Le pape et l'ayatollah
Le pape François a ouvert les portes du Vatican hier au président iranien Hassan Rohani. Ce n'était pas l'ayatollah Ali Khamenei, mais comme rien ne se discute, rien ne se décide dans les hautes sphères du pouvoir en Iran sans que le guide suprême iranien ne s'en soit mêlé, on peut être assuré que les relations entre les deux théocraties ont fait un sérieux bout de chemin.
On peut penser ce que l'on veut de l'Église catholique et on ne se gêne pas pour le faire dans le Québec ultra-laïcisé d'aujourd'hui. N'en reste pas moins que le pouvoir moral du représentant de Saint Pierre est réel et efficace. C'est ce que Barack Obama a reconnu en le remerciant haut et fort pour avoir contribué à la restauration des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba, après 50 ans d'une politique d'isolement qui n'a mené à rien.
Le président iranien a parfaitement conscience de l'impact qu'une bénédiction papale peut avoir sur la façon que son pays sera perçu par le reste du monde. L'Iran, c'est clair, en a assez de sa mise en quarantaine. L'accord international sur son programme nucléaire – qui stoppe pour au moins une décennie les ambitions (si elles existaient vraiment) d'une bombe atomique iranienne – a ouvert la voie à un retour dans le fameux «concert des nations».
Iran is back!
Les choses vont vite: le week-end dernier, à peine une semaine après la mise en œuvre de cette entente nucléaire, le président chinois Xi Jinping était de passage à Téhéran, question de réitérer la volonté de Beijing de jouer un rôle plus important au Moyen-Orient, mais aussi de rappeler que ces deux grands peuples de commerçants pouvaient certainement faire de bonnes affaires. De très bonnes affaires, en fait: de cinquante milliards actuellement, Iraniens et Chinois ont convenu de porter avant longtemps leurs échanges économiques à 600 milliards de dollars annuellement.
Le régime des ayatollahs ne veut pas s'en tenir à être une puissance régionale, ce qu'il réussit déjà bien avec l'influence qu'il déploie au Liban, en Syrie, au Yémen et partout où des populations chiites (la branche minoritaire de l'islam à travers le monde, mais majoritaire en Iran) appellent à l'aide. La rencontre et les discussions tenues avec le pape François par le président Rohani apportent une légitimité morale aux intentions iraniennes. En d'autres mots, on est loin de George W. Bush et de sa vision de l'Iran, membre de l'«Axe du mal».
Au secours des minorités chrétiennes
Le pape François, aussi généreux puisse-il être, n'est pas désintéressé, loin de là. Il s'est inquiété plus d'une fois, par le passé, du sort des minorités chrétiennes dans les sociétés musulmanes en ébullition au Moyen-Orient. Radio Vatican relevait l'année dernière un commentaire de l'écrivain français Jean d'Ormesson évoquant le «génocide des chrétiens d'Orient».
C'est notamment là que le Vatican voit Téhéran jouer un rôle crucial. Comme le soulignait sombrement John Allen, rédacteur en chef adjoint du site catholique Crux, «pour protéger les chrétiens du Moyen-Orient, certains diplomates du Vatican font plus confiance aux Russes et aux Iraniens qu'aux puissances occidentales qui, à leur avis, ne prennent tout simplement pas au sérieux la religion comme source d'identité.»
Les médias italiens avancent que le président Rohani a profité de l'occasion pour inviter le pape François à venir en Iran, une visite qui pourrait se faire dès le mois de mai. François, qui s'est déjà rendu en Turquie, en Palestine et en Jordanie, construirait ainsi un autre pont vers le monde musulman. Dans un monde en guerre, construire un tel pont, ça prend du courage.
Jtk
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