16/12/20013-Nulle Église n'est une île, surtout celle, maronite, de France
Le courageux synode diocésain maronite lancé par Mgr Maroun-Nasser Gemayel, nouvel évêque maronite de France, s'est achevé, samedi, à Paris, par une seconde messe célébrée à Notre-Dame de Paris, en présence notamment de l'archevêque de la capitale, Mgr André Vingt-Trois, de Mgr Luigi Ventura, nonce apostolique, d'une pléiade de personnalités libanaises et françaises du monde diplomatique et associatif, et d'une foule de Libanais de Paris et de ses environs invités à s'y joindre. La présence de louveteaux et de caravelles habillés de bleu a coloré la cérémonie d'un air de jeunesse bienvenu. La cérémonie s'est achevée par la remise d'une médaille de reconnaissance à un certain nombre de personnalités françaises qui se sont distinguées, en particulier durant les années de guerre (1975-1990), par leur action en faveur des chrétiens d'Orient.
L'heure n'est pas au bilan, mais à un coup d'œil rétrospectif. Les deux jours de réunion de jeudi et vendredi derniers ont permis aux prêtres et séminaristes maronites disséminés en Europe de faire connaissance, aux plus motivés de la communauté libanaise de se manifester et à tout le monde d'ébaucher une activité en équipes. Le travail en est encore à ses débuts, encore que certains prêtres soient déjà à pied d'œuvre, ici et là. En outre, et certains en sont conscients, nombre de questions ont déjà leurs réponses, dans l'esprit du nouvel évêque. Mais il était nécessaire de réveiller les présents à ces vérités et de leur permettre de rejoindre leur évêque sur les pistes de réflexion et d'action ébauchées.
Présence féminine
Sensible à la présence des laïcs venus de France et de pays européens comme la Grande-Bretagne, la Suède, l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse, pour participer à cette session du synode, Mgr Gemayel s'est félicité de l'importante présence féminine : presque le tiers de la petite assemblée fondatrice. Cette présence s'était déjà manifestée dans l'organisation de synode, puisqu'à côté de l'évêque, du P. Raymond Bassil, de Georges Sassine, responsable à l'information et de toute l'équipe logistique à l'œuvre, figurait, comme chef de projet, Kinda Élias, qui n'a pas hésité à taper du pied pour faire respecter le tempo et la méthodologie du synode.
La journée de vendredi a été plus froide, plus factuelle, que celle de jeudi, mais non moins déterminante. Aux grandes orientations historiques et théologiques ont succédé des questions pratiques, terre à terre. Parmi ces questions, celle de l'insertion – où de la réinsertion – des émigrés dans la vie nationale, par le biais de la Fondation maronite dans le monde, celle du financement du nouveau diocèse et de son fonctionnement juridique, et enfin celle de ses rapports avec l'Église catholique de France.
Complémentarité
La Fondation maronite dans le monde et l'ambassade du Liban en France, représentée par le chargé d'affaires Ghady Khoury (en l'absence de Boutros Assaker, qui a fait valoir ses droits à la retraite), ont marqué de leurs interventions complémentaires la matinée de vendredi. Avec son doigté habituel, Hyam Boustany, la directrice de la Fondation, a exposé les objectifs de cette institution : aider les chrétiens du Liban, en particulier les maronites de la diaspora, à « désémigrer », à se reconnecter et à retrouver, par des moyens légaux, leur nationalité perdue pour diverses raisons : nécessité légale, subtilités et obstacles administratifs, isolement résidentiel, pure négligence ou démotivation. Au-delà des calculs politiques, en agissant sur la démographie, la Fondation maronite dans le monde cherche à empêcher que le Liban ne change d'identité, à assurer la pérennité d'un Liban pluraliste forgé – plus tard soldé – par les maronites, trésor irremplaçable menacé par l'actualité historique. En cherchant à préserver le Liban, la Fondation ne cherche pas à préserver un fossile, ajoute Mme Boustany, mais une culture vivante, un modèle irremplaçable de convivialité considéré par Jean-Paul II lui-même comme « un message » au monde. Comme Harpagon, nous faisons de la « convivialité » sans le savoir, malgré nos enfermements communautaristes, nourris et consolidés par une classe politique médiocre et sans imagination.
Pour sa part, M. Khoury a expliqué que l'ambassade faisait de son mieux pour faciliter les formalités des Libanais de l'émigration postulant à la nationalité et les acheminer vers le ministère de l'Intérieur, via les Affaires étrangères.
Volet financier
Le volet financier de la création d'une « éparchie » maronite en France a été abordé avec compétence et beaucoup (trop) de technicité. Pour l'essentiel, il s'agissait de clarifier, pour l'assemblée, le maquis juridique des lois qui, depuis 1905, gouvernent les rapports entre les Églises avec l'État.
La très intéressante question du « denier du culte », qui a toujours été commandement d'Église, a été soulevée, dans un sens purement technique, et ses avantages fiscaux mis en évidence. Ne reposant sur aucun autre subside, le diocèse maronite de France et d'Europe occidentale et septentrionale va devoir compter sur ses propres sources de financement, a expliqué Mgr Gemayel qui est convaincu qu'avec un euro par jour venu de dix ou quinze pour cent des 100 000 maronites installés en France, le nouveau diocèse pourrait facilement prospérer.
Témoignage
Un témoignage devait ensuite montrer combien la question peut être délicate à soulever. Délégué par l'évêque du Canada, Marwan Tabet, et fort d'une longue expérience pastorale, Mgr Khairallah Aoukar, de la province canadienne de Nova Scotia, n'a pas hésité à dénoncer l'utilitarisme dont les maronites font preuve, quand ils font des donations, et leur prédilection pour les dons faits à la personne de l'évêque ou du prêtre, de préférence à ceux qui sont anonymes et vont à l'institution. Sur sa lancée, Mgr Aoukar a dénoncé le carriérisme dans l'Église, et tout ce qui y relève de la « mondanité », en soulevant le cas d'un ordre religieux qui a mis fin à sa mission canadienne, en apprenant que le nouvel évêque maronite nommé n'était pas issu de son sein, comme il l'escomptait. Comme on peut le prévoir, ce détail a déplu à des membres d'ordres religieux présents, montrés ainsi sous un angle défavorable. Le cas soulevé ne doit pas être généralisé, ont-ils affirmé, ce dont tout le monde ne pouvait que convenir.
La coopération avec l'Église romaine
L'après-midi fut consacré à la formation de diverses commissions chargées de dresser des programmes pastoraux : jeunes, familles, seniors, animation liturgique, prêtres, dialogue interreligieux, œcuménisme, pèlerinages, activités économiques, loisirs, etc. Une pastorale des prisons a même été envisagée par l'évêque, nous précisera le P. Raymond Bassil, avant qu'une rapide enquête ne montre qu'à l'heure actuelle il n'y a pas un seul maronite prisonnier de droit commun en France.
Avant de repartir, beaucoup de délégués approcheront Mgr Gemayel pour lui confier leurs soucis : la dispersion géographique des maronites, qui empêche parfois leur organisation en paroisse, le désintéressement de la nouvelle génération avide d'insertion plus que de spécificité, le cruel manque de prêtres, l'indispensable effort pour lancer des écoles maronites où l'arabe serait enseigné. On touche là à certains des obstacles auxquels l'action de Mgr Gemayel va se heurter et il semble évident qu'une étroite coopération avec l'Église romaine en Europe est et restera indispensable. Nulle Église n'est une île. Cette complémentarité, ce décloisonnement indispensable devraient servir de rempart contre le risque de l'exaltation démesurée d'un patrimoine précieux, mais qui reste culturel et ne doit pas être confondu avec la relation personnelle avec le Christ, qui est d'ordre existentiel. L'héritage syriaque ne doit pas être ni devenir un obstacle à l'évangélisation.
Pour mémoire
Ouverture d'un synode diocésain maronite, aujourd'hui, à Paris
Maronites en Europe ou maronites d'Europe ?
Envoyé de mon Ipad
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