Pour Mgr Lahham, « soit l'islam politique est modéré, soit il n'a aucune chance de réussir » | La-Croix.com-7/2/2013
Lors d'un colloque organisé le 19 janvier dernier à Paris par le réseau Chrétiens de la Méditerranée et la direction de la prospective du ministère des affaires étrangères, Mgr Maroun Lahham, vicaire patriarcal pour la Jordanie et ancien archevêque de Tunis, est intervenu sur le thème : « Le rôle des religions dans l'évolution des sociétés arabes ».
Lors de cette conférence, il a d'abord replacé le sujet dans une histoire longue, rappelant que la question du rôle et de la place de la religion dans les sociétés en général et dans le monde politique en particulier est « vieille comme le monde », qui a connu, depuis l'Édit de Milan en 313, « des variations infinies » : soumission du religieux au politique, soumission du politique au religieux, séparation nette « et presque négative » (en France), séparation plus souple (pays anglophones et germanophones)… Actuellement, Vatican II parle d'« indépendance mutuelle et de saine collaboration » (Gaudium et Spes) et, « du côté politique européen, on parle de "laïcité positive" ».
« Ce cadre qui semble être assez équilibré ne s'applique pas au monde arabe », précise néanmoins Mgr Lahham, parce que « les sociétés ne sont pas les mêmes », mais surtout parce que « le rôle du religieux dans le politique et le social n'est pas le même ».
La religion, élément constitutif des sociétés arabes
Désormais, les mouvements religieux islamiques – même s'ils ont pris « en marche » le train de la contestation des pouvoirs autoritaires – sont arrivés au pouvoir avec des élections libres et démocratiques. « Je pense qu'il ne faut pas s'étonner de cette montée de l'islam et de l'islamisme ni de leur "victoire" politique », estime l'ancien archevêque de Tunis. « D'abord, et on le répète jamais assez – surtout pour des Occidentaux –, la religion est un élément constitutif dans la vie des personnes et des sociétés arabes. »
Ensuite, les seuls partis d'opposition existant sous la dictature étaient les partis islamistes (sauf en Libye, ce qui explique qu'ils n'aient pas gagné les élections). « Ces partis étaient opprimés, persécutés, mis en prison, mais ils étaient là, bien organisés et bien structurés. La persécution n'a fait que leur donner plus de fermeté et plus de volonté pour résister et pour survivre ».
« Passés de l'opposition au gouvernement, les partis religieux se sont vus obligés de parler économie et politique, sans toutefois renoncer au désir (volonté ?) de changer la société et de la faire "évoluer" dans une direction islamisante », note l'ancien archevêque de Tunis. « Certes, ils ne le disent pas, ils s'en défendent même, mais les exemples sont nombreux » : tentative – avortée – d'introduire la charia dans la nouvelle Constitution tunisienne, ligne plus stricte dans l'observation de jeûne du Ramadan, voile islamique partiel et intégral, ballons d'essai pour réintroduire la polygamie, etc. etc.
Des régimes juridiquement légitimes
« Clai dit, la présence des régimes musulmans ou islamistes au sommet du pouvoir est juridiquement légitime et incontestable », rappelle Mgr Lahham. À ses yeux, l'Occident doit se convaincre que le Moyen-Orient, et les pays arabes en général, « ne sont plus les mêmes », et qu'un retour en arrière est « impensable ». « Il n'est plus possible, ni permis de traiter avec des dirigeants arabes despotes, de fermer les yeux sur la violation des droits de l'homme sous prétexte de protéger ses propres frontières contre l'immigration illicite ou d'arrêter l'avancée des partis islamistes. Les pays arabes sont des pays à grande majorité musulmane, et l'Occident doit changer de ligne de conduite et traiter avec cette nouvelle réalité ».
Quant aux pays arabes qui choisissent d'être gouvernés par un islam politique, « ils doivent savoir que soit l'islam politique est modéré, soit il n'a aucune chance de réussir », assène-t-il. « Aucun pays, arabe ou non, ne peut plus vivre dans un "ghetto" religieux ou politique. Je donne un seul exemple : l'islam politique doit traiter avec des banques à intérêt ce qui n'est pas permis dans un islam rigide, régi par la chari'a ».
Des relations sereines entre Orient et Occident
Pour ce Jordanien, ordonné en 1972 pour le Patriarcat latin de Jérusalem et nommé en 2005 à Tunis avant d'être rappelé l'an dernier par le pape au Moyen-Orient, l'avènement au pouvoir des partis islamistes n'est donc pas forcément le signe d'un échec des « printemps arabes ».
Ces partis peuvent à ses yeux réussir à changer ou à faire évoluer les sociétés arabes, mais à plusieurs conditions : « adopter une position claire et tranchée face aux mouvements salafistes », « ce qui n'est pas le cas en Tunisie et en Égypte où l'on constate une certaine complicité, un laisser-faire, des positions molles, des condamnations gentilles » ; opter pour « une politique démocratique qui garantisse les droits de l'homme et les libertés qui en découlent, à commencer par la réciprocité et la liberté de conscience, et pas seulement la liberté de culte », un point « qui trouve encore beaucoup de résistance du côté musulman parce qu'il va contre l'interprétation littérale du Coran » ; ou encore « offrir au peuple un programme économique valide ».
Si l'islam politique y parvient, si Moyen-Orient et Occident parviennent à sortir « du complexe historique Orient/Occident, croisades/colonialisme, islamisation de l'Europe/évangélisation de l'islam », des relations « sereines » peuvent s'instaurer entre les deux rives de la Méditerranée. Et « si cela n'arrive pas, les partis à tendance islamique auront eu leur chance » et il faudra alors donner la leur à d'autres. Pour le nouveau vicaire patriarcal pour la Jordanie, « le parti qui saura gouverner les pays arabes et faire évoluer leurs sociétés vers le mieux sera celui pour lequel des centaines de jeunes ont sacrifié leur jeunesse et leur vie ».
Envoyé de mon iPad jtk
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