Un pape jésuite au Vatican ? "Oui, c'est bien une révolution !"
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Le nouveau pape François est un missionnaire qui "prend le bus, direction les bidonvilles". Un profil atypique au Vatican, selon l'historien Hervé Yannou.
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Jorge Bergoglio célèbre une messe en l'honneur de Jean-Paul II à Buenos Aires, en Argentine, le 4 avril 2005. (AP Photo/ Natacha Pisarenko)o
Hervé Yannou, historien spécialiste de la papauté, est l'auteur de "Jésuites et Compagnie" (éditions Lethielleux).
François est le premier pape jésuite : c'est une révolution ?
- Oui ! Nous vivons une triple révolution : pour la première fois en 700 ans, un pape a démissionné. Pour la première fois, le nouveau pape vient d'Argentine. Pour la première fois, c'est un jésuite !
Le Vatican avait déjà connu des papes issus d'autres ordres - bénédictins, dominicains, mais jamais de jésuite. C'est la première fois qu'un vrai prêtre missionnaire est nommé à la tête de l'Eglise.
En quoi son appartenance à la Compagnie de Jésus a-t-elle façonné Jorge Bergoglio ?
- Comme tous les jésuites, le nouveau pape est doté d'une forte personnalité. Les jésuites se distinguent par une formation intellectuelle poussée. Il a fallu 15 ans d'études à Jorge Bergoglio pour devenir pleinement jésuite. Il a étudié la philosophie, la psychologie et la théologie, notamment.
En 1973, il prête son dernier voeu, le voeu d'obéissance au pape pour entrer définitivement dans la compagnie de Jésus. Quand il achève son parcours initiatique, il a alors 37 ans ! Fait assez peu connu : Il n'a qu'un poumon.
Jorge Bergoglio montre un profil typique des jésuites : silencieux, ascétique, marqué par une grande vie spirituelle. Chez les jésuites, il y a un état d'esprit particulier fondé sur le livre d'Ignacio de Loyola, "Les exercices spirituels". Dans cet ordre, il faut un long cheminement intérieur pour trouver Dieu.
Comme les autres jésuites, Jorge Bergoglio est un missionnaire. Après son doctorat en Suisse, il rentre en Argentine pour devenir simple prêtre dans la ville de Cordoba, à 700 km de Buenos Aires.
Comme tous ceux de son ordre, Jorge Bergoglio s'immerge alors dans la population locale pour porter la voix du Christ. Dans les autres ordres, comme les bénédictins ou les dominicains, les prêtres vivent dans des monastères, en communauté. Pas les jésuites, qui vivent en ville.
Quand il officie plus tard à Buenos Aires, le nouveau pape ne loge pas dans son palais somptueux d'évêque. Il vit toujours dans un simple appartement. Il se déplace en métro et en bus. Il est très proche des gens. Il sort chaque semaine dans les bidonvilles de la capitale. Il est très attentif aux problèmes sociaux, comme tous les évêques sud-américains. Il est contre les théories néo-libérales et certains aspects de la mondialisation.
Il a été toujours conservateur sur les questions familiales, éthiques et l'homosexualité. Dans ses homélies, l'évêque dénonçait souvent la crise des valeurs en Argentine.
Jorge Bergoglio a toujours tout fait pour être discret, ne pas se mettre en avant. Un trait de caractère typiquement jésuitique ! Il a refusé d'être à la tête de l'épiscopat argentin en 2001. La même année, il devient cardinal. Il refusera que ses compatriotes effectuent le déplacement à Rome pour assister à la cérémonie de sa nomination.
Un jésuite à la tête du Vatican, ça change quoi ?
- Tout d'abord, il faut bien comprendre que les jésuites sont très liés à Rome, à la papauté. C'est un ordre qui fait partie intégrante de l'Eglise. Le jésuite prête une allégeance absolue au pape lorsqu'il rentre dans l'ordre. C'est l'objet de leur quatrième et ultime voeu, le voeu d'obéissance au pape. Une tradition qui n'existe pas dans les autres ordres. Contrairement aux autres obédiences, les jésuites sont au service exclusif du pape.
Les jésuites ont leur siège à deux pas du Vatican. C'est la milice du pape. Quand Ignacio de Loyola fonde la Compagnie de Jésus, il faut comprendre le mot "compagnie", comme l'équivalent d'un "régiment" dans l'armée. Ce sont des soldats, des missionnaires du Vicaire du Christ, le pape.
Les jésuites sont-ils déjà bien installés au Vatican ?
- On trouve les jésuites partout, à tous les niveaux, dans tous les dossiers de l'église catholique. Ils sont présents sur tous les fronts. Les jésuites sont derrière l'essor du christianisme en Asie, ils ont embrassé la mondialisation et la révolution Internet. Ce sont des as de la communication.
Prenons un exemple typique : le porte-parole du pape, Federico Lombardi, est un jésuite. C'est aussi le directeur de la radio et de la télé du Vatican. Cet ordre missionnaire sait utiliser depuis des siècles tous les moyens de communication. A noter que personnellement, le pape François a la réputation d'être quelqu'un de plus réservé, qui communique rarement avec les médias.
Les jésuites sont aussi en pointe sur les questions de bioéthiques et d'éthiques. Ils sont aussi très sensibles aux questions environnementales et écologiques. Les jésuites sont aussi engagés dans le face à face avec l'islam.
Les jésuites, qui sont 19.000 dans le monde, ont aussi la réputation d'avoir un pouvoir "occulte", car ils sont partout dans la société. Ils ont été très influents auprès des rois et empereurs au XVIIe siècle. Ils disposent de tout un réseau d'école ou d'université dans le monde entier. L'université de GeorgeTown à Washington, où a étudié Bill Clinton, est une université jésuite. Ils forment dans leurs universités une partie de l'élite mondiale en Amérique du Sud, en Amérique du Nord et en Asie. Ce sont des intellectuels et des enseignants, dotés d'un esprit très politique. C'est d'ailleurs ce qu'on leur a reproché pendant des siècles.
Que nous apprend le parcours du jésuite Jorge Bergoglio sur la manière dont il va diriger l'Eglise ?
- Ce n'est pas un cardinal de curie. Il n'a pas gouverné, exercé des fonctions de responsabilité au sein du gouvernement central de l'Eglise, comme Josef Ratzinger. C'est un homme de terrain, d'une très grande ville d'Amérique latine, Buenos Aires. Il est très sensible aux questions sociales. Il a été confronté directement à l'extrême pauvreté.
Aujourd'hui, tout le monde est surpris par son élection. On sait maintenant qu'en 2005, il était le grand concurrent de Benoit XVI pendant les votes. Il aurait expliqué à ses collègues qu'il ne voulait pas être pape. Il aurait même dit un jour que si on l'appelait un jour aux plus hautes fonctions de l'église, il en mourrait.
Lorsqu'il est ordonné prêtre à la fin des années 1960 , Jorge Bergoglio va lutter contre la théologie de la libération marxisante, condamnée par le Vatican. Une nouvelle idéologie qui tente alors beaucoup de jésuites, en Argentine et au-delà. Nombre d'entre eux rejoignent alors ce mouvement dans les années 1970.
A la fin de son mandat de chef des jésuites, il aura réussi à stabiliser la baisse du nombre de vocations chez les jésuites en Argentine. En 1980, il voit même arriver de nouvelles têtes au sein de compagnie de Jésus.
Après cette période de crise, Jorge Bergoglio va acquérir la réputation d'un homme qui sait gouverner en eaux troubles.
Propos recueillis par Aurélien Viers, le 14 mars 2013.
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