25/42015
« Avant, l'Irak était une vraie mosaïque aux couleurs multiples »
Né à Mossoul en 1949, Mgr Yousif-Thomas Mirkis est entré dans l'ordre dominicain en 1975. Il a obtenu son doctorat en théologie à l'université de Strasbourg et un DEA en anthropologie à l'université de Nanterre. Entre 2003 et 2013, il a vécu les violences faites aux chrétiens à Bagdad. En 2013, il est devenu archevêque du diocèse chaldéen de Kirkouk, une ville multiethnique en Irak, et de Souleimaniyé, au Kurdistan irakien. La prise de Mossoul, le 10 juin 2014, puis l'invasion de la plaine de Ninive, dans le nord de l'Irak, le 7 août 2014, ont poussé 120 000 à 150 000 chrétiens sur le chemin de l'exode. Parmi eux, 750 familles se sont réfugiées à Kirkouk. Le Monde a rencontré Mgr Mirkis à Paris.
Quelle est la situation dans votre diocèse ?
Quand l'Etat islamique (EI) a envahi Mossoul et la vallée de Ninive, des gens ont été déplacés à Kirkouk et Souleimaniyé. Kirkouk, qui est une ville d'environ un million d'habitants, a accueilli 400 000 réfugiés de tout le pays dont des chrétiens. Mon diocèse, qui regroupe 8 000 personnes, a vu sa population doubler. Depuis août 2014, nous devons leur trouver de la nourriture, un toit, soigner les malades, trouver des écoles pour les enfants, accueillir les étudiants qui doivent compléter leurs études.
On essaie de vider les bas de laine, de faire ce que l'on peut avec le peu que nous avons. On reçoit très peu d'aide du gouvernement. L'aide vient des organisations comme la Croix-Rouge, le Croissant rouge, Caritas ou des représentants de l'ayatollah Ali Al-Sistani, le guide spirituel chiite. Chaque communauté essaie d'aider. On écrit à nos amis dans le monde pour qu'ils nous aident. Beaucoup ont répondu à l'appel. Beaucoup de bénévoles viennent. Dans notre dispensaire, 15 médecins viennent à tour de rôle. Parmi eux, 10 sont musulmans.
Y a-t-il des tensions confessionnelles à Kirkouk ?
A l'intérieur de Kirkouk, il n'y a pas de tensions confessionnelles. L'idéologie véhiculée par l'EI est rejetée par 95 % des Irakiens, qu'ils soient sunnites, chiites, turkmènes ou kurdes.
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L'EI représente-t-il encore une menace pour la ville ?
L'EI se trouve à 15 kilomètres de Kirkouk, à Hawija notamment. Il y a trois mois, il a fait une tentative de percée à Kirkouk et une attaque a été perpétrée contre le commissariat central. Les combattants kurdes irakiens, les peshmergas, sont toujours attaqués sur le front mais, depuis la bataille pour reprendre Tikrit, en mars, la ville subit moins la menace de l'EI.
Avez-vous le sentiment que les chrétiens sont une cible prioritaire après les menaces proférées par l'EI contre la communauté, parallèlement à l'exécution de chrétiens d'Erythrée et d'Ethiopie en Libye ?
Les autres minorités sont aussi des cibles : les yézidis, les chabak, les kakais… Avant, l'Irak était une vraie mosaïque aux couleurs multiples. Nos problèmes en tant que chrétiens sont moindres que pour les yézidis, par exemple, dont 1 200 femmes ont été kidnappées et faites esclaves et 700 hommes tués. Il n'y a eu en Irak que quelques chrétiens tués. Le fanatisme exclusif n'accepte pas les différences.
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Leur nouveau message est hollywoodien. Ils utilisent YouTube de façon sophistiquée pour l'Occident, pour terroriser les gens. C'est un peu la même méthode chez tous les terroristes qu'ils soient musulmans ou non. L'EI est composé de gens entre 20 et 25 ans, dont 5 000 Européens qui ont passé leur vie dans les banlieues ici ou ailleurs et sont imprégnés de films qui sont à la limite entre le réel et l'irréel.
Que doit faire la communauté internationale ?
Ça se résume à une chose : ne nous oubliez pas. Mais on ne peut pas s'en sortir en tant que minorité. Il faut aussi englober la majorité, qu'elle soit sunnite, chiite ou kurde. Il faut nous aider de l'extérieur : que les médias, les politiciens dénoncent les mauvaises actions car si l'alerte est donnée depuis l'extérieur, elle aura plus d'impact que si elle vient de l'intérieur.
Que faire pour les femmes vendues par Daech [acronyme arabe de l'EI] ? Même le gouvernement central ne peut rien faire. Mais, si une juridiction internationale considère que c'est un génocide, c'est déjà beaucoup. Il faut inscrire ces gens sur des listes pour que l'on puisse les poursuivre même dans vingt ans, comme on l'a fait pour les Khmers rouges. Il faut poser les jalons pour demain. Que ces gens-là ne puissent fuir nulle part. Il faut essayer de trouver qui alimente l'EI, quels sont les pays qui ont intérêt à ce que l'EI vive.
Le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a promu aux Nations unies une résolution pour protéger les minorités persécutées. Comment peut-on protéger les minorités en Irak ?
Il ne faut pas que les minorités soient considérées comme des citoyens de seconde zone. L'idéologie islamique les met devant un mur en leur offrant la conversion, le statut de dhimmi ou l'exil. Je souhaite que la religion n'apparaisse plus sur la carte d'identité irakienne. Cela ferait sentir aux minorités qu'elles sont des citoyens à part entière. Si des mesures radicales ne sont pas prises et que l'on continue à parler des chrétiens comme d'une minorité, on risque de tomber dans un véritable cauchemar. Le mot minorité est un non-sens. On est citoyen ou on ne l'est pas.
Lire aussi : A l'ONU, l'appel de la France pour protéger les minorités au Moyen-Orient
Etes-vous favorable à l'accueil des chrétiens irakiens qui vivent en exil depuis l'été 2014 à l'étranger et en France notamment ?
Quand la France dit qu'elle accueille des réfugiés, elle accueille 1 000 chrétiens sur les 400 000 chrétiens d'Irak. Que fait-on des 399 000 autres ? Ce n'est pas une solution. C'est de la discrimination entre chrétiens et avec les autres minorités. Cette espèce de générosité ressemble davantage à de la publicité pour la France, terre d'accueil.
Il faut nous aider à trouver une solution sur place. Comme le fait l'organisation Fraternité en Irak quand elle vient nous voir pour les fêtes de Pâques avec des médicaments et des dons récoltés chez les gens. De l'argent, des prières et des gens, c'est ce que l'on attend de la France. Au lieu de devoir faire face à un nouveau Lampedusa et de déployer des efforts pour nous accueillir chez vous, où il nous faudra de toute manière plusieurs générations pour nous intégrer, aidez-nous à rester vivre dans notre beau pays.
Envoyé de mon Ipad
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