"Nous sommes partis exactement comme nos ancêtres... sans rien"
Pour des milliers de Syriens arméniens réfugiés aujourd'hui au Liban, le terrible massacre et l'exode dont furent victimes leurs ancêtres il y a un siècle est un traumatisme qui se perpétue.
Maggie Melkonian retient ses larmes lorsqu'elle raconte le périple qui l'a conduit d'Alep, sa ville du nord de la Syrie, vers le Liban il y a deux ans à cause de la guerre. "Nous sommes partis exactement comme nos ancêtres... sans rien", dit-elle. Avec sa fille, son gendre et ses petits-enfants, Maggie a trouvé abri dans le quartier arménien traditionnel de Bourj Hammoud, à quelques kilomètres au nord-est de Beyrouth. Mais son mari est resté à Alep, réticent à l'idée de tout laisser derrière lui, comme les Arméniens qui avaient fui leurs maisons en 1915. "Nous vivons un second génocide. Notre peuple se meurt à nouveau", se désole Maggie la voix brisée.
Si pour Erevan et de nombreuses autres capitales, ces tueries ont coûté la vie à 1,5 million d'Arméniens lors d'une campagne d'élimination systématique, Ankara ne reconnaît que la mort d'environ 500.000 personnes, victimes de groupes armés ou de famine, et refuse catégoriquement le mot "génocide".
A Bourj Hammoud, ce mot revient sur toutes les lèvres et les murs sont couverts d'insultes à l'égard d'Ankara. "Nous nous rappelons et nous réclamons", lit-on sur les pancartes accrochées à l'occasion du centenaire, en référence à l'appel pour qu'Ankara reconnaisse le terme "génocide".
"Prêts à fuir à nouveau"
Ils sont nombreux à tracer un parallèle entre la tragédie de leurs aïeuls et les incidents comme l'attaque rebelle contre la localité arménienne de Kassab (nord) ou la destruction d'une église arménienne à Deir el-Zor, qui contenait des restes des victimes de 1915.
"J'ai le sentiment que l'histoire se répète. Nous sommes éreintés. Durant toutes ces années, nous n'avons pas eu le sentiment d'être apaisés", confie Maral Giloyan, 30 ans.
Maral est réfugiée pour la deuxième fois. Sa famille a fui en 2005 Bagdad ravagé par les violences après l'invasion américaine. Puis elle s'est installée à Alep, où Maral a épousé un Syrien arménien avec lequel elle eu trois enfants. Mais elle a dû fuir aussi ce pays en guerre après que son mari a été blessé par un mortier.
"Je veux vivre en paix, mais je n'ai connu que la guerre", dit-elle.
La communauté arménienne représentait avant la crise 150.000 personnes, notamment à Alep, mais la moitié a quitté le pays, à l'instar d'une bonne partie de la population.
Alexan Keuchkerian, membre du parti arménien Hanchag au Liban, reconnait d'ailleurs que tous les Syriens, et pas seulement les Arméniens, souffrent. "Mais pour nous, c'est un second exode, c'est une double blessure. La douleur se répète", dit cet homme dont des membres de sa propre famille sont arrivés récemment d'Alep. Ses ancêtres avaient été expulsés en 1915 de Cilicie, une région d'Anatolie aujourd'hui en Turquie, pour s'installer au Liban. Durant la guerre civile libanaise (1975-1990), ils avaient trouvé refuge à Alep avant de faire le chemin en sens inverse quand le conflit a commencé en Syrie. "Certains Arméniens ont le sentiment de vivre une migration sans fin", dit-il.
Une bonne partie des quelque 10.000 réfugiés arméniens syriens au Liban ont bénéficié du soutien de l'Association Howard Karagheusian qui offre à Bourj Hammoud des services médicaux et des classes de langues à ceux qui en ont besoin. Les histoires qu'ils racontent en arrivant au centre rappellent les récits de leurs grands-parents. "Ce n'est bien sûr pas à la même échelle, mais il est difficile de ne pas penser que l'histoire se répète", confie Christine Sarkissian, une employée. Et "cela renforce l'idée chevillée en nous que nous devons être prêts à fuir à nouveau".
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