Cri d'alarme pour le patrimoine chrétien oriental menacé
Une église incendiée à Maaloula (Syrie), en août 2014. Au moins 91 églises auraient été détruites depuis le début du conflit syrien en 2011. / Omar Sanadiki / REUTERS
« Nous avons tout perdu maintenant, d'un point de vue matériel et spirituel », soupire Mgr Petrus Moshe, évêque syrien catholique de Mossoul, à l'évocation de la destruction du monastère de Mar Behnam au nord de l'Irak. À l'arrivée des troupes de Daech en juillet 2014, les trois religieux qui habitaient le monastère ont dû fuir : « Ils sont sortis sans rien. Manuscrits, objets sacrés, mobilier… ils ont tout laissé. »
D'après les informations parvenues depuis à l'évêque, aujourd'hui réfugié avec ses fidèles au Kurdistan irakien, le sanctuaire des deux saints martyrs des premiers siècles de l'Église, Behnam et Sarah (qui était fréquenté aussi par les musulmans des villages voisins) a été détruit. Quant aux murs du monastère proprement dit, dont la fondation remonte au IVe siècle, ils demeurent. Mais « à l'intérieur, on ne sait pas ce qui reste », déplore Mgr Moshe.
Plus de 91 églises détruites en Syrie depuis le début du conflit
Les destructions commises par l'organisation État islamique (EI) sur le patrimoine chrétien en Irak et en Syrie ont fait naître une mobilisation modeste mais croissante, qui se déploie localement et aussi à l'étranger. L'Œuvre d'Orient, qui organisait samedi 16 janvier une journée portes ouvertes dans neuf églises catholiques orientales de Paris, y participe. Parler d'un « patrimoine chrétien oriental contribue en effet à reconnaître l'existence des chrétiens là-bas, résume Charles Personnaz, son chargé de mission pour le patrimoine et la culture. C'est mettre en valeur ce qui marque leur présence dans ces régions. »
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Investie dans des missions d'éducation, de soins et d'action pastorale auprès des communautés orientales catholiques sur place, l'association a élargi son champ d'action pour soutenir des actions locales patrimoniales, sur lesquelles elle communique ensuite en France.
En juillet 2015, Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas, dénombrait 91 églises détruites depuis le début du conflit syrien en 2011. Cependant, dans des pays en guerre comme l'Irak et la Syrie, il est aujourd'hui très difficile d'évaluer l'état actuel du bâti chrétien. « Les pillages sont d'autant plus graves que les Églises locales n'ont pas fait d'inventaire », déplore Charles Personnaz.
Aucun chiffre fiable ne peut donc être avancé, surtout dans les zones les plus reculées. Faute d'une identification précise, « compte tenu de notre histoire commune avec la Syrie, nous pourrions faire inventorier ce que nous avons déjà en France, dans les archives et fonds archéologiques », suggère-t-il. Sur place, l'Œuvre d'Orient est en contact régulier avec les patriarcats des églises locales et, à Damas, avec la direction générale des antiquités et des musées.
Numérisation des bibliothèques
« Les archéologues syriens font un travail remarquable », fait valoir Alain Desreumaux, directeur de recherche au CNRS et président de la Société d'études syriaques en France. « Ce n'est pas leur problème d'être pour ou contre Bachar Al Assad, ils sont au service du patrimoine de leur pays. » Des archéologues, aujourd'hui réfugiés en Europe, ont déjà dressé une liste du patrimoine syrien menacé pour lutter contre le trafic illicite d'œuvres et d'objets syriens.
Manuscrits, objets liturgiques, chants, langues, bâti : le patrimoine chrétien oriental se décline sous sa forme matérielle et immatérielle. Sa mise en péril dans les conflits du Moyen-Orient, en Irak et Syrie, mais aussi au Yémen ou encore au Liban, par exemple, nécessite une mobilisation à plusieurs niveaux.
À ce titre, la numérisation en cours des archives de la bibliothèque du Patriarcat de l'Église syriaque catholique à Charfet au Liban, ou encore du monastère syrien orthodoxe de Mar Matta dans le nord-est de l'Irak (qui sont une source précieuse d'informations sur la vie des populations locales) devient un moyen d'assurer leur sauvegarde. L'exposition « Grandes heures des manuscrits irakiens », organisée en 2015 aux Archives nationales à Paris, a ainsi permis au grand public français de découvrir une collection de manuscrits arabes et syriaques sauvée par le P. Najeeb Michaeel, lorsqu'il a fui le couvent dominicain de Mossoul en Irak.
Le travail de terrain se poursuit donc en France en vue de sensibiliser le grand public, faire connaître les avancées de la recherche sur ces sujets et surtout alerter les grandes institutions françaises. Organisés depuis trois ans à l'Institut du monde arabe, les colloques sur le patrimoine chrétien oriental sont devenus l'une de ces occasions d'échange académique et grand public.
Malgré une action modeste, l'Œuvre d'Orient fait ainsi office de « catalyseur », analyse André Maillard, diacre chargé de mission auprès de la direction de l'association. « D'une discipline à l'autre, les spécialistes ne se connaissent pas toujours. Nous les faisons se rencontrer. » Une grande exposition sera organisée à l'Institut du monde arabe en 2017. Présentée à l'antenne de Tourcoing et ensuite à Paris, elle sera « la première exposition au monde sur le patrimoine chrétien oriental ». De quoi toucher et alerter le plus grand nombre.
Claire Bastier
Jtk
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