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20-3-2015-
L'Université Saint-Joseph (USJ) est née d'un défi. Cent quarante ans après sa fondation (1875), elle continue d'être mise au défi d'assumer cette identité qu'elle s'est acquise au fil des décennies. En sa fête patronale hier, et comme de tradition, son recteur, le Pr Salim Daccache s.j., a pris la parole devant la communauté universitaire et ses hôtes réunis sur le campus de Mar Roukoz, pour en parler à loisir.
De son discours, retenons surtout que l'Université Saint-Joseph vit aujourd'hui dans le prolongement d'un défi très particulier qui lui a été lancé à ses cent ans, à l'orée de la guerre civile : celui de fermer ses campus ou de continuer d'être.
Cette date est pour l'USJ celle d'une « refondation ». D'une louable initiative de « créer un collège pour la formation de l'élite ecclésiale maronite et catholique », d'une « pensée très chrétienne et très française : "faire du bien" », de l'institution créée pour « combattre le protestantisme anglo-saxon et américain (...) par peur de voir la culture américaine l'emporter face au rayonnement de la culture française », l'USJ assume à nouveau l'identité qu'elle avait acquise après la naissance du Grand Liban (1920), celle d'une institution partie prenante de l'identité libanaise.
En 1975 donc, tranchant dans « le conflit latent entre deux courants au sein de la Compagnie de Jésus », le recteur Jean Ducruet et son équipe décidaient de « continuer l'université », et non seulement de la développer, mais « de la doter d'une charte et de nouveaux statuts redéfinissant sa mission d'une manière durable, assurant ainsi sa pérennité ».
Dans une allocution mémorable adressée à la première réunion du conseil de l'USJ, le P. Ducruet déclara : « La volonté de non-fermeture demeure totale ; elle est même fortement renforcée par une situation de catastrophe nationale qui exclut d'avance tout ce qui pourrait, à tort ou à raison, apparaître comme un lâchage d'un pays qui est nôtre et qui l'est d'autant plus qu'il se débat aujourd'hui dans une véritable agonie. »
C'est dans le prolongement de cet audacieux et généreux acte de foi que l'USJ vit aujourd'hui, et l'un des premiers défis qu'elle doit relever, selon le recteur Daccache, c'est celui d'une quadruple autonomie « à l'égard de la Compagnie de Jésus, dont les liens avec elle sont définis dans la charte adoptée en 1975 ; à l'égard de la France qui ne doit plus regarder l'USJ comme une annexe culturelle, mais comme un partenaire, à l'égard des partis chrétiens qui ne doivent pas voir l'USJ comme une propriété confessionnelle, mais comme un outil de promotion du sens de la présence chrétienne au Liban et dans le monde arabe, et enfin à l'égard des autorités libanaises qui doivent tenir compte du caractère privé et libanais de l'institution ».
Les élections estudiantines
Que signifie « continuer à être une université libanaise », au moment où le Liban ne peut être dissocié de ce qui est vécu autour de lui ? s'est interrogé le P. Daccache, qui est revenu sur la grave décision prise par l'administration universitaire de ne pas organiser d'élections estudiantines durant l'année universitaire en cours.
« Les conflits, parfois violents, entre étudiants, ces dernières années, sont symptomatiques d'un problème grave que nous devons affronter, a-t-il dit à ce sujet. C'est le problème de la gestion du pluralisme (...) Notre université accueille un public très diversifié, venant de toutes les régions du Liban (...). Chaque année, 1 700 à 1 800 étudiants de tous bords et de toutes allégeances politiques se joignent à nous, en plus du millier d'étudiants qui intègrent les masters ou les doctorats. Le défi est de refaire – chaque année – le même travail d'appropriation de cette éthique de la libanité. »
Parole de recteur, hier et aujourd'hui
Et le P. Daccache de rappeler une allocution prononcée par son prédécesseur, le recteur Salim Abou, en 2000, dans laquelle ce dernier affirmait : « C'est dans ce contexte (celui du malaise islamo-chrétien à l'issue de Taëf) que l'Université Saint-Joseph s'efforce de rester un espace de liberté. Mais si la liberté d'expression est totalement garantie sur les divers campus, l'apprentissage de la démocratie est lent et difficile (...) On a sans doute raison de dire que les jeunes sont l'avenir du pays, mais à condition qu'ils ne se contentent pas de reproduire le comportement et le langage de la classe politique qui les a déçus. »
« Parole du recteur d'hier, parole du recteur d'aujourd'hui », épilogue-t-il, tout en évoquant une série d'initiatives citoyennes au niveau universitaire qui doivent – si tout va bien – permettre la normalisation de la situation sur le plan des élections durant l'année académique 2015-2016.
Pour continuer d'être d'avant-garde, l'USJ doit en outre relever le défi du choix des langues d'apprentissage, en particulier de l'anglais, a poursuivi le recteur.
« La charte appelle l'université à porter une responsabilité culturelle nationale, en cherchant à maintenir un équilibre entre la culture de langue française et la culture de langue arabe », a-t-il rappelé. Mais ce qui était vrai en 1975 ne l'est plus aujourd'hui.
Davantage de cursus en anglais
« Il se peut, a-t-il expliqué, que cette instance soit liée au contexte de 1975 où il y avait le risque d'une arabisation des programmes académiques et scolaires, projet qui avait été mis en branle mais vite écarté par ses plus farouches partisans eux-mêmes, voyant les effets suicidaires d'une telle entreprise. Mais aujourd'hui, le monde universitaire arabe, multiplié par 100 depuis 1975 du point de vue quantitatif, a fait le choix d'une manière presque dominante de la langue anglaise comme langue d'enseignement et de recherche. »
« Si vous ne le savez pas, a ajouté le P. Daccache, les classements internationaux ne vous introduisent pas facilement aujourd'hui dans leurs listes, si une bonne partie de votre activité académique – c'est surtout vrai pour la recherche – n'est pas faite en langue anglaise. » « De même, a-t-il constaté, 60 %, sinon plus, des élèves diplômés – et les meilleurs – formés par les écoles francophones s'orientent par choix vers le système universitaire anglo-saxon, ce qui pourrait freiner le développement de l'USJ. »
De ce fait, a-t-il conclu, « le conseil de notre université, lors de sa réunion de février, a décidé de créer davantage de cursus en langue anglaise ».
De ces remarques, le P. Daccache en est venu au témoignage que l'USJ doit donner de son temps. Le recteur a exprimé « le souci immédiat (de l'USJ) d'être à l'écoute de la société dans laquelle elle est enracinée ».
L'humanité de l'homme
L'université, a-t-il ajouté, « n'est pas seulement un élément moteur du fonctionnement de la société, elle a aussi la charge d'exercer sur la société une fonction critique et normative au nom du respect par cette société de l'humanité de l'homme ».
« C'est ainsi, a-t-il enchaîné, que l'USJ ne peut demeurer neutre ou indifférente quant aux évolutions de la situation socio-politique du contexte libanais et arabo-musulman (...) ni à une menace d'installation d'un système politique mettant en danger la spécificité et les fondements pluriels de la nation libanaise. »
« Nous demeurons convaincus que la vacance du siège du président de la République est un danger permanent, non seulement pour la communauté chrétienne, mais encore pour l'idée de ce Liban intercommunautaire, qui se veut être un message de paix et de liberté », a-t-il estimé. Et de trancher : « Sans chercher à blâmer qui que ce soit, cette recherche d'un président relève en premier de la responsabilité des partis chrétiens. »
Face à « un extrémisme se réclamant religieux et musulman », le recteur Daccache a estimé que l'USJ doit « marquer sa franche solidarité académique avec tant de voix, d'autorités et de collègues musulmans qui ne manifestent pas seulement leur indignation et leur rejet du règne de la barbarie, comme al-Azhar, mais qui appellent à un vrai aggiornamento critique de la pensée religieuse musulmane, comme ces 23 penseurs égyptiens musulmans, parmi lesquels figure l'ancien mufti d'Égypte, qui ont proposé une méthode concrète pour cet aggiornamento en 22 points ».
Au niveau national, le recteur Daccache a recommandé : « Soyons humbles pour recevoir les leçons de notre histoire et renoncer solennellement à toute forme de guerre civile. Les leçons de l'histoire, de notre histoire commune, même si nous avons des divergences sur la nature du manuel scolaire d'histoire, sont là pour montrer que nous y serons tous perdants. Plutôt que la guerre, choisissons la ligne de la résilience, cette résistance intelligente qui a permis aux Libanais – par la force de l'esprit – de remonter la pente et de retrouver un Liban auquel il manque encore une vraie réconciliation et un pardon entre ses différentes composantes. »
Une chaire Riad el-Solh
Au niveau universitaire, le P. Daccache a annoncé le lancement de la chaire Riad el-Solh pour les études constitutionnelles et politiques, à la faculté de droit, ainsi que l'Observatoire de la fonction publique et du bien commun, rattaché à plusieurs facultés. Par ailleurs, l'USJ entamera une réflexion autour de ses programmes en arabe et en islamologie afin de les rendre plus adaptés et plus pertinents.
Le recteur de l'USJ devait, d'autre part, aborder divers défis en rapport avec « la mise en conformité de l'université aux exigences académiques et universitaires, nationales et internationales, notamment au niveau de la démarche et de l'assurance qualité dans les domaines de la gouvernance, de l'identité visuelle, de l'enseignement, des descriptifs de cours et de la recherche ».
« Des actions d'ordre pédagogique ont été entreprises pour les assumer », a-t-il annoncé. Ainsi, « l'université s'est dotée récemment d'un code de l'enseignant chercheur », pour faire face aux exigences de l'accréditation régulière des programmes et de certaines formations.
Enfin, le recteur a abordé un défi d'ordre pragmatique, celui de l'autonomie scientifique, administrative et financière de l'USJ, un défi qui l'incite à « rechercher les moyens et les ressources humaines et financières pour mettre en œuvre notre propre politique de développement ». À cette fin, a-t-il dit, une Fondation USJ verra bientôt le jour, notamment pour faire face aux exigences financières que font peser sur l'USJ quelque 3 000 boursiers.
Envoyé de mon Ipad
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