Objet: Visite de Benoît XVI: interwiew exclusive du Père Samir Khalil Samir, sj. Expert au Synode d'Octobre 2010
Visite de Benoît XVI: interwiew exclusive du Père Samir Khalil Samir, sj. Expert au Synode d'Octobre 2010(Expert au Synode Spécial sur les Eglises orientales,Rome - octobre 2010)Samedi 8 septembre 2012pour www.chretiensdorient.com_____________Q-Père Samir, d'où venez-vous ? Pouvez-vous vous présenter ? Je crois que vous vivez, aujourd'hui, à Beyrouth…R-Je suis né au Caire (Egypte) en 1938. J'ai vécu dans la banlieue de la Capitale. Ma famille est catholique-orthodoxe. Je suis un fils de l'Eglise Copte Catholique. En 1955, je suis entré dans la Compagnie de Jésus. Je réside actuellement à la Résidence des Pères Jésuites, à Achrafieh (Beyrouth). Nous sommes en tout une trentaine de jésuites à y demeurer. C'est, également, le lieu de résidence de la Curie provinciale. Le Provincial y réside. Nous avons aussi parmi nous l'ancien Supérieur général, le Père Kovenbalch, qui travaille dans le Centre que je dirige, le CEDRAC.Q-Pouvez-vous nous dire comment vous relisez votre vocation dans la famille ignacienne? Vous avez choisi d'être Jésuite. Pourquoi ?R-Je situe l'Appel à la vie religieuse aux alentours de 7 ans. C'était à Héliopolis dans la banlieue du Caire. Je me souviens, j'étais sur le balcon. Je ne pourrais pas donner d'explication raisonnée à ce sentiment d'Appel : Dieu m'appelait à être prêtre. Cette motion intérieure s'imposait à moi. Je l'ai tout de suite dit à ma mère. Cela n'a jamais disparu durant toutes ces années. Je n'ai jamais eu de doute sur cet Appel. Au moment du Baccalauréat, j'avais 17 ans, je suis entré au Noviciat de la Compagnie de Jésus : les Jésuites, qui était alors à Aix-en-Provence.Q-Quel est votre cursus universitaire ?R-J'ai accompli, par la suite, quatre années de Lettres et de Philosophie et trois années d'Islamologie à Aix-en-Provence (France). J'y ai soutenu ma Thèse de Troisième Cycle. Pour satisfaire aux obligations militaires (j'en ai été, du reste, dispensé), je suis rentré en Egypte après 9 ans d'absence. J'ai enseigné un au Séminaire Copte Catholique de Maadi (Le Caire). Je suis alors reparti en France pour faire les 4 ans de théologie, à Lyon-Fourvière, mais les circonstances m'ont amené à faire la 2° année à Maastricht (Pays-Bas), et en juillet 68 j'ai été ordonné au rite copte.De retour à nouveau dans mon pays, j'ai travaillé durant 7 années pour le développement social en Haute Egypte (alphabétisation, surtout). C'est une région très pauvre, tout en poursuivant mon enseignement au Séminaire Copte Catholique. et en publiant chaque mois un petit article en arabe sur le patrimoine arabo-copte. A partir de 1970, et ce durant 5 ans, j'enseignais en parallèle à Beyrouth : la théologie arabe chrétienne à la Faculté de Théoliogie de l'Université Saint-Joseph, et la Liturgie à l'Université du Saint-Esprit de Kaslik (USEK) . Puis les choses se sont enchaînées assez rapidement…De Février 1975 à Octobre 1986, j'ai été appelé pour enseigner à Rome à l'Institut Pontifical Oriental et à l'Institut d'Etudes Arabes et Islamiques (le PISAI) ; mais aussi à Naples et à Paris aux Facultés jésuites - le Centre Sèvres… où je donne encore régulièrement des cours. C'est de Rome que j'ai lancé la collection "Patrimoine Arabe Chrétien" dont le volume 30 va paraître, puis la collection "Textes et Etudes sur l'Orient Chrétien" dont le dernier volume nous a été volé. La plupart de ces travaux ont été réalisés par des chercheurs ayant fait leur doctorat avec moi sur notre patrimoine. En 1986, j'ai été rappelé au Liban pour y enseigner la théologie à l'Université Saint-Joseph. J'y ai fondé le CEDRAC (Centre de documentation et de recherches arabes chrétiennes), qui a fêté l'an dernier ses 25 ans. Le but était de faire connaître et revivre le patrimoine arabe des chrétiens et leur contribution à la culture scientifique, philosophique et littéraire du monde arabe. En arrivant à Beyrouth, l'USEK m'a demandé d'être co-directeur de leur revue scientifique d'études syriaques et arabes chrétiennes, "Parole de l'Orient", dont le volume 38 est en préparation. Une petite collection de vulgarisation, les "Cahiers de l'Orient Chrétien", a été publiée pour faire réfléchir sur la place des chrétiens dans le monde arabe. Enfin, depuis une dizaine d'années, le CEDRAC a lancé une collection bilingue (italien-arabe) intitulée "Patrimonio Culturale Arabo-Cristiano", avec des textes du patrimoine arabe des chrétiens, ainsi qu'une revue internationale, en collaboration avec l'Université de Cordoue, intitulée "Collectanea Christiana Orientalia".Le but dans tout cela est double: aider les chrétiens orientaux à re-découvrir leur patrimoine oriental, notamment arabe ; aider les musulmans et le monde entier à ne pas identifier islam et arabité: les chrétiens, notamment ceux de langue syriaque, ayant joué un rôle de premier plan dans l'édification de la civilisation arabe. Personnellement, j'ai essayé de contribuer aussi par les cours, les conférences et surtout les publications à faire connaître ces dimensions de la culture orientale chrétienne. Dans ce but, j'ai publié une soixantaine d'ouvrages et ai rédigé quelques 400 articles de recherches, et plus d'un millier d'articles de vulgarisation sur la situation actuelle des chrétiens dans le monde musulman, comme contribution au dialogue islamo-chrétien.Q-Votre nom est attaché depuis de très nombreuses années à l'étude des Eglises d'Orient, aux chrétiens orientaux, aux études islamo-chrétiennes, ainsi qu'au dialogue entre les religions. Que pouvez-vous en dire ? Y percevez-vous des évolutions ?R-Les études arabes chrétiennes ont fleuri de plus en plus ces dernières années. J'ai formé une cinquantaine de Doctorants aux Etats-Unis, en Europe et au Moyen-Orient, qui eux-mêmes enseignent ou dirigent des Centres. Les Coptes orthodoxes s'intéressent de plus en plus à leur patrimoine. J'ai eu la joie d'enseigner à l'Université grecque-orthodoxe de Balamand (Liban) ainsi que dans des monastères coptes orthodoxes. Les très nombreux congrès sur le patrimoine arabe des chrétiens montrent l'intérêt suscité par ces recherches. Il y a deux ans, une association internationale s'est créée, NASCAS (North Amercian Society for Christian Arabic Studies) avec des échanges quotidiens de collaboration.Pour ce qui est de l'Islam, il me semble qu'à la fois l'enseignement est en progression et que le dialogue se multiplie. Néanmoins, il perd sans doute aujourd'hui en profondeur. Il n'y a pas, par exemple, de véritables équipes de dialogue. Il y a, me semble-t-il, un sentiment de retrait et de recul depuis une trentaine d'années. Les relations politiques ont elles aussi reculé. Les affrontements augmentent. Le Monde musulman se trouve affronté à la radicalité fondamentaliste… Le dialogue n'avance pas vraiment dans le fond. « Dans la masse, c'est plutôt le raidissement ». L'immigration venant des pays musulmans vers l'Europe n'a pas amélioré les relations entre musulmans et chrétiens… Parfois même ça a régressé.Il y a une crise indubitablement entre ces deux cultures : une forte crise du Christianisme et une forte crise de l'Islam en des domaines différents.Forte crise du Christianisme : perte d'identité, laïcisation de plus en plus prégnante, perte du sentiment religieux…Forte crise de l'Islam : régression vers le fondamentalisme, l'extrémisme, le fanatisme…Q-Aux vues de votre expérience solide et de votre expertise au Proche-Orient et dans le monde entier, le Pape Benoît XVI vous a appelé comme Expert au Synode Spécial sur les Eglises orientales. Selon vous, quels vont être les points les plus saillants sur lesquels l'Evêque de Rome – Successeur de Pierre – va insister dans ce Document post synodal ?R- Le Synode d'octobre 2010 a été préparé un an et demi avant la date de sa tenue ; et ce par petits groupes avec les 7 Patriarches catholiques d'Orient, l'Equipe du Synode et les Experts. Deux textes ont été élaborés : les Orientations (Lineamenta) et le Document de travail (Instrumentum laboris). Ce dernier avait été remis par le Pape Benoît XVI aux Patriarches et aux évêques, en juin 2010, lors de son voyage à Chypre. Il a servi de base pendant trois semaines au travail de l'Assemblée synodale en octobre 2010 ; de là sont sorties une série de questions qui ont permises d'élaborer un brouillon (il y a six mois) en vue de la rédaction finale de l'Exhortation post synodale. L'Exhortation a été rédigée par le Pape lui-même.Ce texte remis en septembre 2012 devrait servir d'orientation pour les années à venir, en définissant le rôle et la place des chrétiens au Moyen-Orient. Nous pouvons relever six axes importants :1. Réforme et renouvellement des Eglises orientales… Renouvellement spirituel et théologique. Réforme de la liturgie de façon à ce qu'elle soit plus vivante. Réforme de la structure de la communauté chrétienne (clergé et laïcs) pour que l'Eglise soit moins cléricale, et qu'il y ait une meilleure collaboration entre les premiers et les seconds.2. Dimension œcuménique… Renforcement les liens et l'Unité, autant que l'on peut, avec les Orthodoxes. Tout ce que l'on pourrait faire ENSEMBLE devrait avoir autorité sur ce que l'on pourrait faire séparément !!! Retourner davantage à nos racines apostoliques ; puisque toutes nos Eglises sont apostoliques.3. Dialogue avec le Monde Musulman et le Judaïsme… Comment trouver des racines communes ? Souligner la spécificité de chacun, et voir ce que l'on a en commun (la culture, la langue…). ENSEMBLE, faire ensemble TOUT ce que l'on peut faire, et en même temps favoriser un dialogue en VERITE et en AMOUR. C'est exigeant, bien sûr… Le dialogue n'est pas en contradiction avec la nécessité (aussi) d'annoncer l'Evangile à nos Frères musulmans par toute notre vie et par notre parole.4. Un engagement social renouvelé et affirmé des chrétiens pour les Pauvres. Dimension sociale… L'Exhortation voudrait mettre l'accent sur les plus Pauvres ainsi que sur les Droits humains inaliénables : Droits humains de liberté de croyance et de liberté de conscience, égalité entre Tous ; notamment entre les femmes et les hommes, les chrétiens et les musulmans, les croyants et les non-croyants… Pour aller dans le sens d'un idéal de justice sans distinction entre riches et pauvres.5. Un projet éducatif pluriel ouvert aux non-chrétiens, en particulier aux Musulmans. Aider nos sociétés arabes à s'ouvrir à d'autres cultures et à les comprendre. Le rôle des chrétiens, en ce sens, pourrait être particulièrement important pour fonder un projet politique commun.6. Un engagement des chrétiens dans le Monde pour réformer la Société, dans la sphère politique pour construire une vie, une société plus humaine et plus juste pour Tous. Dimension politique dans la Société… Proposition pour que la dimension étatique recouvre une citoyenneté partagée. L'Etat devrait garantir cette dimension égalitaire en Droits et en Devoirs pour chaque citoyen sans distinction de confessions religieuses. C'est un véritable projet de Société. Un Etat « sociétal » (dawlah madaniyyah) (non laïc comme on l'entend en Europe) qui ne soit pas de l'athéisme… Car en Orient à peu près tout le monde se réfère à une religion et a une foi plus ou moins vive. En ce sens, on ne peut parler de « laïcité » au sens où l'Occident l'entend. Q-Selon vous, quels vont être les points les plus saillants sur lesquels l'Evêque de Rome – Successeur de Pierre – va insister dans ce Document post synodal ? La situation géopolitique et interconfessionnelle est très compliquée depuis deux bonnes années au Proche et Moyen-Orient (pour ne relever que ces années en mouvement). Dans ce contexte particulier, pensez-vous que le Proche-Orient attend quelque chose de cette visite pontificale ? Pensez-vous que les chrétiens – dans leurs grandes diversités – attendent eux-mêmes quelque chose ? Si oui, quoi ? -R-En premier lieu, le fait que le Pape vienne au Liban est très important ! En venant, il dit : « Je prends le risque de venir chez vous, et je partage avec vous ce moment difficile que vous vivez ! ». Ensuite, il y a une certaine parenté dans les idées de l'Exhortation apostolique post synodale avec le dit « Printemps arabe ». On est, je le crois, dans la même ligne eu égard à tout ce que je viens de souligner. Le message chrétien voudrait être celui-ci : « Restez autant que vous le pouvez sans emigrer . Vous avez une Mission ! Vous n'y restez pas seulement par tradition, mais parce que Dieu vous a confié une mission par rapport au Monde arabe et musulman. C'est une Mission de dialogue ; un pont entre les cultures et les religions. C'est une Mission spirituelle : vivre l'Evangile en Témoins de Jésus-Christ ». Nous vivons depuis des décennies une situation d'inégalité, d'oppression insupportables ; d'où les réactions des jeunes générations. La situation géopolitique est tendue, est mauvaise pour ces raisons. Les chrétiens, et au-delà les populations que compose le Moyen-Orient, peuvent attendre une confirmation. C'est-à dire que ce que les jeunes dans ce « Printemps arabe » cherchent, ce en quoi ils rêvent – et les chrétiens aussi –, c'est bien ce que l'Eglise cherche à réaliser, ce qu'elle désire et recherche dans la justice et la non-violence. C'est une dimension absolument première et fondamentale. On ne peut pas réaliser ces rêves, changer les structures sans prendre les moyens que ceux prônés par l'Eglise catholique : moyens de justice, d'égalité, non-violents, sans discrimination. Le danger du « Printemps arabe » est de retomber dans d'autres formes de dictature… C'est donc un message de soutien que vient donner le Pape Benoît XVI à ce désir. La méthode, quant à elle, ne peut-être – je le redis encore – que non-violente, croyante, non fanatique. C'est d'abord, en collaborant avec les plus proches, géographiquement, entre pays arabes et avec les pays non-arabes (Israël, la Turquie, les Kurdes), puis avec l'Occident et le Monde entier. Il s'agit d'un Projet ouvert sur toutes les cultures, tout en ayant approfondi la nôtre… C'est la recherche, en fin de compte, d'une Société qui donne sa chance à chacun pour pouvoir vivre décemment. Que faudrait-il faire dès le lendemain de la visite papale pour « recevoir » dans chaque Eglise, dans chaque pays, dans chaque paroisse et mouvement, dans chaque Ordre ou Congrégation religieuse cette Exhortation apostolique post Synodale sur les Eglises Orientales et pour le Proche-Orient ? Quel travail pastoral envisagé ? Quel dialogue avec les religions monothéistes … ? Je proposerais le schéma suivant: Jusqu'à Noël, étudier le Document remis par le Pape à toutes les Eglises orientales et à l'Eglise universelle. Cette étude pourrait se faire par petits groupes qui feraient remonter la quintessence de ce qui a été dit et/ou proposé. Pendant la période de l'Avent, on pourrait organiser un Congrès par Eglise ou par pays pour réfléchir ensemble : qu'est-ce qu'on peut dégager de ce texte ? Que peut-on retenir des remontées ? Qu'est-ce que ça peut vouloir dire avec et pour l'Eglise ? Comment va-t-on se mettre en chemin ? Comment allons-nous nous réformer en partant de tel ou tel aspect de l'Exhortation apostolique ? Comment des équipes pourraient se former pour travailler sur l'ensemble des questions ou sur un domaine particulier ? Chacun le fera selon son charisme propre… Ensuite, il faudrait reprendre tout ceci une fois par an pour vérifier les réalisations faites. C'est un défi pour l'ensemble des Eglises orientales.Q-Auriez-vous une conclusion provisoire et quelques pistes à nous donner dans l'attente de l'accueil du Pape Benoît XVI ?R-Les chrétiens ont perdu l'ESPERANCE ; et c'est pour cela qu'ils quittent leur pays, leurs terres. Il faut la retrouver, et voir en chaque domaine comment peut surgir ou ressurgir cette espérance… dans le social, l'œcuménisme, l'Education, les relations inter-religieuses. Je crois qu'il ne faut pas nous « bloquer » sur cette Exhortation. Il nous faut regarder à partir de ce texte bien sûr, mais aussi au-delà. Par exemple, il nous regarder ce qui va se dire à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'ouverture du Deuxième Concile œcuménique du Vatican en octobre prochain. Ce sera également le commencement à Rome du Synode spécial sur « La nouvelle évangélisation ». Il nous faudrait aussi regarder les expériences pastorales similaires faites ailleurs (Maghreb, Afrique sub-saharienne, Amérique latine…, en Europe et au-delà). Oui, je crois que l'Europe aussi peut aider discrètement à la réflexion et à la mise en place de ce projet pour le Moyen-Orient. Au plan matériel, il y a des projets réalisables seulement s'il y a une aide matérielle, une collaboration, des synergies, une collaboration plurielle. On peut nourrir le projet de voir les orientaux de la diaspora réfléchir avec les orientaux restés au Moyen-Orient sur ces sujets. Il y aurait, de toute évidence, une mission particulière par rapport au Monde musulman pour dépasser le blocage Orient/Occident ; qui nous le voyons dérape. Peut-être que nous pourrions apporter, nous chrétiens orientaux, ici ou là, une aide réelle ?!? Voir quels sont les problèmes que les musulmans rencontrent dans l'intégration, les problèmes de spiritualité, de culture… ? Qu'est-ce que les musulmans vivent comme difficultés ? Comment les chrétiens orientaux pourraient les aider ? Réfléchir avec eux sur ces points précis. Le dialogue infléchirait les tendances exacerbées.Les éléments communs que nous partageons portent cette réalité…Interview réalisée par le Père Patrice Sabater,le 3 septembre 2012 ©copyright - chretiensdorient.cominSharePlusPartager l'article ! Visite de Benoît XVI: interwiew exclusive du Père Samir Khalil Samir, sj. Expert au Synode d'Octobre 2010: Père Samir Khalil Samir , sj. ... inSharePar Père Patrice Sabater Ecrire un commentairePrécédent : Patriarche Melkite: demande au Pape... 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