Moscou mène à partir de jeudi 4 décembre une offensive diplomatique sur plusieurs fronts pour venir en aide aux chrétiens du Proche-Orient.
Héritage de l'histoire, la présence russe dans la région tend à occuper le vide laissé par les puissances occidentales.
Alors que les conflits en Irak et en Syrie continuent d'ensanglanter la région, la Russie pousse ses pions au Proche-Orient, où elle se pose plus que jamais en championne de la protection des chrétiens. Après le refus catégorique d'intervenir militairement contre Damas, en 2012 et 2013, l'heure est à l'offensive dans les enceintes multilatérales.
Jeudi 4 et vendredi 5 décembre, à Bâle, au cours d'un conseil ministériel de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), consacré à la situation en Ukraine et à la lutte contre le terrorisme international, Moscou entend réclamer plus de mesures en faveur des chrétiens d'Orient et d'Afrique du Nord. Parallèlement, à Genève, un projet russe de résolution pour venir en aide aux chrétiens de la région pourrait être soumis au Conseil des droits de l'homme des Nations unies.
L'activisme russe en faveur des chrétiens d'Orient n'a rien d'une nouveauté. « À la fin du XIX e siècle, la protection des minorités orthodoxes dans la région était le cheval de bataille de l'empire russe, comme, du reste, la France et l'Autriche étaient les principales puissances protectrices des catholiques », rappelle Carol Saba, responsable de la communication de l'assemblée des évêques orthodoxes en France. Après la longue parenthèse soviétique et la fin de la guerre froide, alors que la France et les États-Unis sont de moins en moins présents au Proche-Orient, Moscou opère un retour en incluant dans sa panoplie la sauvegarde des communautés chrétiennes.
« les racines chrétiennes de la civilisation européenne souvent oubliées »
Ces initiatives sur le terrain diplomatique s'accompagnent d'un discours plus général sur la défense des valeurs chrétiennes et la lutte contre la « christianophobie ». Dans une tribune parue le 25 novembre sur le site Internet de la chaîne russe anglophone RT. com, l'ambassadeur de Russie au Royaume-Uni, Alexander Yakovenko, somme les pays européens de prendre en compte « les racines chrétiennes de la civilisation européenne, souvent oubliées sous la pression du politiquement correct ». « Ce sont les deux faces d'une même pièce, analyse le P. Nicolas Kazarian, prêtre orthodoxe et chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Face à un Occident sécularisé accusé de démissionner sur le plan des valeurs, la Russie se pose en protectrice du christianisme partout où il est attaqué, en Orient comme en Occident. »
Le conflit syrien a servi de catalyseur à cette politique. « Dès le début, les Russes ont repris à leur compte l'analyse des prélats locaux : s'il est loin de représenter un idéal, le régime de Bachar Al Assad a au moins le mérite de protéger les chrétiens face à la menace islamiste », résume Stanislas de Laboulaye, ancien diplomate, successivement en poste à Jérusalem, Moscou et auprès du Saint-Siège.
Mais c'est, comme l'explique le P. Nicolas Kazarian, surtout l'ancienneté des liens entre les patriarcats d'Antioche (la plus importante Église en Syrie) et de Moscou qui explique aujourd'hui l'existence d'un véritable « axe religieux » entre Moscou et Damas. En particulier autour de l'antique société impériale orthodoxe de Palestine (Siop) : en mars 2013, la Siop a ainsi dépêché 70 tonnes d'aide à Damas, auxquelles s'est ajouté un chèque de 1,3 million de dollars (1 million d'euros) versés par le Patriarcat de Moscou. Des visites au plus haut niveau – le patriarche Kirill de Moscou à Alep en 2011, le patriarche Jean X d'Antioche à Moscou début 2014 – illustrent la qualité des liens historiques entre les deux sièges patriarcaux.
« Il semble pour le moment que cette solidarité ne soit qu'une solidarité morale »
Mais comme au XIXe siècle, l'aide russe demeure sélective et concerne au premier chef les orthodoxes. En octobre, le patriarche melkite catholique d'Antioche, Grégorios III Laham, a reçu un représentant du patriarche Kirill de Moscou venu l'assurer de la « solidarité de son Église avec les souffrances des chrétiens d'Orient ». « Mais pour notre Église, il semble pour le moment que cette solidarité ne soit qu'une solidarité morale », avance-t-on dans son entourage. Idem en Irak, où Mgr Petros Moshe, archevêque syrien catholique de Mossoul, est aujourd'hui réfugié au Kurdistan avec la plupart des chrétiens de la plaine de Ninive. « Malgré toute la sympathie exprimée dans les déclarations officielles, je n'ai jamais vu se matérialiser une aide russe auprès des chrétiens irakiens. »
Sur le terrain, les réactions à la présence russe sont partagées. « Ceux qui ont le couteau sous la gorge après avoir été déplacés de force, qui ont perdu des proches et ont vu leurs églises et leurs monastères brûlés, sont forcément réceptifs au discours de la puissante Église russe qui leur vient en aide, explique ce proche du patriarche Jean X d'Antioche.
D'autres, tout en étant reconnaissants, préfèrent souligner que l'avenir est à la citoyenneté, non à la défense des minorités. Georges Massouh, professeur à l'université orthodoxe de Balamand, au nord du Liban, se montre plus sévère. « États-Unis, France ou Russie, c'est le même combat ! Sous couvert de défense des minorités, ces puissances ont toujours fait passer en avant leurs intérêts : pétrole, gaz, accès aux mers chaudes… C'est à nous, chrétiens et musulmans de la région, de reconstruire notre contrat politique sans intervention de l'extérieur. »
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L'Ukraine présentée comme un obstacle à une rencontre entre Kirill et le pape
Le conflit ukrainien constitue aujourd'hui un obstacle à une éventuelle rencontre entre le patriarche Kirill de Moscou et le pape François. Mercredi 3 décembre, dans une interview à l'agence russe Interfax, le diacre Alexander Volkov, porte-parole du Patriarcat de Moscou, a souligné que « la ligne poursuivie par l'Église grecque catholique (NDLR, liée à Rome) contrarie fortement le développement des relations entre nos deux Églises. Nous espérons que notre voix sera entendue et que l'implication des grecs-catholiques (NDLR, favorables au rapprochement de l'Ukraine avec l'UE) dans ce conflit politique diminue. »
Envoyé de mon Ipad
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