http://www.lorientlejour.com/article/902867/mgr-estephan-hector-doueihi-prophete-de-notre-temps.html
Le décès à New York de notre cher Mgr Estéphan Hector Doueihi, évêque émérite de Brooklyn pour les maronites des États-Unis, le 17 décembre, nous affecte dans le plus profond de notre être ecclésial car il a été prophète et précurseur à l'instar des deux grands qui l'ont précédé dans le Royaume de Dieu, les pères Youakim Moubarak et Michel Hayek.
Ce qui me lie à Mgr Doueihi est une estime et une amitié qui remontent aux années soixante du siècle dernier alors que j'étais encore petit séminariste à Ghazir. Le père H. Doueihi représentait pour nous le courageux réformateur qui osait « mettre son Église en question » et l'appeler à une réforme dans le sillon du concile Vatican II.
Né en 1927 à Ehden-Zghorta, la ville natale du grand patriarche Estéphan Doueihi (1670-1704), il fit son petit séminaire à Ghazir puis il fut envoyé à Rome pour ses études philosophiques et théologiques (1952-1959) d'où il revint avec un doctorat en théologie.
Nommé curé à Ehden-Zghorta (1959-1969) et s'inspirant de son souffle prophétique, il chercha à réaliser, avec l'aide de son collègue et ami Mgr Paul Emile Saadé, ses projets pastoraux, ecclésiaux et sociaux précurseurs dans notre Église maronite. Il rassembla autour de lui non seulement l'élite, mais aussi les jeunes fascinés par son charisme et sa manière de faire sincère et sans détour. Il lança son défi en décembre 1968 en présentant le « Dossier de l'Orient culturel » sur le thème « Notre Église en question »(1) organisé à partir d'une enquête sur l'Église au Liban interpellant des « hommes d'Église ou des laïcs profondément concernés par les problèmes religieux » car « l'esprit du concile Vatican II commençait à souffler aussi au Liban ». Dans son liminaire, P. Hector Doueihi écrit :
« Par ce numéro spécial de L'Orient culturel, nous voulons aborder les questions touchant l'Église chez nous... avec sérénité, sincérité, courage aussi.
« Nous refusons la peur et les tabous.
« Nous refusons la mutinerie, la rébellion (nous demeurons à l'intérieur de l'enceinte).
« Mais nous refusons les coups d'encensoir, les niaiseries, les optimismes paresseux, malhonnêtes et sans fondement. (...)
« Nous osons mettre en question 'notre' Église.
« Nous osons amorcer une analyse de sa situation, de ses structures, de ses réalisations, de ses erreurs, de ses péchés. (...)
« Nous osons faire appel à une confrontation des idées, des positions, des témoignages, des expériences. (...)
« Nous sommes à l'écoute de la voix de cette Église – une et innombrable à la fois.
« Nous écoutons la voix "officielle" – et qui n'est pas toute l'Église.
« Nous écoutons d'autres voix, qui peuvent être souterraines et, en même temps, gonflées des sèves de l'Esprit et de ses conquêtes.
« Ici et là et ailleurs, nous sommes attentifs à cet Esprit – où qu'il souffle. »
À la suite de ce dossier qui sema les troubles dans les milieux ecclésiastiques, il fut poussé à partir en « exil », au Mexique comme première étape (1969-1972), puis aux États-Unis (1972-2014). Il considéra son départ comme une mission auprès des maronites et des Libanais avec qui il œuvra pour une découverte de l'identité dans un retour aux sources syro-antiochiennes et libanaises, et réussit à effectuer une réforme liturgique devançant même celle de son Église au Liban.
J'ai eu la chance et l'honneur de le connaître de près lorsque le père Youakim Moubarak lança depuis le Liban (en 1985) la démarche conciliaire dans l'Église maronite pour un second synode Libanais (le premier remontant à 1736), capable de la réformer de l'intérieur et de la relancer dans une mission pionnière pour le XXIe siècle ; on adopta par la suite l'appellation canonique de « synode patriarcal maronite ». Il obtint de Sa Béatitude le patriarche Nasrallah Sfeir la nomination d'une commission conciliaire formée de feu Mgr Youssef el-Khoury (président), Mgr Youssef Béchara, Mgr Béchara Raï (actuel patriarche) et Mgr John Chédid. Et pour engager l'Église maronite de la diaspora – aujourd'hui nous l'appelons l'extension –, il fallait trouver un interlocuteur et un référent. Et elle ne pouvait trouver mieux que le père Hector Doueihi. Et en tant que secrétaire adjoint de la Commission conciliaire, je fus chargé de la mission d'intermédiaire. Le P. Hector encouragea à nommer un comité américain avec l'aide de feu Mgr Francis Zayek, évêque des maronites des États-Unis, chargé de présenter à la Commission conciliaire sa contribution à tous les dossiers du synode.
Nous avons travaillé ensemble pour des années ; et je ne faisais que transcrire ses idées prophétiques. Et aux sessions plénières du synode patriarcal maronite (2003-2006), le P. Hector était devenu évêque de Brooklyn (1996-2004) et avait pris le nom de Estéphan. Il répétait : « Nous, les maronites, nous n'avons pas de vie ni d'avenir dans les pays du monde si nous n'avons pas une attache au Liban-terre, avec tout ce qu'il porte comme patrimoine spirituel : il est le berceau de notre foi, la terre de nos lieux saints et la tombe de nos saints, et une attache à la personne du patriarche et à l'institution patriarcale à Bkerké. » « L'Église au Liban est l'Église mère ; l'Église de l'extension est l'Église fille qui se nourrit du lait de sa mère ; elle grandit, elle se développe, elle devient indépendante, mais elle ne se sépare jamais de sa mère. » « Notre Église maronite dans l'extension est consciente de sa mission et de sa présence dans le nouveau monde car elle est confrontée à une culture nouvelle avec ses propres traditions, sa langue et son histoire. Les maronites appartiennent aussi à cette nouvelle culture et sont conscients de leur rôle précurseur tout en se référant à leur tradition syro-antiochienne qui contribue à l'enrichissement de la catholicité de l'Église universelle. »
Ce qu'il m'a dit et ce que nous avons réussi à réaliser ensemble me restent dans la mémoire. Mais ce qui me reste le plus cher, c'est le jour où il est venu exprès de New York pour mon ordination épiscopale (25 février 2012) et a tenu à m'offrir sa croix pectorale et son anneau à l'effigie de « Bet Moroun » – la Maison de saint Maron – en me disant qu'il me léguait ce qu'il a de plus cher et de plus précieux en signe de reconnaissance pour mon attachement à mon Église maronite et à sa mission désormais « catholique et universelle ».
Mgr Hector est parti, mais il reste pour nous celui qui a porté la flamme de la Parole, Parole de Dieu, dans son « goût maronite », restant toujours à l'écoute de l'Esprit qui souffle où il veut et quand il veut. Tel un prophète qui anime son Église, qui ne dort pas et ne laisse personne se reposer sur des gloires ou des traditions inertes, et qui appelle constamment au renouveau. Il a été profondément maronite ancré dans sa tradition mais aussi ouvert aux nouveaux besoins de l'Église. Mgr Doueihi pourrait constituer le dénominateur commun de la vision des maronites pour leur avenir.
(1) « Notre Église en question – un dossier de l'Orient culturel », Beyrouth, édition de l'Orient, 1969.
Envoyé de mon Ipad
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