Le Conseil de sécurité de l'ONU ?
« Les chrétiens d'Orient sont en train d'être éradiqués. Compte tenu de l'extrême gravité de la situation, nous voulons poser un geste fort, a expliqué Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères dans une interview au journal La Croix. La France qui préside en ce moment le Conseil va donc convoquer une réunion spéciale, le vendredi 27 mars, sur le thème des chrétiens d'Orient (le sort des autres minorités y sera aussi évoqué) . « J'espère que la charte d'action que nous allons proposer sera une contribution utile », a ajouté le ministre.
Cette charte, qui comprendre quatre volets – humanitaire, militaire, politique et judiciaire – se veut « un appel à la communauté international à agir ».
« Je me réjouis de cette initiative qui donnera la possibilité à Mgr Louis Sako, le patriarche des chaldéens qui y a été invité, d'exploser clairement notre situation et de réveiller les consciences des dirigeants afin qu'ils nous aident, explique Mgr Petros Mouché, archevêque syriaque catholique de Mossoul et Qaraqosh, chassé de chez lui comme des dizaines de milliers de chrétiens suite à l'offensive de Daech sur l'Irak en juin 2014. Cependant, nous n'avons pas besoin de bonnes paroles, mais d'actes pour sauver les chrétiens et leur permettre de vivre en paix. »
Néanmoins aucune résolution ne devait être votée à l'issue de cette réunion de Conseil de Sécurité, ce qui limite les conséquences concrètes d'une telle réunion.
Une force internationale au sol ?
Sur cet aspect militaire, justement, Laurent Fabius explique : « La coalition, les forces irakiennes et d'autres doivent pouvoir assurer aux minorités pourchassée leur sécurité », tout en s'opposant à l'envoi de troupe françaises au sol.
Dès lors, plusieurs questions se posent. En Irak, les armées irakiennes et kurdes sont-elles prêtes à reprendre la plaine de Ninive et Mossoul où vivent les membres des minorités déplacés ? « Nous entendons régulièrement de la part de l'armée que la reprise de Mossoul est proche. Nous avons l'espoir que cela arrive vite, mais plus notre exode dure, plus les chrétiens partent », constate Mgr Petros Mouché.
« Il faut absolument que des moyens soient mis en oeuvre pour neutraliser rapidement la cause première de ces persécutions, à savoir Daech, et permettre aux déplacés de rentrer chez eux », ajoute Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l'Oeuvre d'Orient qui plaide pour l'intervention au sol d'une coalition internationale ou d'une force sous responsabilité de la ligue arabe.
Si ces minorités – chrétiens, yézidis, shabaks, kakaïs, etc.- étaient en mesure de rentrer chez elles en Irak, ces mêmes armées pourraient-elles assurer leur sécurité ? « L'armée irakienne et l'armée kurde n'ont pas réussi à nous protéger jusqu'à présent. Je pense donc que la présence d'une force internationale, au moins pour un délai court, pour sécuriser la plaine de Ninive permettrait de rassurer les chrétiens afin qu'ils puissent rentrer chez eux », plaide Mgr Petros Mouché.
Enfin, se pose la question de la coordination de la lutte contre Daech dans les pays où il est présent, c'est-à-dire principalement en Irak et en Syrie. Une victoire militaire en Irak pourrait entraîner un reflux de djihadistes en Syrie et y fragiliser encore plus les minorités. Certains observateurs y voient un argument supplémentaire à l'envoi coordonné de troupes au sol dans les deux pays.
Sébastien de Courtois, historien spécialiste des chrétiens d'Orient et journaliste basé en Turquie, estime pour sa part que « la piste militaire avec l'envoi de troupes étrangères est à contourner pour le moment. Les chrétiens vont être accusés par la suite d'avoir fait venir ces étrangers. En revanche, je crois qu'il faut armer les kurdes pour protéger, par ricochet, les chrétiens qui se sont réfugiés au Kurdistan. »
Une initiative diplomatique en Syrie ?
Le conflit syrien a poussé 700 000 chrétiens à quitter le pays dont 200 000 pour la seule année 2014 selon l'ONG Portes ouvertes. Dans la région du Khabour, le 23 février dernier, une quarantaine de villages assyriens sont tombés aux mains de l'organisation Etat islamique et au moins 200 d'entre eux ont été enlevés et le sont toujours à ce jour. « En Syrie, où le problème dépasse la présence de Daech, je pense que devrait être mise en place une large initiative internationale et diplomatique, non pas pour résoudre le problème syrien, mais au moins, dans un premier temps, pour arrêter la guerre, estime Mgr Pascal Gollnisch. On ne peut pas attendre d'avoir toutes les clés sur l'avenir de ce pays pour faire cesser ce conflit. Sur ce sujet, il est important de rétablir un dialogue avec la Russie sans qui des avancées seront difficiles. »
De son côté, le ministre des Affaires étrangères refuse toute ouverture qui pourrait laisser croire à un changement d'attitude de la France vis-à-vis d'Assad. « En réalité, Daech et Assad sont les deux faces d'une même médaille.»
Le Vatican ?
La thématique de la persécution des chrétiens dans le monde revient très régulièrement dans les discours du pape François. S'il ne peut pas se rendre en Irak, pour des questions de sécurité, il a multiplié les gestes à l'égard des chrétiens d'Orient. Le 1er mars, il fait prier pour les chrétiens d'Irak et de Syrie sur la place Saint-Pierre, pour Noël, il a adressé une lettre aux chrétiens du Moyen-Orient, un couple d'Irakiens était invité à témoigner lors du synode sur la famille et l'on se souvient de sa vidéo pour les chrétiens d'Irak à l'occasion de l'opération Erbilight.
Sur le plan financier, une aide conséquente a été débloquée pour les déplacés en Irak en août, et un don de la part du pape pour les réfugiés chrétiens du Moyen-Orient est attendu ses prochains jours, écrit La Croix.
Enfin sur le plan diplomatique, le Saint-Siège ne s'oppose pas à un recours à la force si les circonstances l'exigent.
La Cour Pénale internationale ?
La Chredo (Coordination Chrétiens d'Orient en Danger) a saisit en septembre 2014 la Cour Pénale Internationale (CPI) pour génocide et crime contre l'humanité commis par l'organisation Etat islamique. La plainte a été enregistrée et poursuit son cours. Laurent Fabius va proposer au Conseil de Sécurité de l'ONU de saisir lui-même la CPI sur le sujet et s'est engagé auprès de la coordination à ce que la France soutienne la plainte si le Conseil refusait de le faire. Dans ce type d'action « l'aspect politique est très important », reconnaît l'avocate qui s'occupe du dossier Me Samia Maktouf.
D'où la nécessité d'un large soutien pour que la plainte débouche sur des actes concrets « Le procureur pourrait non seulement enquêter sur les crimes commis mais aussi sur les complicité : qui finance Daech, qui laisse passer les armes, qui achète son pétrole, explique l'avocate. Cela pourrait avoir un effet au moins dissuasif. »
Les politiques ?
La solution est politique, entend-t-on régulièrement. Et Laurent Fabius évoque le volet politique de la charte qu'il veut proposer au Conseil de Sécurité de L 'ONU dans son interview à La Croix : « En Irak comme en Syrie, les Etats doivent assurer une place satisfaisante à chacune des communautés qui les composent. »
Pour Mgr Louis Sako, patriarche des chaldéens, « le grand combat est celui de la citoyenneté commune, qui passe notamment par le fait d'enlever la mention de la religion de la carte d'identité et de permettre les conversions quelle que soit la religion. »
Là aussi, il s'agit de passer de la parole aux actes.
Des groupes d'auto-défense ?
Nous en avons parlé récemment.
Un « Christianland » ?
Certains groupes assyriens, appartenant le plus souvent à la diaspora, demandent l'établissement d'une zone chrétienne autonome dans la plaine de Ninive en Irak. De fait, cette hypothèse n'est pas tellement évoquée par les chrétiens sur place.
Beaucoup d'entre eux vivent à Bagdad et certains même plus au sud, à Bassora. Regrouper tous les chrétiens au même endroit, outre d'en faire une cible potentielle, ne correspond pas à la réalité de l'implantation des chrétiens en Irak.
En revanche, les chrétiens demandent régulièrement d'obtenir des postes de responsabilité dans les villes dans lesquelles ils sont très majoritaires. « À mon avis, là où les chrétiens sont en majorité, ils devraient pouvoir gérer leur administration, sans créer une zone ou un ghetto, estime Mgr Louis Sako. Dans une ville comme Qaraqosh, où 95% de la population était chrétienne, le maire musulman venait de Bassora, à l'autre bout du pays. Pourquoi ne serait-ce pas un chrétien du village qui tiendrait ce rôle ? »
L'exode ?
Des centaines de milliers de chrétiens de Syrie et d'irak ont déjà pris le chemin de l'exode. À ce sujet, voilà ce que dit Mgr Petros Mouché, archevêque syriaque catholique de Mossoul et Qaraqosh : « Pour moi, cet exode est une mort lente. Et si cela continue, nous disparaîtrons. À l'étranger, les familles sont dispersées et cette dispersion entraîne une perte de nos rites et de notre culture. Mon diocèse en exil représente un tiers des fidèles syriaques catholiques dans le monde. Si ceux-ci disparaissent progressivement, c'est plus généralement notre Eglise qui est menacée.
Si vraiment il nous est impossible de rester, si vraiment nos villages sont définitivement perdus, ce que bien sûr je ne souhaite pas, alors il faudrait nous trouver un lieu où nous pourrions au moins vivre regroupés pour que notre communauté survive. Mais j'insiste, ce n'est pas la bonne solution. Il faut tout faire pour que nous puissions rentrer dans la plaine de Ninive. »