La Maison Saint-Elie, une oasis dans l'enfer de la guerre à Alep | À La Une | L'Orient-Le Jour-6/1/2013
La maison de retraite chrétienne Saint-Élie, au cœur de la Vieille ville d'Alep, n'a plus ni électricité ni téléphone depuis six mois mais reste un refuge privilégié dans une métropole dévastée par la guerre. Chaque jour, la communauté chrétienne de cette grande ville du nord de la Syrie, quelques riches mécènes et des rebelles fournissent à la dizaine de pensionnaires de quoi se nourrir et se soigner.
Fondée en 1863, la Maison de repos Saint-Élie compte une vingtaine de pièces autour d'un cloître, derrière une porte noire en fer dans une ruelle jonchée de détritus et de douilles, à quelques encablures de la ligne de front entre l'armée et les rebelles qui mènent depuis l'été une guérilla urbaine.
"Nous accueillons ceux qui sont abandonnés et dans le besoin", explique Sœur Marie, 75 ans, alma mater rayonnante de cette institution. "C'est un lieu pour profiter de la vie", souligne-t-elle.
"Si nous avons faim, il y a toujours quelque chose à manger", explique Evan Wehbé, 66 ans, arrivée il y a neuf ans car elle ne pouvait plus payer son loyer.
"Nous sommes une petite communauté mais nous faisons bloc et nous nous entraidons. Cela nous rend forts", explique Michael Oberi, 53 ans, qui s'est réfugié à Saint-Élie avec son épouse Sarbi Magarian quand leur maison a été touchée par un tir d'artillerie.
Un docteur rend parfois visite aux résidents et "il y a un petit dispensaire tout près", explique Sœur Marie. "Et si nous avons besoin de médicaments ou d'analyses, tous les frais médicaux sont payés par la communauté chrétienne".
Les pensionnaires se retrouvent souvent pour discuter autour d'un café dans les deux pièces communes, les seules du bâtiment chauffées par des poêles à bois.
Pourtant, le vacarme de la guerre n'est jamais loin. "Nous entendons des tirs et des explosions toutes les heures en temps normal. Le jour où nous n'entendons plus de tir, nous nous inquiétons", souligne Sœur Marie.
"Nous avons très peur des bombes, des combats, parfois on les entend très près de la maison. Je n'en dors plus", renchérit M. Oberi, qui affirme ne sortir que pour chercher à manger. "Il y a quelques jours, je marchais dans la rue et la balle d'un tireur embusqué m'a frôlé le pied".
La maison elle-même n'a pas échappé au conflit. Deux obus tombés sur l'immeuble voisin ont détruit les fenêtres et vrillé la porte d'entrée."Chaque jour, des gravats tombent dans la cour quand des bombes explosent à proximité", explique Sœur Marie, en regrettant de ne pas avoir de nouvelles de ce qui se passe dans le reste du pays. "Nous sommes isolés du monde", insiste-t-elle.
Malgré les dangers, cette ancienne professeur d'anglais veille avec énergie sur ses pensionnaires: "Quand je vais dans la rue, j'interpelle les tireurs embusqués en criant pour qu'ils ne me tirent pas dessus".
Avant la guerre, les résidents recevaient des visites de leur famille, "mais avec les combats, ils ont peur de venir nous voir. Et nous ne pouvons pas changer d'endroit, car nous n'avons nulle part où aller. De toute façon, tout Alep est en guerre".
Et si d'autres habitants d'Alep en veulent aux rebelles d'avoir apporté la guerre dans leur cité, les résidents ne tarissent pas d'éloges sur le commandant Hatab, chef local de l'Armée syrienne libre (ASL, insurgés), qui leur rend régulièrement visite.
"Tous les jours, des rebelles nous apportent du pain frais. Ils sont bons avec nous", souligne Sarbi Magarian. "Ils sont musulmans et nous chrétiens, mais notre religion ne doit pas être source de division. Nous sommes tous frères", assure-t-elle.
"Chaque jour, nous prions pour la paix", souligne Sœur Marie. Et quand les bombes se rapprochent, "nous nous réfugions dans la chapelle car c'est la pièce la plus sûre de la maison".
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