Ils sont quelque 140 000 Arméniens à vivre au Liban où ils forment la plus importante communauté au Moyen-Orient. La plupart d'entre eux sont des descendants des survivants des massacres qui ont fait 1,5 million de morts.
Parmi ces Arméniens, Paula Yaacoubian. « Je suis la fille d'un survivant, raconte la journaliste. Mon père est né en 1911. Quatre ans plus tard, ses parents ont été massacrés et il a fui le pays avec sa sœur. C'est à dos d'âne qu'ils ont traversé le désert jusqu'à Alep, en Syrie, où ils ont vécu dans un orphelinat pendant quelques années avant de venir au Liban et de s'établir à Tripoli. »
C'est avec un mélange de fierté et d'amertume dans la voix que la jeune femme relate comment son père a témoigné du massacre de sa mère. « Cette image est restée gravée dans sa mémoire d'enfant de quatre ans. Aucun jour de sa vie n'est passé sans qu'il ne la voie dans ses rêves », raconte-t-elle. Et de poursuivre: « À travers mon père, j'ai vécu dans les moindres détails les massacres des Arméniens perpétrés par les Ottomans. »
Paula Yaacoubian a visité l'Arménie pour la première fois de sa vie à l'occasion du centenaire du génocide. La journaliste précise néanmoins que « la diaspora arménienne est originaire des six vilayets de l'Est, toujours occupés par la Turquie ». Le village natal de son père, Zeytoun, en fait partie. « J'aimerais visiter Zeytoun, j'aimerais découvrir mes origines, voir où mon père est né, confie-t-elle. Nous avons un rêve, c'est celui de revoir nos terres, l'Arménie actuelle n'est pas notre terre. »
Paula Yaacoubian s'insurge contre le refus de la Turquie de reconnaître le génocide arménien bien qu'il soit « une réalité historique indéniable ». « Ils ont ôté la vie à plus d'un million de personnes et aucun Turc ne peut nier cela. Mais le régime actuel refuse de reconnaître ces faits pour ne pas avoir à dédommager la population dont les terres ont été usurpées », affirme-t-elle.
Même si elle verra ce rêve réalisé un jour, Paula Yaacoubian assure qu'elle ne quittera jamais le Liban. « Je suis née au Liban, j'ai construit ma vie ici, j'ai fondé ma famille ici, déclare-t-elle. Je suis libanaise plus que tous les Libanais. Je suis libanaise jusqu'à la moelle. Je ne me détacherai jamais de cette terre que je défendrai jusqu'à mon dernier souffle. »
Et de conclure : « Parce qu'ils ont été expulsés, parce qu'ils se sont réfugiés, les Arméniens savent mieux que quiconque la valeur de l'appartenance à une terre. Et c'est au Liban que j'appartiens, à ce pays qui m'a tout donné. »
Je ne quitterai jamais le Liban
Un sentiment d'appartenance que partage le député Serge Tor Sarkissian. « Je suis plus libanais qu'arménien, affirme-t-il. Je n'ai pas accepté le passeport arménien, ma nationalité est libanaise et j'en suis fier. »
Comme Paula Yaacoubian, le village dont le député est originaire est toujours sous occupation turque. Il s'est rendu à deux ou trois reprises en Arménie et a pris part, avec la délégation officielle libanaise, à la commémoration du centenaire du génocide.
« Avant d'y aller, j'ai découvert l'Arménie à travers les livres mais surtout à travers ma famille, raconte Serge Tor Sarkissian. Ma grand-mère a témoigné des massacres, et c'est elle qui a semé en moi le sentiment de nostalgie de mon pays d'origine. Mon père lui demandait toujours de ne pas me raconter les histoires atroces qu'elle a vécues de crainte qu'elles ne m'affectent négativement en tant qu'enfant. »
Le député, lui, insiste à raconter l'histoire de l'Arménie à ses enfants : « Il s'agit d'un peuple tout entier qui a été exterminé. Tous les Libanais, même ceux qui ne sont pas d'origine arménienne, doivent savoir ce qui s'est passé. »
Cent ans après le génocide, il est de plus en plus nécessaire d'adhérer à la cause arménienne et de ne pas baisser les bras, estime le parlementaire. Selon lui, c'est à l'État arménien qu'il revient de faire le premier pas en portant plainte devant la Cour pénale internationale afin de revendiquer son droit et le droit de son peuple. « C'est en portant plainte que nous pouvons envisager des dédommagements et une récupération des territoires usurpés et des biens volés », insiste-t-il.
Le retour des Arméniens à leurs terres est cependant difficile. « Chacun d'eux fait aujourd'hui partie intégrante du pays dans lequel il vit et en lequel il croit. Le quitter relève de l'impossible, du moins pour moi », indique Serge Tor Sarkissian, soulignant dans le même temps la nécessité pour les Arméniens d'œuvrer à préserver leurs racines.
C'est le Liban qui m'a introduit à l'Arménie
Ces racines, le journaliste Neshan Derharoutiounian ne veut absolument pas s'en détacher. « Même si trente ans de ma vie sont passés sans que je connaisse l'Arménie, elle vivait toujours dans ma mémoire, dans mon cœur, dans ma culture, dans ma langue et dans mon histoire », affirme-t-il sur un ton empreint d'émotion. Pour lui, « la cause arménienne est à la base de l'existence de tout Arménien, qu'il soit né au Liban ou dans n'importe quel autre pays ».
Le destin de Neshan Derharoutiounian l'a amené au Liban, « et, pour cela, je remercie Dieu chaque jour ». « Ce pays apprend à tous ceux qui y vivent l'amour de la patrie », affirme-t-il. Le journaliste se dit également reconnaissant envers ses parents qui ont toujours insisté pour qu'il maîtrise la langue arabe afin de s'intégrer à la société libanaise. « Grâce à eux, j'ai appris à voler à l'aide de mes deux ailes : le Liban, ma première patrie, et l'Arménie, qui est à l'origine de mon existence », souligne-t-il.
Depuis 2008, Neshan Derharoutiounian a visité l'Arménie à plusieurs reprises. Avant cela, il affirme avoir découvert son pays d'origine grâce à ses parents, mais surtout grâce au Liban : « C'est le Liban qui m'a introduit à l'Arménie. C'est l'acceptation par les Libanais de la diaspora arménienne qui m'a introduit à l'Arménie. C'est la liberté de culte au Liban, les écoles et églises arméniennes qui y ont été construites qui m'ont introduit à l'Arménie. C'est la démocratie au Liban qui m'a introduit à l'Arménie. »
Son attachement au pays du Cèdre, « le seul pays où j'envisage de vivre », le journaliste l'affiche avec fierté. « J'appartiens au Liban et je lui suis loyal », déclare-t-il, ajoutant avoir rejeté plusieurs offres professionnelles à l'étranger car il refuse de quitter cette terre.
À l'occasion du centenaire du génocide qu'il a commémoré à Erevan, Neshan Derharoutiounian ne cache pas sa colère face à l'entêtement de la Turquie à ne pas reconnaître ce crime. « En 1939, Hitler avait déclaré : Finalement, qui se souvient de l'extermination des Arméniens ? » rappelle-t-il. Il avait tenu ces propos dans une tentative de justifier le massacre des juifs.
Pour le journaliste, les Arméniens n'ont pas été victimes de massacres mais d'une « tentative d'épuration ethnique ». « Et un génocide non puni est un génocide encouragé », martèle-t-il.
Notre supplément spécial centenaire du génocide arménien, "De la douleur à la renaissance" est disponible ici et dans les kiosques au Liban
Au sommaire, notamment
-Les petits-enfants du génocide
-Le cri du coeur d'un Arménien "comme les autres"
-Les artisans résistent aux importations chinoises
-Les Hadidian et l'histoire de la joaillerie au Liban
-Rencontre avec Paul Haidostian, président de l'Université Haigazian
et bien d'autres articles, interviews et reportages encore.
Envoyé de mon Ipad
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