1915-2015 : un siècle de génocides
Mayrig de Henri Verneuil : le génocide arménien de 1915
Je regardais hier le film Mayrig (Mayrig signifie Mère en arménien) de Henri Verneuil, sorti en 1991, et relatant l'arrivée et l'installation d'une famille arménienne à Marseille après le génocide. Les acteurs principaux en sont Omar Sharif et Claudia Cardinale, les parents du petit Azad (prénom signifiant Libre en persan) qui va s'intégrer en France et réussir son diplôme d'ingénieur des Arts et Métiers à Aix-en-Provence. Chacun l'aura compris : ce film retrace l'autobiographie du petit Achod Malakian, né en Turquie en 1920, qui deviendra le grand cinéaste Henri Verneuil.
Le prologue du film s'ouvre sur le procès de Soghomon Tehlirian (1897-1960), jugé pour avoir assassiné à Berlin en 1921 Talaat Pacha, un des principaux commanditaires Jeunes-Turcs de l'effroyable et prémédité génocide. Tehlirian a agi dans le cadre de l'opération Némésis dont l'objectif était d'exécuter les responsables du génocide condamnés par contumace. Talaat Pacha (1874-1921), grand vizir (1917-18), a été condamné à mort le 5 juillet 1919 par une cour martiale de Constantinople avec ses deux complices, Enver Pacha et Djemal Pacha. Tous les trois se sont enfuis à Berlin.
Tehlirian étant un survivant du génocide arménien, et ledit génocide ayant été évoqué comme ne faisant aucun doute, notamment par la production des documents Andonian (documents publiés par le journaliste arménien Andonian et établissant le lien irréfutable entre le gouvernement Jeunes Turcs et la perpétration du génocide), est acquitté pour l'assassinat de Talaat Pacha.
2015 : il s'agit bien d'un génocide des chrétiens d'Orient
Personne ne pensait qu'à l'aube du 21ème siècle, à un siècle d'intervalle, prendrait place un autre génocide, en tout point semblable à ceux des arméniens, des juifs, des Khmers rouges et des Tutsis.
Des chrétiens égyptiens (coptes) ou irakiens sont exterminés de manière préméditée ou systématique du seul fait qu'ils sont chrétiens. Ainsi à la mi-février 2015, 21 coptes ont-ils été décapités par Daesh pour le seul fait d'être coptes. C'est bien une population spécifique qui est visée. L'été suivant, les chrétiens du Nord de l'Irak ont été chassés de leurs maisons incendiées, désignées à la vindicte publique par le graffiti noun, symbole de leur fidélité au «Nazaréen» (le Christ). Ils ont tout perdu, ont gagné les camps de réfugiés de Jordanie et du Liban.
Etrangement, le gouvernement français a simplement évoqué des ressortissants égyptiens.
La gauche, imprégnée par une idéologie chritianophobe et irritée contre la Manif pour tous (voir les paroles haineuses d'un Bartolone) répugne à reconnaître les persécutions spécifiques menées contre les chrétiens et encore moins un génocide. Mais la raison principale réside ailleurs : en désignant les responsabilités islamiques, elle craint de culpabiliser la communauté musulmane de France (un de ses viviers électoraux de remplacement) et d'être taxée d'islamophobie. Elle préfère donc le génocidement correct.
A droite, Sarkozy et surtout Jean d'Ormesson n'ont pas craint d'utiliser le terme de génocide, ce dernier s'appuyant sur le fait que, depuis la première guerre du Golfe en 1991, la population assyro-chaldéenne a été réduite des deux tiers : « Ce sont les plus anciens chrétiens du monde. Les chrétiens d'Irak sont presque des contemporains du Christ. Aujourd'hui, on peut dire que les communautés chrétiennes d'Orient sont génocidées. »
«Serait-ce la vieille haine de la religion chrétienne qui s'exprime dans cet abandon?», écrit dans Le Figaro Maxime Tandonnet. On n'est pas loin de le croire.
Mais s'agit-il vraiment d'un génocide ? Selon certains, bien que chassées, martyrisées, les populations chrétiennes du Moyen-Orient, menacées de disparaître, ne ferait pas l'objet d'une extermination de masse, seule base de l'incrimination de génocide. On pourrait juste évoquer un « crime contre l'humanité » : telle est, par exemple, la position du journaliste Patrick de Saint-Exupéry, spécialiste du génocide au Rwanda, entendue sur France-Info.
Parenthèse : en 1977, j'étais à Ahvaz dans l'Arabistan iranien, pas très loin de la frontière irakienne, et j'assistais à la messe de minuit dans une église chrétienne. Ahvaz étant une archéparchie (juridiction administrative) de l'église chaldéenne et le prêtre un archéparque, l'équivalent d'un archevêque. Et ce dernier s'exprimait dans une langue inconnue pour moi, qui n'était ni du persan ni de l'arabe, mais de l'araméen, la langue parlée au temps du Christ.
A tout le moins, certains intellectuels de gauche consentent à parler de « génocide culturel », car ils sont obligés d'admettre que le véritable objectif de Daesh est bien l'extermination de la minorité chrétienne. Mais le génocide culturel passe inévitablement par un génocide ethnique.
En tout état de cause, l'extermination des minorités chrétiennes ou yézidies correspond fort bien à la définition donnée dans l'article 69 du Statut de Rome du 17 juillet 1998, acte fondateur de la Cour pénale internationale : l'extermination d'un groupe humain peut être totale et partielle. Cette caractéristique a été avalisée par le nouveau Code pénal français (article 211-1) :
Constitue un génocide le fait, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l'encontre de membres de ce groupe, l'un des actes suivants :
-atteinte volontaire à la vie ;
-atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique ;
-soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe ;
-mesures visant à entraver les naissances ;
-transfert forcé d'enfants.
Le génocide est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.
Dont acte
Jtk
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