Génocide arménien: les enjeux religieux d'une commémoration
La déclaration du pape François reconnaissant le « génocide arménien » a rencontré un retentissement considérable, sans doute bien au-delà de ce à quoi le Saint-Siège s'attendait. Trois jours après d'ailleurs, le Parlement européen s'est explicitement référé à ses propos pour reconnaître, à son tour, le génocide de 1915.
Au-delà de l'Histoire
Sans aucun doute, la proclamation du pape François n'aurait pas connu un tel écho si elle n'avait fait explicitement référence à l'actualité brûlante, les exactions commises par Daech et les islamistes, dont les minorités chrétiennes sont, comme les arméniens et assyriens en 1915, les premières victimes. Car l'enjeu des célébrations du centenaire du génocide n'est pas qu'historique. Dans le contexte géopolitique d'un Proche Orient particulièrement tendu, c'est un évènement à forte connotation politique et religieuse.
La Russie et l'Iran seront à Erevan
Le 23 avril, à Erevan, pour les célébrations du centenaire du génocide, on ignore encore si les Etats-Unis seront représentés, et par qui. Mais Poutine, lui, a fait savoir très tôt qu'il se rendrait lui-même dans la capitale arménienne, comme d'ailleurs François Hollande. Le maitre de la Russie, qui se veut aussi, en lien avec le patriarche de Moscou, protecteur des Eglises d'Orient, ne pouvait laisser passer l'occasion. Son allié iranien sera à ses côtés, une délégation perse s'apprêtant aussi à faire le voyage pour l'Arménie. Dans la république iranienne, l'anniversaire a également été célébré. Tout comme à Damas, l'assemblée du peuple syrien ayant déjà consacré une session à la commémoration du génocide, évoquant le fait que les chrétiens arméniens du début du XXe siècle avaient trouvé refuge à Alep et dans d'autres villes de Syrie. Il est tout aussi significatif que de son côté, en mars, le parlement arménien ait voté à l'unanimité une résolution condamnant les massacres contre les assyriens qui ont été perpétrés dans le même temps par l'empire ottoman entre 1915 et 1923. Ce qu'il avait refusé de faire, deux ans plus tôt, au nom d'une « spécificité arménienne » de ce génocide…
La commémoration du génocide est ainsi devenue un enjeu dans la grande lutte d'influence qui se joue en ce moment entre un Iran shiite et les puissances sunnites dans toute cette région d'Orient…
Déjà Jean-Paul II
Dès lors, quelle marge de manœuvre pour le pape François ? En soi ses propos de dimanche dernier ne sont pas une « première » historique. Ils ne font que reprendre ceux tenus par Jean-Paul II, à deux reprises, le 9 novembre 2000 puis le 27 septembre 2001. Comme Jean-Paul II, le pape François fait du génocide arménien le premier d'un XXe siècle tragique, avec la Shoa, les exterminations staliniennes, le Cambodge, le Rwanda. Mais le pape a été beaucoup plus loin, en prolongeant cette sinistre liste par l'actualité des massacres d'aujourd'hui, ceux qui « s'accomplissent au détriment des hommes persécutés, exilés, assassinés, décapités uniquement parce qu'ils sont chrétiens ».
L'œcuménisme du sang
Loin des précautions diplomatiques habituelles du Saint-Siège, (visant notamment à préserver les intérêts des minorités chrétiennes en Turquie) le pape, conscient de la tournure dramatique des évènements pour les chrétiens d'Orient, semble décidé de mettre en leur faveur toute la force de son poids diplomatique. Alors que le patriarche de Moscou s'est assez largement compromis dans son soutien aux visées politiques de Poutine, l'évêque de Rome se fait ainsi le porte-parole de l'ensemble des chrétiens d'Orient, orthodoxes, catholiques, arméniens, assyriens, dont l'existence même sur les terres de leurs ancêtres est aujourd'hui remise en question. Jean-Paul II, lors du jubilé de l'an 2000, avait évoqué « l'œcuménisme du sang » pour faire mémoire avec les orthodoxes des victimes du communisme à l'Est de l'Europe. Cette fois, c'est un « œcuménisme du sang » en solidarité avec les frères chrétiens du Moyen Orient. La célébration de Rome dimanche dernier n'était dès lors qu'un avant-goût de celle qui devrait se dérouler le 23 avril prochain, à Erevan, en la cathédrale Saint-Grégoire, à laquelle participeront pas moins de 38 Eglises chrétiennes, catholique, orthodoxes, protestantes, autour du patriarche arménien Karekine II.
Isabelle de Gaulmyn
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