À quelques pas de l'autoroute d'Antélias, des réfugiés chrétiens de Syrie et d'Irak passent leurs jours face à la mer, en espérant quitter bientôt le Moyen-Orient. De bouche à oreille, alors qu'ils étaient toujours à Bagdad ou Hassaké, ils ont appris l'existence d'un centre balnéaire où ils peuvent louer des chalets à des prix abordables, aussi chers pourtant que les appartements qu'on leur propose en ville, mais ici le courant électrique est assuré 24 heures sur 24, et le prix des abonnements à l'Office de l'eau et EDL est inclus dans la location. Les familles qui habitent les lieux paient uniquement, en dehors du loyer, leur abonnement à Internet.
Même si les deux piscines sont encore vides – elles ne sont remplies qu'à partir du mois de mai –, l'endroit, avec ses quelques espaces verts, ses bananiers et ses hibiscus, offre un havre de paix surtout aux enfants.
Nombre de familles qui habitent le centre balnéaire se connaissaient avant de venir au Liban, certains étaient voisins à Tell Tamr, un des villages du Khabour syrien peuplé d'assyriens, ou à Bagdad. Il y a aussi des frères et des sœurs, de divers endroits de Syrie ou d'Irak, qui ont loué des chalets à leur petite famille.
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Joséphine, Boulos et Nathan sont tous assyriens du Khabour. Joséphine est là depuis six mois, Boulos depuis quatre mois et Nathan est arrivé il y a 15 jours. Ils se connaissaient avant l'exode et se sont retrouvés au Liban.
Les deux fils de Joséphine, installée au Liban avec son mari, ont quitté la Syrie ; l'aîné avec des passeurs vers l'Allemagne, via la Turquie, il y a deux ans, et le benjamin pour Chicago, qui est le siège du patriarcat assyrien d'Orient. Ce dernier avait un visa. La mère aussi attend le départ, probablement pour les États-Unis.
« Le Liban est cher. Nous ne sortons pas souvent du Golden Beach car il faut payer le transport pour aller au quartier assyrien de Bauchrieh ou ailleurs. Et nous tentons d'économiser tant bien que mal. En Syrie, le salaire de mon mari suffisait pour faire vivre la famille. Au Liban, nous devons tous travailler pour subsister », dit-elle.
Elle se plaît pourtant au Golden Beach. « Quand nous sommes arrivés au Liban, nous avons habité le quartier assyrien pour quelque temps. Il fallait payer le loyer, l'abonnement à l'électricité et au générateur, la maison n'était pas meublée... Ici, nous avons des appartements meublés avec l'électricité 24 heures sur 24 pour le même prix. De plus, l'administration est très compréhensive, le personnel très gentil. Ils sont très rapides pour nous donner les copies de contrats de location qu'il faut présenter à la Sûreté générale pour renouveler notre carte de séjour au Liban », raconte-t-elle.
(Reportage : Rémy et Novart, assyriens des villages de Hassaké, racontent l'enfer)
Boulos, qui montre fièrement ses photos en treillis militaire alors qu'il était gardien dans une milice assyrienne protégeant les villages chrétiens, est au Liban avec sa femme et ses trois enfants. Il rêve de partir en Occident.
« Nous ne rentrerons pas en Syrie. La situation est mauvaise. Dans la ville de Hassaké par exemple, une dizaine de groupes de miliciens coexistent et on ne sait pas quand tout peut voler en éclats. Nous sommes une minorité et nous sommes pris en otages dans une guerre qui n'est pas la nôtre. Cette guerre est celle du régime syrien, des Kurdes, des islamistes et des tribus arabes... » dit-il.
Ras-le-bol d'être minoritaire
Nathan, lui, a quitté le Khabour pour Hassaké, avec l'exode du mois de février dernier. Il est arrivé au Liban avec sa femme, il y a tout juste deux semaines, en empruntant un vol Kamishli-Beyrouth. Ses deux fils sont déjà en Allemagne. Ils ont quitté la Syrie il y a deux ans avec des passeurs. « Nous avons payé en tout 12 000 euros », dit-il. Plusieurs de ses proches sont toujours détenus par les miliciens de l'État islamique. Il en a ras-le-bol de sa situation de minoritaire persécuté qui lui colle à la peau.
« Mon grand-père maternel est arrivé de Turquie à Hassaké durant la Première Guerre mondiale. C'est un survivant des massacres de Seyfo (qui avaient ciblé les chrétiens de l'Empire ottoman dans l'actuelle Turquie). Toute sa vie, ma mère a vécu avec une cicatrice au visage. Elle était âgée de quelques mois quand elle a été blessée à la joue par une pierre, alors que sa famille se cachait dans une grotte. Mon père et sa famille ont survécu aux massacres de Simele (en Irak en 1933) et se sont réfugiés en Syrie dans les villages du Khabour. Toute notre vie, nous avons travaillé la terre, transformant un désert en terre agricole et verdoyante, et là je me retrouve, moi aussi, comme mes parents : réfugié », note-t-il.
Nathan avait vendu un terrain avant l'exode. Mais il ne savait pas qu'il partirait de sitôt. Il a tout laissé derrière lui, même les vieilles photos de famille. Il se plaint aussi du régime qui n'a jamais aidé les chrétiens, ne faisant que les marginaliser.
« Mon fils était l'élève le plus brillant à l'école... jusqu'au moment où un enfant alaouite est arrivé dans sa classe. C'était une véritable crise, un enseignant a même été congédié parce qu'il n'avait pas compris qu'il ne devrait plus mettre la meilleure note à mon fils, mais à l'autre élève. En Syrie, dès ton enfance, on te fait comprendre que tu es chrétien et que tu ne progresseras pas. Tu n'es jamais promu dans l'administration », confie-t-il.
(Lire aussi : Le calvaire des exilés chrétiens du Khabour au Liban)
Nathan a servi durant plusieurs années au sein de l'armée d'occupation syrienne au Liban. « Entre 1976 et 1983, j'ai été en poste durant plusieurs mois à Sin el-Fil, dans le Chouf, à Kfaraabida, sous le pont Cola à Beyrouth », se souvient-il. Il n'est revenu au Liban que l'année dernière pour un court séjour afin de tenter de présenter une demande d'exil auprès des Nations unies. « On m'avait dit que je devrai rester au Liban. Je ne pouvais pas. Le pays est trop cher. Mais là, avec l'exode du Khabour en février dernier, je n'avais plus le choix », raconte-t-il.
Nathan aimerait bien rentrer dans son village natal. « Sait-on jamais ? Peut-être que la guerre s'achèvera en Syrie, que nous aurons un véritable État, un gouvernement juste et équitable », espère-t-il.
« Rentrer ? Nous suivrons nos enfants qui ne sont plus là. Et puis rentrer pour aller où, l'église de notre village a été dynamitée le dimanche de Pâques. La terre ne sera plus jamais pour nous », indique Joséphine.
Mariam rejoint le groupe, elle vient prendre un café. Elle aussi est originaire du Khabour. Elle fait partie d'une famille de huit enfants. Elle a 65 ans et ne s'est jamais mariée. Ses frères et sœurs sont en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux Pays-Bas, en Allemagne et au Canada. « J'ai quitté la maison quand mon dernier frère est parti au Canada. Je suis venue au Liban et j'ai loué une chambre ici au Golden Beach. Je ne pouvais pas rester à Tell Tamr, une femme seule encerclée par des miliciens kurdes et arabes, et par ceux de l'État islamique. Mes frères et sœurs m'envoient de l'argent pour que je survive. Et mon frère, établi au Canada, œuvre pour que je puisse partir chez lui. Pour les années qui me restent à vivre, je veux être avec des personnes de ma famille, même à l'étranger. Après tout, on peut se sentir étranger dans son propre pays, quand les gens qu'on aime ne sont plus là », dit-elle.
Prochain article : Témoignages de chrétiens de Bagdad et de Mossoul
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