Raï fulmine : « La Chambre des députés viole la Constitution »
Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, s'est littéralement déchaîné hier contre la persistance de la vacance présidentielle, accusant la Chambre des députés et « ceux qui se tiennent derrière » de violer la Constitution et qualifiant d'« hérésie » la théorie selon laquelle un accord sur le président doit précéder le vote.
Le chef de l'Église maronite, qui s'exprimait à l'aéroport avant son départ pour Rome, où il doit séjourner plusieurs jours, a également réclamé de rendre obligatoire le dépôt de candidature pour la présidence et il a, par ailleurs, évoqué longuement la situation des chrétiens d'Orient.
Mgr Raï était salué à l'aéroport par le vicaire patriarcal Mgr Boulos Sayah, l'ambassadeur du Liban au Saint-Siège Georges Khoury, le président du Conseil général maronite, Wadih el-Khazen, ainsi que par des responsables militaires.
Le patriarche a d'abord indiqué qu'il se rendait à Rome pour prendre part à une conférence interparlementaire internationale qui devait entamer ses travaux hier au Vatican et les poursuivre jusqu'à dimanche sous le thème de « l'oppression des chrétiens au Moyen-Orient », en particulier en Irak et en Syrie. « Il m'a été demandé d'intervenir sur ce thème en parlant de ce qui se passe sur le terrain. »
Par la même occasion, une rencontre est prévue avec le pape François et les autres hauts responsables du Saint-Siège pour un tour d'horizon de la situation au Liban et au Moyen-Orient. « Tout le monde sait que le Vatican et Sa Sainteté le pape ont un rôle au service de la paix mondiale et que ce rôle est loin de toute considération d'intérêts politiques ou stratégiques ou économiques ».
« Il est vrai que le Vatican est un État, mais il ne s'occupe pas de questions sécuritaires, militaires, économiques ou commerciales, a déclaré Mgr Raï. C'est cependant un État qui a une puissance morale et diplomatique, un État qui s'adresse aux consciences, aux raisons et aux cœurs. Or les gens ont toujours besoin d'entendre une voix qui secoue leur conscience, leur raison et leurs sentiments. Voilà le rôle de l'Église », a-t-il dit.
Daech et les chrétiens d'Irak et de Syrie
Interrogé sur les accusations lancées par le patriarche chaldéen, Mgr Louis Raphaël 1er Sako, contre les États-Unis, affirmant que ces derniers se tiennent derrière l'État islamique (EI, ex-Daech), Mgr Raï a répondu qu'il a lu ces propos dans la presse. « En tout état de cause, a-t-il ajouté, nous ne sommes pas dans une posture d'accusation, nous demandons seulement aux États, et à leur tête l'Amérique puisque c'est l'une des grandes puissances, de se rassembler et de coopérer entre eux afin d'en finir avec tous ces mouvements fondamentalistes terroristes. Cela est le devoir de la communauté internationale. Sans vouloir le moins du monde jouer aux accusateurs, nous pouvons avoir des doutes lorsque nous voyons les États rester les bras croisés face à une réalité comme celle de l'Irak. »
Et le patriarche de poursuivre : « Nous avons vu comment une organisation appelée Daech a expulsé les chrétiens de leurs foyers, nus, dépouillés de tout, puis comment elle a émis des fatwas ordonnant le transfert des propriétés des chrétiens à ses membres. Ensuite, ils sont entrés dans les églises, ils ont cassé les croix et se sont livrés à des profanations. Ils s'en sont également pris à d'autres minorités, comme les yazidis, qu'ils ont massacrés et dont ils ont agressé les femmes. Il y a aussi les décapitations et les bras tranchés. Face à tout cela, la communauté internationale, à commencer par les États-Unis, est restée les bras croisés. Comment dès lors ne pas douter, comment ne pas s'interroger sur la signification de la communauté internationale, des Nations unies, de la Cour pénale internationale. »
Interrogé sur l'attitude des ambassadeurs des grandes puissances, mercredi, lors de la réunion des patriarches d'Orient à Bkerké, Mgr Raï a relevé que « le représentant du secrétaire général de l'Onu, Derek Plumbly, avait affirmé que tous les ambassadeurs ont repris à leur compte ce que les patriarches avaient dit au sujet de l'Irak, de la Syrie et de la Palestine et qu'ils ont promis de s'en remettre à leurs gouvernements. On ne peut pas laisser les choses telles qu'elles sont, ce serait une infamie pour l'humanité ».
« Tel était l'objectif de notre réunion d'hier (mercredi). Nous voulions d'un côté lancer un appel à la communauté internationale et de l'autre constituer une force capable de limiter l'essor des organisations telles que Daech et ses consœurs. Nous avons aussi demandé à la communauté islamique et aux instances musulmanes civiles et religieuses de trancher la question, de parler avec franchise et d'émettre des fatwas (contre l'extrémisme islamique), car les comportements odieux que nous dénonçons sont d'abord contre l'islam. Nous-mêmes nous refusons en tant que chrétiens cette image donnée des musulmans et nous souhaitons que les instances islamiques expriment ce rejet et condamnent toute agression contre les chrétiens et contre toute personne dans cette société. Et nous leur demandons aussi de s'engager militairement aux côtés des puissances pour éradiquer le terrorisme », a encore dit le patriarche.
La présidentielle
Passant à la question présidentielle libanaise, Mgr Raï a fulminé : « Lorsque j'entre dans ce salon, je regarde par terre (pour ne pas voir l'emplacement vide du portrait du président de la République) afin de ne pas être davantage blessé. Voilà plus de cinq mois que nous sommes blessés dans notre dignité libanaise parce que la Chambre des députés et ceux qui se tiennent derrière violent la Constitution de manière franche et criante. »
« Je le dirai une fois de plus : la Constitution impose à la Chambre d'élire un président deux mois avant la fin du mandat présidentiel. Et en cas de vacance de la présidence pour une cause ou une autre, telle que le décès du chef de l'État ou sa démission, la Constitution dit que la Chambre doit immédiatement procéder à l'élection de son successeur et le gouvernement est censé expédier les affaires courantes », a-t-il noté.
Et le patriarche de se déchaîner : « Je n'arrive pas à regarder ce cadre (de portrait) vide. Je ne suis plus en mesure de supporter cela. Et c'est le cas de tous les gens qui viennent se plaindre de cette situation à Bkerké. Au nom du peuple, j'affirme que c'est une honte pour les Libanais que le pays reste sans président. C'est une violation de la Constitution. La séparation des pouvoirs implique qu'il doit exister un président, un gouvernement, un Parlement et une justice. J'espère que tous les Libanais et ceux qui sont derrière prendront conscience qu'il y a une grande violation de la Constitution. Nous nous vantons du Liban et de sa civilisation et nous n'avons même pas de président. Pire, on dirait que la question présidentielle est devenue taboue. »
(Lire aussi: A. Gemayel chez Deriane : Pour la présidentielle, la bénédiction du mufti d'abord)
« Au Liban, hélas, il n'y a pas de dépôt de candidature pour l'élection présidentielle. Je souhaite, après l'élection d'un président, que la première chose qui se fera soit de rendre obligatoire le dépôt de candidature pour le scrutin présidentiel comme c'est le cas pour les législatives et aussi d'amender la Constitution de façon à empêcher toute vacance à l'expiration des six années du mandat présidentiel, autrement dit de permettre au chef de l'État en place de continuer à exercer ses fonctions jusqu'à ce qu'un successeur lui soit élu », a-t-il préconisé.
Et de poursuivre : « La Chambre doit faire son devoir. Il n'y a pas de place pour une théorie qui voudrait qu'il y ait un accord sur un président parce qu'il n'y a pas de candidature. Lors des opérations de vote, on peut essayer une, deux ou trois fois et puis, s'il est impossible d'avoir un président par voie de vote, on peut parler alors de compromis. C'est à ce moment-là qu'on appellerait à un accord. Mais dire que les chrétiens, et les maronites en particulier, devraient d'abord s'entendre, cela est contraire à la Constitution et puis nul n'a le droit de classifier les gens qui se présentent ou qui ne se présentent pas. Quant à prétendre qu'il faut un accord avant le vote, c'est une grande hérésie. »
Insistant encore une fois sur la candidature obligatoire, le patriarche a appelé à « mettre fin à cette mascarade » de l'impasse présidentielle et assuré que Bkerké n'avait aucun candidat.
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