«Le centième anniversaire du génocide arménien permet de faire bouger les lignes»
Le choix de l'Allemagne qui a reconnu sa responsabilité propre dans ces événements prouve cependant que, cent ans après, les lignes bougent. Trois questions à Jacques Semelin, historien spécialiste des génocides.
Entretien avec Jacques Semelin, historien spécialiste des génocides.
Pourquoi les États-Unis refusent-ils encore de reconnaître la nature génocidaire du massacre des Arméniens ?
Jacques Semelin : Si Barack Obama a refusé d'utiliser dans son discours le terme de génocide*, c'est tout simplement pour des raisons diplomatiques. La Turquie fait partie de l'Otan et c'est un précieux allié des Américains au Moyen-Orient. Les États-Unis y ont des bases militaires, et le pays est un pilier majeur pour la lutte contre le développement du terrorisme.
Sans compter qu'il existe des enjeux économiques. Pour les mêmes raisons, Israël refuse aussi de reconnaître le génocide arménien. On aurait pourtant pu croire ce pays plus habilité à le faire, au vu de son histoire. Mais il s'agit ici de politique, non de morale. Voilà pourquoi c'est vraiment courageux de la part de François Hollande d'aller célébrer le 24 avril à Erevan.
> À lire aussi : L'Arménie commémore le génocide
L'Allemagne vient de lancer un message important en reconnaissant non seulement le génocide, mais aussi sa responsabilité dans les événements en 1915. Peut-on préciser la nature de cette responsabilité ?
J.S. : À l'époque des faits, la Turquie était alliée de l'Allemagne. Lors de massacres à grande échelle, comme ce fut le cas à partir de 1915, il y a souvent une puissance tutélaire qui laisse faire. La responsabilité de Berlin est difficile à situer. Toujours est-il que sur place, les officiers allemands ont fermé les yeux.
Dans tous les cas, la reconnaissance allemande est un élément nouveau à saluer. Elle prouve que ce centième anniversaire du génocide permet de faire bouger les lignes, de parler des Arméniens.
> À voir, l'interview vidéo de l'historien Michel Marian : « Il serait bon que l'ONU reconnaisse le génocide arménien »
D'autres pays se sont récemment engagés dans la voie de la reconnaissance ?
J.S. : Le 22 avril, l'Autriche, elle aussi alliée de l'Empire Ottoman en 1915, a franchi le pas. En avril aussi, le parlement européen a réaffirmé sa reconnaissance du génocide, et a invité Ankara à faire de même.
Le Vatican a aussi reconnu la nature génocidaire des massacres à travers une allocution, le 12 avril, du pape François, premier pontife à tenir des propos de ce genre. On peut d'ailleurs se demander pourquoi l'Église n'a pas réagi plus tôt, d'autant que l'Arménie est le premier pays christianisé de l'Histoire.
Il ne faut cependant pas oublier que le véritable enjeu, aujourd'hui, concerne l'Arménie elle-même. Sa frontière avec la Turquie est complètement bloquée. Pour sortir de cette situation, il faudrait que la Turquie reconnaisse le génocide, ce qui impliquerait une nouvelle équipe au pouvoir. Mais nous n'en sommes pas encore là.
Recueilli par Nicolas PUIGEnvoyé de mon Ipad
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.