« Ne pas considérer les chrétiens comme une minorité mais comme des citoyens ». Les chrétiens d'Orient veulent sortir de la logique minoritaire
Il suffit de jeter un coup d'œil sur sa monture pour comprendre que le cavalier ne revient pas d'un banal « trophée 4L ». Cabossée, éreintée, mais fidèle au poste après 60 000 km de traversée, des steppes d'Asie centrale aux pistes du nord du Soudan, la belle dort sous un préau, aux portes de la Vieille Ville de Jérusalem. Là même où, savoureuse coïncidence, le pape François a achevé lundi 26 mai son premier voyage en Terre sainte.
Il faut parfois deux bonnes minutes pour que le moteur cède aux injonctions de l'allumeur. Mais Vincent Gelot a du temps. À 26 ans, cet ancien étudiant en histoire a appris à s'en donner pour aller à la rencontre des communautés chrétiennes du bout de l'Orient.
Un projet un peu loufoque sur le papier, une odyssée spirituelle et mécanique en solitaire à laquelle peu de monde croyait, hormis lui-même et un camarade qui fera défection sur la ligne de départ.
Sur les routes, un pèlerin reporter
C'était en septembre 2012, à Beyrouth. Vincent terminait un stage au sein d'une ONG lorsqu'il apprit que Benoît XVI venait au Liban avec l'intention de remettre aux Églises d'Orient une feuille de route pour les prochaines décennies – le texte de l'exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente.
Cet ancien scout nantais découvre alors un monde dont il ignore à peu près tout : les Églises et les rites de cet Orient si compliqué, qui ont pour noms de code « copte », « maronite », « syriaque », « arménien »… Vincent décide alors de partir à la rencontre de ces communautés mal connues, voire interdites ou persécutées, en voyageant « à l'ancienne », dans une petite voiture « fiable, sympa et qui soit signe de simplicité ».
Customisée aux couleurs de l'Orient par un ami artiste, la « Habibimobile » (1) se lance sur les routes de Turquie, d'Irak, de Géorgie, d'Arménie… En pèlerin reporter, Vincent Gelot entame un minutieux travail d'enregistrements et de photos, rédige un journal de bord et recueille dans un cahier au format A3 les témoignages des gens qu'il rencontre – le « Livre d'Orient ». Son objectif ? « Rapporter à Jérusalem les prières de tous ces chrétiens qui n'y mettront sûrement jamais les pieds. »
Embûches et solitude
Les obstacles ne tardent pas à s'accumuler. Financiers, d'abord, contraignant Vincent à se lancer dans une levée de fonds sur Internet. L'interminable traversée des républiques d'Asie centrale – il passera deux mois auprès des communautés chrétiennes isolées d'Ouzbékistan – le pousse jusque dans ses retranchements.
La solitude, en plein désert kazakh, l'a marqué davantage que la morsure d'un chien de garde en Iran, ou l'accident qui faillit lui coûter la vie, en pleine nuit, au détour d'une route de montagne en Éthiopie.
En Azerbaïdjan, Vincent s'improvise contrebandier. Il embarque une cinquantaine de bibles imprimées en russe, à destination du Turkménistan et de l'Ouzbékistan, où leur diffusion est passible de prison. « Dans la seule église catholique autorisée du pays, l'évêque m'a accueilli avec des étoiles dans les yeux ! »
Après avoir placé sa 4L sur un bateau à Ormuz (Iran), direction Djibouti, le jeune homme tente d'entrer au Yémen. Repéré comme chrétien, il est retenu 48 heures à l'aéroport, sous étroite surveillance policière, avant d'être expulsé. « J'ai bien cru que l'aventure se terminerait là. » Son « Livre d'Orient » était resté en soute. « S'ils l'avaient trouvé, qu'en auraient-ils fait ? »
Sous le siège avant, des pages sacrées
Quelques semaines plus tard, le précieux recueil retrouvera sa place sous le siège avant de la voiture, arche d'alliance essoufflée dont la dernière étape, après le Soudan et l'Égypte, fut l'entrée en Israël après plus de cinq heures d'interrogatoire par les gardes-frontières israéliens.
Du temps, Vincent comptait bien en prendre une dernière fois, à Jérusalem, pour préparer minutieusement la remise de son « Livre d'Orient » au pape François, à Rome. Les projets de publication, expositions, conférences se bousculent derrière son sourire apaisé.
« Ma responsabilité, aujourd'hui, c'est de témoigner pour aider ces chrétiens à garder leur foi, leur terre, leur identité. Ils disent au reste du monde que le christianisme vient d'Orient. »
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La chapka du berger
« Le voyage n'est qu'un prétexte pour la rencontre à l'état brut, sans artifice », raconte Vincent Gelot. « Par exemple, celle avec ce berger du nord de l'Azerbaïdjan, un vieil homme au cœur de la pampa. Il ne parlait pas un mot d'anglais, je ne connais pas un mot de russe. Pourtant nous nous sommes compris. Nous avons fait le tour de vieilles tombes musulmanes autour de sa maison. Il y avait celle de ses deux enfants, morts en bas âge. Cette rencontre n'avait rien à voir avec les chrétiens, qui étaient le but de mon voyage. Mais c'était l'une des plus intenses. Quand nous nous sommes quittés, après trois jours, il m'a offert une chapka de berger. Puis il m'a pris dans ses bras, comme un fils. »
Samuel Lieven (à Jérusalem)Envoyé de mon Ipad