Une opinion de Vanessa Matz et Georges Dallemagne, respectivement sénatrice et député fédéral cdH.
Trois ans après le formidable espoir de démocratisation au Sud de la Méditerranée, la situation des minorités, notamment chrétiennes, est aujourd'hui un motif de grande inquiétude dans de nombreux pays bousculés par le "printemps arabe". Cela mérite une analyse détaillée et des initiatives politiques dans les pays concernés et en Europe.
La cause des chrétiens d'Orient et des autres minorités nous concerne tous, au titre de la fraternité et au nom de la liberté. Le renoncement ou l'impuissance seraient intolérables devant cette tragédie quotidienne qui met en péril l'existence de communautés chrétiennes dans le monde musulman. Leur existence même nous paraît un enjeu de civilisation commun pour l'Europe et pour l'islam. Comme le disait récemment Shahira Mehrez, une Egyptienne de confession musulmane lors d'une réunion des femmes égyptiennes à l'Onu : "Nous savions bien que la confrérie - je ne veux pas les appeler 'Frères musulmans' parce que les musulmans c'est nous - commencerait par les chrétiens, les plus faibles dans la société, mais qu'ensuite ce serait au tour des chiites, des femmes, des pauvres et puis finalement de nous."
L'Europe sait mieux que n'importe quel autre continent l'horreur de l'oppression religieuse. Elle a été, depuis ses origines, le théâtre d'innombrables épisodes d'intolérance : des chrétiens jetés aux lions au Capitole aux débordements de la deuxième Croisade, de l'Inquisition à la Saint-Barthélemy, des pogroms du Moyen Age et des temps modernes à l'Holocauste du peuple juif, des abus du cléricalisme à l'intolérance inverse. L'Europe a fait lentement l'apprentissage de la tolérance avec la sécession des Pays-Bas et le Traité de Westphalie (1648) qui dissocie territoire et religion du Prince, et avec bien entendu les Lumières qui ouvrent la porte à la séparation de l'Eglise et de l'Etat, clé de la liberté religieuse dans un Etat démocratique. Mais entre l'affirmation des principes et leur transposition dans la loi, la route a encore pris deux siècles.
Est-il encore besoin aujourd'hui d'expliquer en quoi la liberté de conscience est le premier des droits de l'homme ? Elle est inhérente à la nature humaine, car elle implique le droit de questionner les origines et les finalités du monde, celui de croire ou ne pas croire, le droit de chercher librement un sens à son existence et de le trouver soit dans l'agnosticisme et ses multiples variantes, soit dans la foi en un Dieu qu'il s'appelle Jésus, Jehovah ou Yaveh. La liberté de conscience est désormais reconnue en Europe par les plus hautes expressions du droit : constitutions nationales, charte des Nations unies, conventions du conseil de l'Europe et bien sûr le droit de l'Union européenne. La liberté religieuse y est définie de la façon la plus large : liberté de conscience, liberté de culte, interdiction des discriminations, obligation faite aux Etats de prévenir et de réprimer les infractions. L'arsenal juridique est complet et robuste. Il ne dispense pas du devoir de vigilance des citoyens, véritables gardiens en définitive du respect de la liberté de conscience.
Que faire lorsque cette liberté est bafouée aux portes de l'Europe dans certains pays du flanc sud de la Méditerranée avec lesquels l'Europe entretient des relations étroites de voisinage ? Pour les humanistes que nous sommes, tous les hommes et toutes les femmes sont égaux. Peu importe qu'ils soient croyants ou non croyants, chrétiens, juifs ou musulmans, tous doivent être traités en frères.
Or les chrétiens d'Orient sont menacés dans leur vie, dans leur foi, dans la liberté du culte, dans leurs droits ordinaires de citoyens ou de résidents dans plusieurs pays musulmans, même de régime laïc, du bassin méditerranéen : en Tunisie, en Egypte, en Syrie, au Liban, et même en Turquie. Les retombées du Printemps arabe, le conflit israélo-palestinien et ses imbrications régionales, la guerre de Syrie, les tensions violentes entre factions religieuses au sein de l'Islam et surtout la montée en flèche d'un islam radical détruisent le tissu social et nourrissent l'intolérance religieuse. Tantôt ces violences faites aux chrétiens sont le fait des autorités, tantôt de factions de l'opposition, tantôt de communautés locales. Les églises sont brûlées, des attentats meurtriers se multiplient, le culte est perturbé, les institutions liées aux Eglises sont discriminées. L'insécurité et la peur poussent à l'exil des communautés établies dans ces pays depuis les origines du christianisme.
Trois questions se posent. D'abord le monde musulman moderne peut-il accepter sans renier ses croyances les plus profondes que ces communautés chrétiennes avec lesquelles il a le plus souvent vécu en bonne intelligence pendant des siècles, désertent aujourd'hui leurs pays d'origine, chassées par la violence et par la peur. N'est-il pas évident que le coût moral et politique de cet exode larvé sera énorme : perte, en termes d'échanges et de tolérance, de la richesse de vivre-ensemble entre confessions différentes, et image désastreuse de pays privés de ces minorités souvent vulnérables, mais riches de leurs traditions ?
Ensuite, l'Europe qui a développé une vaste et ambitieuse stratégie de voisinage visant à la paix, à la prospérité, et à l'intégration de la Méditerranée, en dirigeant vers ces pays, investissements directs, aide au développement et préférences commerciales, sur une grande échelle, ne peut-elle faire davantage qu'exprimer son indignation verbale à travers des communiqués de Catherine Ashton ou des résolutions du Parlement européen ? L'enjeu de la survie de ces communautés ne justifie-t-il pas qu'une action politique soit entreprise vis-à-vis des pays complices de ces crimes, en jouant sur des sanctions effectives lorsque c'est la mauvaise volonté des autorités qui rend possibles les vexations et les persécutions à l'encontre des communautés chrétiennes ? Il faut refuser l'octroi de visas européens pour les auteurs et les complices de ces crimes, geler leurs avoirs financiers, renforcer l'embargo sur les armes et les matériels utilisés par les forces de l'ordre ou les milices qui s'en prennent aux minorités religieuses. Enfin la Belgique doit faire davantage que de pousser l'Europe à agir. Elle peut aider directement ces communautés, et le cas échéant, offrir un havre de paix aux membres de ces communautés victimes de persécutions. Elle doit saisir la Cour pénale internationale pour que soient enfin poursuivis les auteurs de ces crimes contre l'humanité.
La cause des chrétiens d'Orient est la nôtre, elle est celle de toute civilisation.
Vanessa Matz et Georges Dallemagne, respectivement sénatrice et député fédéral cdH.
Envoyé de mon Ipad
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.