire, pour le dire d'un euphémisme, mais qui cherche à se donner une politique de civilisation, prétend désormais s'occuper de cette mission.
Il devrait pourtant y avoir une solidarité profonde entre les nations occidentales, qui héritent du christianisme, et les Chrétiens d'Orient. Une solidarité profonde, ou pour détourner une formule d'un contexte à un autre, une relation particulière. Et pourtant, cette solidarité est empêchée car, comme je le disais plus haut, pour des nations qui ne veulent plus se rappeler qu'elles ont été chrétiennes et qu'elles le sont peut-être encore un peu, la manifester consisterait à renouer avec une part étouffée de leur propre identité. Cette solidarité ne saurait non plus se réduire à l'appel aux droits de l'homme, même s'il est nécessaire. Chose certaine, les questions identitaires, quoi qu'en pensent les esprits légers, structurent plus que jamais la politique internationale, et s'aveugler devant les identités profondes, c'est se condamner à ne rien comprendre à la marche du monde.
Catégories: Politique
Envoyé de mon Ipad
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.