3/12/2014-Funérailles grandioses et adieux populaires pour Saïd Akl à Beyrouth et Zahlé
Des obsèques nationales et populaires ont été réservées hier à l'« architecte de la poésie », Saïd Akl, décédé vendredi à l'âge de 102 ans. « Il est un vrai architecte de la poésie. Repose en paix, poète, écrivain géant. Tu manqueras à tout le Liban », a affirmé le patriarche Raï dans son oraison funèbre en présence, entre autres, de Michel Sleiman, Amine Gemayel et Michel Aoun. Photo Danielle Khayat.
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Liban
Le patriarche maronite a tenu à présider personnellement la cérémonie, rappelant aux présents cette phrase du poète disparu : « Je déteste les politiciens qui font perdre au Liban de précieuses occasions. »
Des funérailles grandioses ont été célébrées hier pour l'un des plus grands poètes que le Liban ait connus depuis Gibran Khalil Gibran. Un poète qui, sans avoir l'audience internationale de Gibran, l'égalait certainement, sinon le dépassait en envergure d'esprit, en générosité, en grandeur et en foi.
« Le rêve, la fougue et la beauté » qui ont marqué aux yeux de beaucoup la poésie de Saïd Akl étaient – tristement – hier au rendez-vous de son absence, au rendez-vous de ses funérailles, que le patriarche maronite en personne a tenu à présider, en la cathédrale Saint-Georges des maronites, dans le centre-ville de Beyrouth.
L'homélie que le patriarche a prononcée en dit long sur la grandeur d'un génie précoce qui, tout poète et tout homme de lettres, tout philosophe et tout philologue qu'il était, a cherché la présence de Dieu sur le visage du Christ, et a écrit les simples paroles d'un chant d'adoration pour le dire, un chant que tous les chrétiens du Liban connaissent tout en ignorant qu'il en est l'auteur. « Tout ce qui n'est pas pleinement Ton visage est chimère. »
Pour les obsèques de Saïd Akl, tout le Liban s'est donné rendez-vous, cathédrale Saint-Georges : Tammam Salam, Michel Sleiman, Amine Gemayel, Hussein Husseini et Michel Aoun, sans compter les représentants de Nabih Berry et de Saad Hariri, les députés, ministres et anciens ministres, ainsi que les artistes qui ont connu Saïd Akl ou qui l'ont chanté, comme Magida el-Roumi, Élias Rahbani, Abdel Hamid Caracalla, Talal Haïdar et les fils de Mansour Rahbani. Pourtant, on aurait souhaité voir cette foule plus dense, sa ferveur plus intense et, surtout, son unanimité moins compassée. Un fauteuil est resté tristement vide aux obsèques de Saïd Akl, celui de la présidence de la République.
À toutes les figures politiques présentes, le patriarche n'a pas résisté à l'envie de leur rappeler ce que Saïd Akl a un jour dit d'eux : « Je me tais parfois quand un individu fait erreur. Je suis indulgent pour les erreurs dans le domaine littéraire. Mais en politique, je ne me tais pas. De nature, je ne déteste pas, mais je déteste les politiciens qui font perdre au Liban de précieuses occasions ! »
(Lire aussi : La « libanitude » a perdu son chantre)
Le littoral de la Phénicie
Citant cette phrase: « Mon but est que ma patrie soit grande. Ce n'est pas sa superficie qui fait la grandeur d'une patrie, mais sa qualité », le patriarche a rappelé que Saïd Akl se plaisait à faire découvrir aux Libanais que certains des génies du monde antique, comme Cadmus, l'inventeur de l'alphabet, ou Euclide, le géomètre, sont originaires du littoral phénicien. Malheureusement, sur certaines pistes audacieuses et neuves, comme l'existence du Cana de l'Évangile au Liban, une élite frileuse et bien pensante hésitait à le suivre.
« La disparition de Saïd Akl est une grande perte pour le Liban, a affirmé le patriarche dans son homélie, mais sa prodigieuse production, en poésie, en prose, sous forme de poèmes et de pièces de théâtre, maintiendra vivant son souvenir dans les esprits, les consciences et les cœurs, de génération en génération. »
J'ai commencé par la théologie
Le chef de l'Église maronite a rappelé qu'interrogé sur ses jeunes années, Saïd Akl a répondu : « J'ai commencé par la théologie, qui est plus grande que la philosophie, que la science et que l'art. Mon amour de ces choses est grand, mais mon amour de la théologie l'est encore plus. » Et de s'expliquer en ajoutant : « J'adore l'Absolu, qui est le Bien et le Beau. L'insuffisance et la laideur me font mal. »
Il aurait volontiers souscrit à la formule chère à Dostoïevski, « la beauté sauvera le monde », a rappelé le patriarche.
La « beauté versée par Dieu dans la nature, dans l'être humain et dans le Liban fut la perle précieuse que Saïd Akl a achetée au prix de tout ce qu'il possédait », a encore dit le patriarche, rappelant au passage la précocité du génie de Saïd Akl qui, dès les années trente, alors qu'il n'avait pas encore 20 ans, avait commencé à écrire des articles dans diverses revues, et qui, dans les années 50, publia l'un de ses plus célèbres recueils, Rindala, un prénom que devaient porter des milliers de Libanaises par la suite, en hommage à sa poésie, marquée par la grâce intelligible, la réserve, la méfiance à l'égard du romantisme bon marché et de la fleur bleue.
(Lire aussi : La classe politique rend hommage à Saïd Akl)
Excentrique ?
Disparaissant à l'âge de 102 ans, Saïd Akl aura dominé le siècle libanais et arabe de son génie qui l'a rendu l'égal des plus grands. Excentrique ? Comment cet esprit sortant de l'ordinaire qui se destinait d'abord au génie civil ne pouvait l'être, devant la médiocrité et le conventionnalisme artistique et littéraire, lui qui anticipa l'écriture du libanais en lettres latines qu'on retrouve aujourd'hui sur tous les portables ?
La recherche du sens profond des choses, la recherche de l'essentiel qui a marqué la vie de Saïd Akl l'avait conduit à écrire une « messe maronite » où il avait investi la fougue qui a marqué tout ce qu'il a entrepris, a rappelé enfin le patriarche. « Pars en paix, poète, écrivain, géant et croyant, au cœur de la beauté divine qui t'attend au ciel, toi qui as affirmé un jour que voir Jésus sera la seule chose encore plus belle que de le penser », a conclu le patriarche.
L'accueil de Zahlé
Enveloppé de la bière de pierre et de bois de cèdre imaginée par le sculpteur Rudy Rahmé, la dépouille mortelle du grand poète a ensuite été transportée à la cathédrale Saint-Maron, à Ksara-Zahlé, où la prière de l'encens a été récitée par Mgr Joseph Mouawad, vicaire patriarcal.
Puis, au milieu d'une ville attentive dont les commerces avaient fermé et les écoliers reçu congé, entouré d'une foule de plusieurs milliers de personnes, aux sons des fanfares, des chorales et des feux d'artifice, le cercueil a fait une tournée du souvenir aux lieux familiers à Saïd Akl, avec une station devant l'école où il a enseigné (avant de devenir professeur d'université), une autre devant la statue du dieu Bacchus (hommage au Berdawni !), puis – sans transition, les fameuses contradictions qui font le charme du Liban – à la cathédrale grecque-catholique de la ville.
Le cercueil repose depuis hier soir dans un caveau du cimetière de Bayader.
Pour mémoire
Saïd Akl de A à Z
Saïd Akl, poète francophone !
Retour à la page "Liban" « Le rêve, la fougue et la beauté » qui ont marqué aux yeux de beaucoup la poésie de Saïd Akl étaient – tristement – hier au rendez-vous de son absence, au rendez-vous de ses funérailles, que le patriarche maronite en personne a tenu à présider, en la cathédrale Saint-Georges des maronites, dans le centre-ville de Beyrouth.
L'homélie que le patriarche a prononcée en dit long sur la grandeur d'un génie précoce qui, tout poète et tout homme de lettres, tout philosophe et tout philologue qu'il était, a cherché la présence de Dieu sur le visage du Christ, et a écrit les simples paroles d'un chant d'adoration pour le dire, un chant que tous les chrétiens du Liban connaissent tout en ignorant qu'il en est l'auteur. « Tout ce qui n'est pas pleinement Ton visage est chimère. »
Pour les obsèques de Saïd Akl, tout le Liban s'est donné rendez-vous, cathédrale Saint-Georges : Tammam Salam, Michel Sleiman, Amine Gemayel, Hussein Husseini et Michel Aoun, sans compter les représentants de Nabih Berry et de Saad Hariri, les députés, ministres et anciens ministres, ainsi que les artistes qui ont connu Saïd Akl ou qui l'ont chanté, comme Magida el-Roumi, Élias Rahbani, Abdel Hamid Caracalla, Talal Haïdar et les fils de Mansour Rahbani. Pourtant, on aurait souhaité voir cette foule plus dense, sa ferveur plus intense et, surtout, son unanimité moins compassée. Un fauteuil est resté tristement vide aux obsèques de Saïd Akl, celui de la présidence de la République.
À toutes les figures politiques présentes, le patriarche n'a pas résisté à l'envie de leur rappeler ce que Saïd Akl a un jour dit d'eux : « Je me tais parfois quand un individu fait erreur. Je suis indulgent pour les erreurs dans le domaine littéraire. Mais en politique, je ne me tais pas. De nature, je ne déteste pas, mais je déteste les politiciens qui font perdre au Liban de précieuses occasions ! »
(Lire aussi : La « libanitude » a perdu son chantre)
Le littoral de la Phénicie
Citant cette phrase: « Mon but est que ma patrie soit grande. Ce n'est pas sa superficie qui fait la grandeur d'une patrie, mais sa qualité », le patriarche a rappelé que Saïd Akl se plaisait à faire découvrir aux Libanais que certains des génies du monde antique, comme Cadmus, l'inventeur de l'alphabet, ou Euclide, le géomètre, sont originaires du littoral phénicien. Malheureusement, sur certaines pistes audacieuses et neuves, comme l'existence du Cana de l'Évangile au Liban, une élite frileuse et bien pensante hésitait à le suivre.
« La disparition de Saïd Akl est une grande perte pour le Liban, a affirmé le patriarche dans son homélie, mais sa prodigieuse production, en poésie, en prose, sous forme de poèmes et de pièces de théâtre, maintiendra vivant son souvenir dans les esprits, les consciences et les cœurs, de génération en génération. »
J'ai commencé par la théologie
Le chef de l'Église maronite a rappelé qu'interrogé sur ses jeunes années, Saïd Akl a répondu : « J'ai commencé par la théologie, qui est plus grande que la philosophie, que la science et que l'art. Mon amour de ces choses est grand, mais mon amour de la théologie l'est encore plus. » Et de s'expliquer en ajoutant : « J'adore l'Absolu, qui est le Bien et le Beau. L'insuffisance et la laideur me font mal. »
Il aurait volontiers souscrit à la formule chère à Dostoïevski, « la beauté sauvera le monde », a rappelé le patriarche.
La « beauté versée par Dieu dans la nature, dans l'être humain et dans le Liban fut la perle précieuse que Saïd Akl a achetée au prix de tout ce qu'il possédait », a encore dit le patriarche, rappelant au passage la précocité du génie de Saïd Akl qui, dès les années trente, alors qu'il n'avait pas encore 20 ans, avait commencé à écrire des articles dans diverses revues, et qui, dans les années 50, publia l'un de ses plus célèbres recueils, Rindala, un prénom que devaient porter des milliers de Libanaises par la suite, en hommage à sa poésie, marquée par la grâce intelligible, la réserve, la méfiance à l'égard du romantisme bon marché et de la fleur bleue.
(Lire aussi : La classe politique rend hommage à Saïd Akl)
Excentrique ?
Disparaissant à l'âge de 102 ans, Saïd Akl aura dominé le siècle libanais et arabe de son génie qui l'a rendu l'égal des plus grands. Excentrique ? Comment cet esprit sortant de l'ordinaire qui se destinait d'abord au génie civil ne pouvait l'être, devant la médiocrité et le conventionnalisme artistique et littéraire, lui qui anticipa l'écriture du libanais en lettres latines qu'on retrouve aujourd'hui sur tous les portables ?
La recherche du sens profond des choses, la recherche de l'essentiel qui a marqué la vie de Saïd Akl l'avait conduit à écrire une « messe maronite » où il avait investi la fougue qui a marqué tout ce qu'il a entrepris, a rappelé enfin le patriarche. « Pars en paix, poète, écrivain, géant et croyant, au cœur de la beauté divine qui t'attend au ciel, toi qui as affirmé un jour que voir Jésus sera la seule chose encore plus belle que de le penser », a conclu le patriarche.
L'accueil de Zahlé
Enveloppé de la bière de pierre et de bois de cèdre imaginée par le sculpteur Rudy Rahmé, la dépouille mortelle du grand poète a ensuite été transportée à la cathédrale Saint-Maron, à Ksara-Zahlé, où la prière de l'encens a été récitée par Mgr Joseph Mouawad, vicaire patriarcal.
Puis, au milieu d'une ville attentive dont les commerces avaient fermé et les écoliers reçu congé, entouré d'une foule de plusieurs milliers de personnes, aux sons des fanfares, des chorales et des feux d'artifice, le cercueil a fait une tournée du souvenir aux lieux familiers à Saïd Akl, avec une station devant l'école où il a enseigné (avant de devenir professeur d'université), une autre devant la statue du dieu Bacchus (hommage au Berdawni !), puis – sans transition, les fameuses contradictions qui font le charme du Liban – à la cathédrale grecque-catholique de la ville.
Le cercueil repose depuis hier soir dans un caveau du cimetière de Bayader.
Pour mémoire
Saïd Akl de A à Z
Saïd Akl, poète francophone !
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