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Le fragile sursis des chrétiens d'Irak
Le cardinal Philippe Barbarin et Mgr Michel Dubost ont, au nom de l'Église de France, rencontré les familles chrétiennes chassées de Mossoul par la tyrannie de l'État islamique.
Ces chrétiens de la Ninive biblique se posent aujourd'hui la question de l'exil loin de leur pays.
En cette fin de matinée, mardi 29 juillet, la voiture du cardinal Barbarin escortée par deux pick-ups de l'armée kurde pénètre dans Qaraqosh. La petite ville, où l'on parle encore l'araméen, est quadrillée par les uniformes des peshmergas, les soldats de la région semi-autonome du Kurdistan irakien.
À portée de fusil des djihadistes de l'État islamique (EI), le califat autoproclamé qui sème la terreur en Irak et en Syrie, Qaraqosh est l'un des derniers refuges pour les chrétiens chassés de Mossoul, la Ninive de la Bible, tombée aux mains des islamistes le mois dernier.
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Les habitants, presque tous syriens-catholiques, sont dans la rue pour accueillir les visiteurs français – le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, Mgr Michel Dubost, évêque d'Évry, et Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l'Œuvre d'Orient – venus les soutenir.
Sous les branches de palmiers et les youyous, vêtus de la soutane noire des grands jours, les trois évêques affrontent la fournaise irakienne – près de 50 °C au soleil –, serrés de près par les mitraillettes kurdes. Le front en sueur, les chaussures couvertes de poussière, ils pénètrent dans l'église Notre-Dame dont les chants en araméen emplissent la nef.
« Tous les catholiques de France sont ici »
« Si les Kurdes n'avaient pas pris notre défense, nous ne serions pas réunis avec vous aujourd'hui », leur lance l'archevêque de Mossoul, Mgr Boutros Moshe. En juin, peu après la prise de Mossoul, Qaraqosh s'était subitement retrouvée sur la ligne de front entre les combattants de l'EI et l'armée kurde. Pris de panique sous une pluie d'obus, ses 45 000 habitants avaient fui la ville en quelques heures, le temps pour les peshmergas de rétablir la situation.
« Tous les catholiques de France sont ici, en ce moment, dans l'église de Qaraqosh », lui répond le cardinal Barbarin. De la joie, mais aussi une tension palpable, se lit sur des milliers de visages. « Nous sommes venus pour vous voir, pour entendre le témoignage de ceux d'entre vous qui ont quitté leur ville et ne savent pas s'ils y retourneront un jour, poursuit-il appuyant sur chaque mot. Soyez fort dans votre espérance. Aujourd'hui, Mossoul semble engloutie, comme Jonas dans le ventre de la baleine, mais elle sortira bientôt saine et sauve de cette épreuve. » La nef éclate en applaudissements. Et comme pour donner corps à ses paroles, l'archevêque de Lyon annonce : « Je prends l'engagement de réciter tous les jours le Notre-Père dans votre langue liturgique, jusqu'à ce que vous puissiez retourner à Mossoul ! »
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« Ils nous ont tout pris : voitures, vêtements, bijoux… »
Mossoul. Pour les chrétiens rencontrés ces derniers jours par les représentants de l'Église de France, de retour aujourd'hui à Paris, le nom de la deuxième ville d'Irak n'évoque plus que le choc traumatique d'un départ précipité sous la menace des djihadistes. « Convertissez-vous à l'islam ou payez l'impôt, sinon vous mourrez par le glaive. » Tous ont gravé à l'esprit les termes de l'ultimatum reçu par e-mail, ou déclamé par des haut-parleurs dans les rues de la ville.
« Nous avons juste eu le temps d'emporter un sac et une valise, raconte un réfugié. Au check-point, apprenant que nous étions chrétiens, ils nous ont tout pris : voitures, vêtements, bijoux… » La famille a parcouru à pied les 30 kilomètres qui séparent Mossoul de Qaraqosh, avant d'échouer plus au nord à Alqosh.
« Ils m'ont réclamé ma bague de mariage »
Atimat, une mère de famille, montre le doigt qu'elle a bien failli perdre ce jour-là. « Après nous avoir dépouillés de tout, ils m'ont réclamé ma bague de mariage. Pas moyen de la retirer ! L'un d'eux est alors revenu avec une hache, j'ai juste eu le temps de m'en débarrasser avec de la salive… »
Coiffeuse à Mossoul, Moushra et son mari ont eu la présence d'esprit d'attendre la nuit pour passer le check-point. Par chance, en cette période de Ramadan, les djihadistes ripaillaient dans leur guérite. « Cela nous a au moins permis de conserver la voiture et quelques affaires. »
« Ils recrutent des indics parmi la population »
Tout régime de terreur produit ses traîtres et ses héros. Mossoul n'échappe pas à la règle. « Mon voisin musulman nous a pris en voiture pour passer les check-points sans encombre », témoigne une mère de famille. Namrod, ingénieur civil, n'en revient toujours pas du coup de fil qu'il a reçu sur son portable, quelques jours après avoir fui Mossoul. « C'était mon collègue de bureau, un musulman. Il m'a froidement annoncé que notre maison était désormais la propriété de l'islam et qu'il me fallait débourser 100 000 dollars pour espérer la récupérer ! »
L'homme a son explication sur le mode opératoire des terroristes de l'EI. « Il y avait parmi eux des Saoudiens, des Pakistanais… Pour savoir qui est chrétien dans une ville qu'ils ne connaissent pas, ils recrutent des indics parmi la population. »
« Épouse un musulman si tu veux rester »
Ces milliers de réfugiés auraient pu, moyennant de réciter la « chahada », la profession de foi musulmane, sauver leurs biens et rester sur place. Aucun n'y a cédé ; ni seulement songé. « Épouse un musulman si tu veux rester », s'est même entendu dire Moushra, la coiffeuse, par les djihadistes venus la chasser de chez elle.
En des temps pas si anciens, Mossoul était pourtant une ville phare au plan culturel et religieux. Le séminaire Saint-Jean, fondé par les dominicains, y a formé au cours du siècle dernier une grande partie de l'élite chrétienne et musulmane, à l'instar de Mgr Yousif Mirkis, archevêque de Kirkouk, fondateur à Bagdad d'une université où toutes les ressources intellectuelles de l'Irak – chrétiens, sunnites, chiites, yézidis – ont droit de cité. « La chute de Mossoul aux mains de ces gangs islamistes est un choc pour nous tous, déplore-t-il. Elle signe la faillite de nos institutions, de notre gouvernement… »
Curé à Mossoul de 2004 à 2006, le P. Behnam Benoka se souvient des insultes et des menaces alors essuyées quotidiennement dans la rue, des premiers chrétiens enlevés et égorgés.
Dans sa fureur purificatrice, l'État islamique s'en prend aussi aux autres minorités. Des camps de réfugiés chiites ou yézidis fleurissent le long de l'autoroute, non loin de la frontière kurde.
Beaucoup ne songent plus qu'à partir
Et maintenant ? Sans argent ni papiers pour la plupart, les chrétiens réfugiés n'ont pour l'instant aucune perspective. À Qaraqosh, où environ 500 familles attendent, l'urgence est au logement, à l'eau potable et aux équipements de base – matelas, ventilateurs, frigos – auxquels des ONG tentent de pourvoir. Le P. Pios Affas, dernier prêtre syrien-catholique à avoir quitté la ville, distribue l'aumône à ceux qui étaient jadis les plus aisés de ses paroissiens.
À défaut d'avenir, beaucoup ne songent plus qu'à partir et demandent à leurs prêtres des certificats de baptême. « Ils espèrent ainsi pouvoir prétendre au statut de réfugiés à l'étranger, explique le P. Affas. J'ai beau leur dire que cette procédure est coûteuse et a peu de chances d'aboutir, rien n'y fait. » La proposition, lundi 28 juillet, du gouvernement français d'accorder des visas aux chrétiens persécutés de Mossoul s'est répandue comme une traînée de poudre. À Erbil, une centaine d'entre eux s'est précipitée aux portes du consulat.
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Vers un conflit de grande ampleur entre sunnites et chiites ?
En dépit des reproches qui lui sont adressés sur Internet et dans les conversations, le patriarche chaldéen, S. B. Louis Sako, martèle sans relâche le même message devant les communautés. « Je comprends leurs souffrances et respecte leur décision. Les chrétiens de ce pays ont traversé tant de guerres depuis 30 ans… Mais personnellement, je souhaiterais qu'ils restent. Nous avons vocation à porter les valeurs chrétiennes sur cette terre où s'est écrite l'histoire du christianisme. »
Pour le patriarche, la solution à long terme réside dans un Irak pacifié et laïc. « Un idéal, un rêve », reconnaît-il. De son côté, le cardinal Barbarin fait part de son inquiétude à court terme. « La persécution des chrétiens n'est qu'un épiphénomène de la déflagration majeure qui se prépare entre sunnites et chiites. »
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En suscitant en France compassion et solidarité envers les chrétiens d'Irak, la visite de ces derniers jours aura au moins pour mérite d'aider ceux qui le souhaitent à rester dans leur pays.
Envoyé de mon Ipad
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