Le centenaire de la Grande famine au Liban : pour ne jamais oublier
L'équipe de Tehkik, conduite par Claude Abou Nader Hindi, revisite dimanche soir à 18h50 l'horrible drame vécu au début du siècle dernier par la population du Mont-Liban, victime, entre 1915 et 1918, d'une famine qui a décimé plus du tiers de la population de la région à l'époque. Des chiffres qui peuvent à la limite qualifier ce drame de véritable génocide. Un génocide sans effusion de sang, certes, sans exode, sans bruit, mais dont le bilan a été ahurissant: 150000 à 200000 morts sur un total d'environ 400000 habitants.
Cette famine, méconnue de beaucoup de Libanais, a été en effet le résultat d'une convergence de quatre facteurs. Le littoral libanais était soumis à l'époque à un blocus maritime imposé par la flotte des forces alliées (notamment la flotte britannique) qui empêchait les navires d'arriver sur la côte libanaise. Il était donc impossible aux Ottomans, dans le camp de l'Allemagne durant la Première Guerre mondiale, de recevoir des armes ou des munitions...
À ce siège maritime s'était ajouté un autre blocus, terrestre cette fois, imposé par Jamal Pacha, le gouverneur ottoman, qui dominait le pays et contrôlait les principaux accès routiers. Ce sont surtout les maronites qui seront les principales victimes de cette « arme de la famine » : les soldats ottomans se montraient particulièrement intransigeants avec les chrétiens plus qu'avec les autres habitants du Mont-Liban.
Mais la responsabilité de cette Grande famine retombe aussi sur certains Libanais, profiteurs et usuriers, qui n'ont pas hésité à tirer profit de la situation pour s'enrichir, contribuant ainsi à l'aggravation de la crise.
Un quatrième événement a été la cerise sur le gâteau : l'invasion des criquets. Pendant une centaine de jours, une nuée de sauterelles a ainsi dévasté les terres agricoles, venant à bout de toutes les récoltes.
Le plus choquant à l'époque était l'attitude passive des forces allemandes et celles de l'Autriche-Hongrie, qui ont cruellement laissé faire, sur base du ne rien voir, ne rien entendre, la raison d'État germano-ottomane ayant la priorité sur toute autre considération. Parallèlement, l'Empire ottoman poussait à l'exode, pourchassait et assassinait à tour de bras les Arméniens, considérés auparavant comme des fidèles mais désormais accusés de traîtrise parce qu'ils avaient aidé, dans la région, les Russes...
Dans ce contexte, la communauté libanaise d'Égypte a contribué dans une large mesure à atténuer les effets de la famine en acheminant des aides par le biais de l'île de Rouad, face au littoral syrien, au nord de Tripoli. Cette aide était livrée au patriarcat maronite qui la distribuait à son tour à la population par l'intermédiaire des couvents et des ordres monastiques.
Mise à mort muette
Il n'empêche, un devoir de mémoire est indispensable et il faut reposer le problème, ne serait-ce que par respect pour tous ceux qui sont morts à cause de cette famine. On ne peut oublier certaines descriptions atroces, comme dans Al-Raghif, le livre de Toufic Youssef Aouad : « Il y avait là une femme étendue sur le dos, envahie de poux. Un nourrisson aux yeux énormes pendait à son sein nu (...). La tête de la femme était renversée et ses cheveux épars. De sa poitrine émergeait un sein griffé et meurtri que l'enfant pétrissait de ses petites mains et pressait de ses lèvres puis abandonnait en pleurant.»
Cette triste commémoration devrait avoir lieu chaque année, malgré le fait qu'elle soit reléguée dans un passé qu'on préfère ne pas réveiller. Le film des frères Rahbani, Safar Barlek, retrace aussi, sous forme d'une comédie musicale, cet épisode dramatique de l'occupation ottomane, mettant en exergue la solidarité syro-libanaise face à l'hégémonie de l'occupant.
Beaucoup de Libanais ont été poussés à quitter leur village et à aller mendier dans les villes; beaucoup de femmes ont été contraintes de se prostituer en contrepartie de nourriture. Un volet humiliant et douloureux pour cette population conservatrice qui a préféré oublier et ne pas transmettre ces détails aux générations futures.
Ce ne sont que les photos d'archives personnelles, comme celles puisées dans les archives de la Compagnie de Jésus au Liban et les (journal quotidien) de nombreux pères jésuites qui ont été exhumés par Christian Tawtel et Pierre Witouck s.j., qui peuvent dénoncer de la meilleure façon, mieux même que tous les témoignages poignants, cette mise à mort muette et obscure de la population chrétienne du Liban il y a cent ans.
Dans L'Orient Littéraire
Frères humains d'il y a 99 ans !
Envoyé de mon Ipad
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